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Matisse Thybulle : la défense NBA conjuguée au présent et au futur

PHILADELPHIA, PA - OCTOBER 8: Matisse Thybulle #22 of the Philadelphia 76ers plays defense against the Guangzhou Long Lions during a pre-season game on October 8, 2019 at the Wells Fargo Center in Philadelphia, Pennsylvania NOTE TO USER: User expressly acknowledges and agrees that, by downloading and/or using this Photograph, user is consenting to the terms and conditions of the Getty Images License Agreement. Mandatory Copyright Notice: Copyright 2019 NBAE (Photo by Jesse D. Garrabrant/NBAE via Getty Images)

Le jeu défensif proposé depuis plusieurs années en NBA fait l’objet de nombreuses critiques par les fans de longue haleine ayant connu la dureté des années 80/90. Les cartons offensifs à répétition pourraient nous faire croire que la défense est devenue secondaire en NBA, notamment au cours de la saison régulière. Pour autant, la défense n’a pas disparu des parquets Nord-Américain. Elle s’est simplement adaptée aux évolutions offensives qu’a connues la ligue depuis les années 2000.

Aujourd’hui le CCS vous propose une petite mise au point sur l’évolution du jeu défensif en NBA et un focus sur le rookie des 76ers, Matisse Thybulle, prototype du défenseur contemporain.

« De toute façon, il n’y a plus de défense en NBA… »

Cette critique est de plus en plus récurrente chez les amateurs de basket. Et les chiffres viennent renforcer leurs argumentaires : Dallas colle 143 points aux tristes Cavs, les Rockets en plantent 158 face aux Hawks et hier soir, les Clippers étrillent les Wizards 150 à 125. En moyenne, cette saison, les équipes NBA inscrivent 110,45 points par match. Au sommet de ce classement, on retrouve deux équipes portées sur l’attaque : les Rockets (120,26 pts/m) et les Bucks (120,25 pts/m).

C’est le constant marquant de ce début de saison et il dure depuis quelques années. Une inflation offensive brutale qui alimente cette critique de fond de comptoir et pose la question suivante : les joueurs NBA ont-ils cessé de défendre ?

Une révolution offensive en rythme

Pour comprendre l’évolution de la défense en NBA, il faut tout d’abord regarder de l’autre côté du terrain, en attaque. La principale révolution du jeu offensif se concentre dans l’augmentation fulgurante du nombre d’opportunités de marquer au cours d’un match. Lors de la saison 2005-2006, les Suns de Phoenix étaient leaders dans le nombre de possessions jouées par match avec 99,2 actions offensives disputées. En pleine période du « Run & Gun », Phoenix était considéré comme l’équipe la plus rapide de NBA. Aujourd’hui, aucune équipe n’est en dessous de 100 possessions par match (la dernière étant Orlando avec 100,6 possessions par match).

Les années Mike D’Antoni aux Suns ont été à l’initiative de cette évolution, avec un style de jeu tourné vers l’intention et les qualités individuelles. Moins de système, plus de fluidité. C’est avec les coéquipiers de Steve Nash que l’on voit apparaître les tirs tentés au bout de 7 secondes, voir même les tirs en premières intentions, de préférence derrière la ligne à 3pts. Et oui, 3 points valent mieux que 2, c’est d’une logique implacable.

Le 3 pts : l’arme létale à l’origine d’une révolution défensive

Si l’intensification du rythme de jeu a conduit à donner plus d’opportunités aux excellents attaquants de la NBA, le 3pts a profondément modifié les défenses de la Grande Ligue. Toujours au cours de la saison 2005-2006, les Suns de Phoenix (encore eux) prenaient le plus grand nombre de 3pts de la ligue avec 25,2 tirs longue distance tentés par match. Aujourd’hui ? Les Spurs sont l’équipe qui prend le moins de shoot à 3pts avec… 25,7 tirs derrière l’arc par match. Au sommet du classement sur ce début de saison, on retrouve James Harden et sa bande de Rockets qui allument avec plus de 45 tirs à 3pts tentés par match.

Avec les Warriors de Steve Kerr et la réussite insolente des Splash Bros, le 3pts s’est démocratisé au grand dam de ses détracteurs. Une arme que les grands intérieurs ont dû intégrer à leur panoplie offensive pour continuer d’exister en NBA, coucou Brook Lopez. La prise massive de 3pts a forcé les défenses à évoluer. En effet, si chacun des joueurs d’un cinq peut prendre un tir derrière l’arc, et bien il faut que chaque défenseur puisse être capable de les arrêter.

Plus de rythme, plus de tir à 3pts. Voilà à quoi ressemble le jeu offensif de notre NBA contemporaine. Pour répondre à cette nouvelle donne, les joueurs se sont métamorphosés.

Lorsque « défense » rime avec « polyvalence »

Tout le monde mitraille de plus en plus loin et de plus en plus vite. Le jeu est donc de plus en plus espacé (spacing) puisque les joueurs évoluent désormais bien au-delà de la ligne à trois points pour étirer les lignes. La mission défensive n’en est que beaucoup plus compliquée. Les défenseurs ont beaucoup plus d’espace à couvrir en peu de temps avec beaucoup d’informations simultanées à analyser à chaque pick and roll adverse.

« Switcher » sans compter

La meilleure option pour couvrir des espaces de plus en plus larges est de changer systématiquement d’opposant sur les pick and roll. C’est cela que les américains appellent un « switch » et c’est ce procédé qui est à l’origine de l’évolution défensive de la ligue. Chaque joueur doit être capable de contenir un adversaire aux antipodes de ses qualités physiques : un pivot doit pouvoir arrêter un meneur, et inversement. Pour cela, il faut que le pivot soit suffisamment mobile, notamment en vitesse latérale, et que les arrières soient capables de tenir le coup physiquement face à des gars de plus de 2m10.

