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Le jour où : L’Italie couronna son petit prince

Milan, le dimanche 30 Mai 2004. Après une ultime victoire d’étape d’Alessandro Petacchi dans les rues de la 2ème ville Italienne, s’achève le 87ème Giro de l’histoire. Cette édition est sans aucun doute la plus belle du 21ème siècle. Outre les neuf succès d’étape de Petacchi ou la victoire d’étape de Pavel Tonkov arrosant les suiveurs de doigts d’honneur, c’est surtout une lutte à mort entre deux hommes, autant sur la route que dans les médias, qui aura laissé une empreinte. Quinze ans après, ce n’est pas des neuf succès du sprinteur de la Fassa Bortolo dont nous nous rappelons, mais bien du sacre d’un gamin de 22 ans, adoubé petit prince au nez et à la barbe de son coéquipier, Gilberto Simoni, qui lui aura mené la vie dure pendant trois semaines.

Samedi 8 Mai 2004. Le Giro commence par un prologue dans les rues de Gênes. A la veille du départ, un favori semble se détacher : Gilberto Simoni. Tenant du titre, et également vainqueur en 2001, le vétéran de la Saeco rêve de remporter une 3ème fois le maillot Rose, pour rejoindre notamment Gino Bartali ou Bernard Hinault. La concurrence possède, entre autre, un accent slave : Le rouleur/grimpeur Ukrainien Serhiy Honchar, six fois dans le top dix du Giro, ainsi que son compatriote Yaroslav Popovych, jeune prodige ayant terminé sur le podium l’année précédente. Et, comme souvent lors de cette décennie, c’est du côté des purs grimpeurs italiens qu’il faut se tourner pour voir les autre prétendants : Stefano Garzelli, vainqueur en 2000 et 2ème en 2003, ou encore Andreas Noé et Franco Pelizotti. Malgré tout, Gilberto Simoni semble au top de sa forme, et fait figure de grand favori à sa propre succession.

Avec Tonti, Szmyd ou encore Mazzoleni dans son équipe, le leader de la Saeco joue sur du velours. Incroyablement talentueux quand la route s’élève, Simoni peut être considéré comme l’un des cinq plus grands grimpeurs du 21ème siècle. Mais l’italien est aussi un homme de caractère, réputé pour ne pas mâcher ses mots, et qui a traversé sa carrière en flirtant et franchissant à plusieurs reprises la ligne blanche du dopage. Ces trois semaines vont se transformer en calvaire. Car la Saeco aligne également Damiano Cunego. A 22 ans, pour sa 3ème année professionnelle, il vient de remporter trois courses par étape italiennes, dont le tour du Trentin, avec une étape glanée devant…Gilberto Simoni. Le plus âgé des deux avait d’ailleurs répondu d’une possible jalousie. « Si vous pensiez que je suis jaloux, vous commettriez une grosse erreur. J’ai confiance en mon équipe, qui est très forte, et en Cunego »

A l’heure où venir avec plusieurs leaders sur un Grand tour est synonyme de respect entre coéquipiers, comme la Sky/Ineos le démontre depuis presque dix ans, les mœurs n’étaient pas les mêmes dans cette Hydre italienne à deux têtes, malgré une solidarité de façade. Dès la 3ème étape, la Saeco montre sa force collective sur une étape pour sprinteur, et c’est le jeune puncheur/grimpeur de 22 ans qui s’impose. Mais dès le lendemain, la hiérarchie est respectée : Simoni s’impose lors de la première ascension au sommet, et revêt le maillot Rose. On pense alors que la crise est passée. Elle ne fait que commencer.

Une 2ème victoire d’étape, et, par le jeu des bonifications, Cunego s’empare de la tête du classement général. Il le lâche lors du contre la montre remporté par Honchar, mais reste mieux placé que son leader. En chasse derrière Popovych, Cunego va frapper fort lors de la 16ème étape. Le petit prince attaque, reprend les membres de l’échappée matinale, et s’impose avec plus d’une minute d’avance sur les favoris. Il en profite pour récupérer le maillot Rose et impose un constat désormais clair : Le plus jeune des deux italiens est le meilleur. Mais Claudio Corti, le manager de la Saeco, ne veut pas se mettre à dos son leader emblématique, et il ne veut pas non plus entrer en conflit avec celui qui semble amené à devenir un champion de tout premier ordre. Les responsabilités sont gelées, chacun ayant carte blanche.

Dans la 18ème étape vers Bormio, Simoni attaque son coéquipier, prenant le risque, en cas de problème de Cunego, de faire de Honchar le nouveau maillot Rose. Mais le jeune homme de 22 ans est fort, très fort. Il rattrape le dossard 1, et s’impose au sprint. Une 4ème victoire d’étape qui est celle de trop pour le tenant du titre. A l’arrivée, il déclare « Tu es un batard, tu es vraiment stupide ». Cunego, impressionnant de maturité, garde la tête froide alors que son ainé de onze ans fond un plomb. Le lendemain, dans le mythique Mortirolo, il tente un ultime baroud d’honneur, mettant une nouvelle fois en péril la victoire de la Saeco, mais c’est Garzelli qui s’offre l’étape, tandis que le maillot Rose a tranquillement géré l’étape. Il a Giro gagné.

Après le podium, Simoni tente de faire bonne figure. Une accolade avec le « traitre », des mots vantant les mérites de son équipe et la joie d’avoir gagné. Des mots qui sonnent creux. Le vainqueur, lui, joue franc jeu « Je ne referai pas un Giro dans ce climat, on en a fini avec celui-là, maintenant, basta »

A 22 ans, Damiano Cunego remporte son premier grand tour. Qu’aurait il dit si on lui avait annoncé que ce serait le seul de sa carrière ? A cette époque-là, l’avenir est rose à tout point de vue pour le nouveau chouchou de l’Italie. Il remportera quelque mois plus tard le tour de Lombardie, s’offrant deux des trois courses les plus mythiques pour un coureur Italien. Il finit également l’année numéro 1 mondial. Malheureusement, le petit Prince ne confirmera jamais les immenses espoirs entrevus lors de ce mois de Mai. Il rajoutera deux autres tours de Lombardie et une Amstel Gold Race, ainsi que trois tops dix sur le Giro et une 6ème place sur le Tour de France. Un palmarès qui ravirait 90% des cyclistes pro, mais qui s’avère peu de choses en rapport avec ce qu’on pouvait attendre d’un gamin devenu Petit Prince sur les routes d’un Giro mythique.

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