Les pivots « classiques » ont tendances à disparaître et c’est la raison pour laquelle les principes du « small ball » semblent destinés à être poussés de plus en plus loin.

Adieu les mastodontes ?

Les intérieurs les plus lourds, garants de la protection du cercle dans les années 90, sont ciblés en défense. Ils sont devenus des points faibles – sauf s’ils disposent de cette fameuse vitesse latérale leur permettant de tenir tête aux extérieurs adverses. P.J. Tucker, ailier il y a quelques années, est maintenant aligné au poste cinq sur de plus en plus de séquences. Pour justement avoir cinq joueurs à même de switcher afin d’éviter de prendre l’eau en défense.

Tout cela nous donne des joueurs très polyvalents capables de défendre sur 3, 4 voire 5 postes différents. Au premier rang de ces athlètes d’une nouvelle génération, on retrouve : Draymond Green, Kawhi Leonard et plus récemment des joueurs comme Giannis Antetokounmpo, Ben Simmons ou Pascal Siakam se sont illustrés par leur jeu défensif.

Le profil de ces joueurs est le fruit de l’évolution du style de jeu en NBA. Regardons ensemble le rookie Matisse Thybulle, qui coche toutes les cases du défenseur moderne et partage les qualités des quelques noms cités précédemment.

Matisse Thybulle : prototype du défenseur moderne

Sélectionné en 20ème position par les 76ers de Philadelphie lors de la dernière draft, Matisse Thybulle possède les qualités physiques et mentales pour être, déjà, considéré comme un défenseur élite. Attardons nous sur ses dimensions physiques justement :

2 mètres 14 d’envergure !!! Voici l’une des clés de la réussite des défenseurs modernes. Avec une longueur de bras surdimensionnée, ces athlètes peuvent compenser à minima leur déficit de taille sur certains joueurs plus grands. L’avantage d’une grande d’envergure est de pouvoir avoir un petit temps supplémentaire pour se positionner sur les lignes de passes. L’un des inconvénients du spacing, c’est que cette disposition oblige un allongement des passes et donc du temps de transmission de la balle. Pour exploiter cette faille, les joueurs de grandes envergures peuvent positionner plus facilement leurs bras pour intercepter les ballons.

Autre avantage d’une telle envergure, c’est la possibilité de contester les tirs adverses. Que ce soit sur les grands joueurs et ceux qui misent sur la rapidité, ces tentacules sont efficaces pour obliger les adversaires à ajuster leur tir, voire même à le forcer.

Pour illustrer tout cela, regardons le parcours de notre joueur. Il réalise son cursus complet dans l’Université de Washington où il remporte de nombreuses récompenses défensives individuelles. Thybulle est nommé par deux fois dans la meilleure équipe défensive de sa Conférence (2018, 2019) et il est surtout élu deux fois, meilleur défenseur de la PAC-12 (l’un des conférence les plus relevée de la NCAA).

Lors de sa dernière saison universitaire, Matisse Thybulle a affiché des statistiques défensives hors du commun (peut-être jamais vues) : 4,5 interceptions et 2,8 contres en 36 matchs. Des statistiques rendues possibles par son rôle dans la défense des Huskies, mais surtout grâce à son énorme sens de l’anticipation et des outils physiques (envergure et mobilité latérale) au-dessus de la moyenne. 

Voici un petit florilège de ses actions défensives en NCAA :

C’est évidemment ce profil de défenseur polyvalent que les 76ers ont apprécié chez Matisse Thybulle. Ses qualités lui permettent d’avoir un temps de jeu très honnête en sortie de banc pour un rookie (un peu plus de 15 minutes par match). Bien évidemment, sa production statistique est moins importante qu’en NCAA mais ses prouesses défensives sont tout de même bien visibles. Avec 1,4 interception en 19 matchs et 0,7 contres, il apporte une solide constance défensive pour le banc des 76ers au côté de James Ennis notamment. Un gros plus que les stars des Sixers ont bien remarqué :

« En défense je le déteste, je le déteste. Jusque-là, il est incroyable en défense. Son envergure, la manière dont il joue, court sur le terrain et joue de la bonne façon, le rendent très bon. »Il est très long et capable de mettre sa main sur la balle. Je crois qu’il a dévié six passes dans le premier quart-temps. C’est fou. En défense, il fait partie des meilleurs et il va s’améliorer. » Ben Simmons.

Cette déclaration d’un joueur comme Ben Simmons, lui aussi défenseur d’élite, prouve toute l’importance que Thybulle a prise dans cet effectif. Son fait le plus saillant est bien évidemment sa prestation en opening night face aux Celtics. Avec 22 minutes lors de ce match, Thybulle a fait vivre un cauchemar à Kemba Walker. Il parvient à cadenasser l’ancien Hornets en le limitant à 12 points, à 4/18. Bien évidemment, c’est une œuvre collective mais Thybulle a particulièrement brillé pour son premier match en NBA, voici quelques images :

Sa capacité à contester (presque) n’importe quel tir, son positionnement, sa rapidité latérale et son envergure d’albatros font de Matisse Thybulle un défenseur (déjà) d’élite. Il entre parfaitement dans le profil du défenseur NBA moderne. Savoir défendre est un élément essentiel pour s’installer et durer dans la Grande Ligue. Avec ses qualités défensives, il sera précieux pour les 76ers notamment en Playoffs. S’il est capable d’améliorer son dribble, sa création et son tir (son attaque finalement), Thybulle peut largement devenir un joueur de gros calibre. A l’image d’un Kawhi Leonard ou d’un Jimmy Butler, un défenseur qui travaille intensément peut devenir une superstar.

Efficace et pas cher, c’est Matisse que je préfère.

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