Souvenez-vous il y a six ans, le 20 Février 2014. Sotchi en Russie, épreuve de freestyle, le skicross. Trois Français et un Canadien sont au départ de la finale des Jeux Olympiques. Le reste n’appartient qu’à la légende du sport tricolore celle qui perpétue ses héros. Leur performance extraordinaire est gravée à jamais dans les livres, mais surtout dans nos mémoires. Pour la première fois de l’histoire des Jeux olympiques d’hiver, la France remporte un triplé dans une épreuve. Cette performance a été réalisée par 3 champions, 3 copains : Jean-Frédéric Chapuis, Arnaud Bovolenta et Jonathan Midol. Retour sur sur ce sacre qui a mis en lumière une discipline peu connue.
Présentation du Skicross

Imaginez du motocross, mais avec des spatules de ski en lieu et place d’une moto. Le skicross est une course de vitesse dont le parcours est jalonné d’éléments naturels ou artificiels : bosses, virages relevés, sauts, tremplins. Quatre skieurs s’élancent d’une piste d’environ 1500 mètres. La formule est simple. On commence par des qualifications contre le chronomètre suivi par des éliminatoires sous forme de matches à quatre contre quatre jusqu’aux finales : une de classement (places 5 à 8) et une autre pour la victoire (places 1 à 4). Les deux meilleurs de chaque course passent au tour suivant. On utilise des skis de slalom géant (de 190 à 192 cm). Née aux Etats-Unis en 1997 à l’occasion des premiers X-Games hivernaux (rendez-vous incontournable des sports extrêmes ), cette discipline n’a été introduite qu’en 2010 à Vancouver. Le parcours de skicross est conçu pour mettre à l’épreuve les habiletés des skieurs. On y retrouve différents types de virages, des sections où le terrain est plat, des traversées ainsi que des bosses, des virages relevés et des sillons similaires à ceux des pistes de ski traditionnelles. En ce qui concerne les structures du parcours, elles sont semblables à celles du snowboard cross. L’endurance et la force sont des éléments clés du skicross étant donné que les athlètes font de quatre à cinq descentes de 60 secondes ou plus. Course tactique car il faut essayer de se placer le plus vite possible, empêcher le retour des adversaires dans les zones de dépassements.


L’aventure débute véritablement en 2010 à la sortie des premiers jeux de Vancouver. Michel Locatelli, l’entraîneur en chef des Bleus présente à ses athlètes un projet olympique ambitieux et réfléchi : « Le printemps qui a suivi Vancouver, tout le monde a pris le système en marche. Tout le monde a dit OK. Je crois qu’on a essayé de laisser le minimum au hasard, moi je ne crois pas à la chance. Il y a des moments on a tourné le soir pendant des heures dans les piaules. » le défi était d’apporter un professionnalisme et un savoir faire plus adapté au ski alpin. Il leur a beaucoup fait travailler le physique pour cette discipline très éprouvante. Il a également forgé ce groupe à la mentalité du skicross, où à la différence du ski alpin, on doit se “bagarrer” en course avec des adversaires. Il a donc fallu “désapprendre” certaines habitudes du ski, comme celle de ne se concentrer que sur sa course et sa trajectoire. Il faut être constamment en éveil par rapport aux adversaires tout en restant acteur de sa propre course. Fabien Saguez, le DTN en charge des deux disciplines, a bien relevé le changement opéré depuis quelques années « Je pense qu’ils ont fait des choix sur l’hygiène de vie, la qualité du travail physique. Ils ont été pros dans leur façon d’aborder l’événement. »

Le travail a payé et c’est une équipe de France avec beaucoup de certitudes et d’ambitions qui arrive en Russie. La saison d’avant elle termine à la deuxième place des nations derrière la Suisse. Jean-Frédéric Chapuis fer de lance a été sacré champion du monde en 2013 devant son compatriote Bastien Midol en Norvège à Voss-Oslo. Prometteur. L’encadrement, le staff, les athlètes s’isolent complètement dès leur arrivée sur le site et personne ne les croise. « C’était repos, boulot, dodo et on recommence le lendemain avant de rentrer dans l’événement », confirme Saguez. Le préparateur physique Sébastien Carrier renchérit « On essaie de maîtriser tous les paramètres qui influencent la performance. Tout doit être calme et posé. On était là en tant que chasseurs au lieu d’être chassés. » Après la cérémonie d’ouverture petite mise au vert en Turquie puis retour dans le villa olympique. Les entraînements s’enchaînent afin de dompter la piste Rosa Khutor, au-dessus de Sotchi. Prendre ses repères, la maîtriser parfaitement pour en connaître tous les recoins et notamment les zones de dépassement. S’élancer encore pour appréhender les sauts, bien plaquer les réceptions et travailler les départs avant la bagarre.

Quatre jours avant le début des épreuves survient un accident grave sur ce parcours. La skieuse russe, Maria Komissarova a chuté lourdement. Victime d’une fracture de la colonne vertébrale, elle a été opérée d’urgence. Un accident qui pose quelques questions sur ce sport à risques, peut-être un peu plus exposé que les autres. Personne n’a oublié le Canadien Nick Zoricic, décédé après une chute en course lors des finales de la Coupe du monde à Grindewald en 2012. Personne n’a oublié le Français Florent Astier, paralysé en 2010 après une fracture des cervicales et des lombaires. Depuis quelques années, la fédération internationale insiste sur les règles de sécurité. En course, deux types de protections sont obligatoires. Le casque et le renfort dorsal. Mais à l’entraînement chacun est libre de porter ce qu’il veut. Les athlètes français peuvent, eux, compter sur un système novateur de la Fédération française de ski. En effet un airbag de protection sous forme de gilet a été inventé. Il protège les cervicales, le thorax et possède également deux protections basses sur les hanches. « Le problème principal est le déclenchement. En ski, il est trop tard si l’on attend le choc », explique Nicolas Coulmy, responsable du département scientifique de la FFS. L’airbag se gonfle donc dans deux situations : lorsqu’un skieur déchausse ou lorsqu’un mouvement anormal est détecté. « C’est le cas par exemple lorsqu’un ski se retrouve par-dessus les épaules. » Homologué par la FIS, le système français n’était pas encore fiable à 100 % à l’époque. « C’est complexe et l’on connaît quelques bugs comme des déclenchements intempestifs qui handicapent bien sûr grandement les skieurs. On approche de la fin du développement », raconte Michel Lucatelli. Pour le moment, il est surtout utilisé à l’entraînement.

Le jour de gloire est arrivé
Il est 11h45 ce jeudi 20 Février 2014 lorsque débute enfin les qualifications du skicross homme. En lice pour représenter la France il y a 4 garçons plein d’avenir. Cette épreuve chronométrée a pour objet de déterminer les tableaux des huitièmes de finale réunissant chacun quatre skieurs. À l’arrivée, seuls les deux premiers se qualifient pour la course d’après. Sur les 4, trois sont dans la même partie de tableau. Le dernier, Arnaud Bovolenta lui est seul dans la deuxième partie. Il va devoir tracer sa route de son côté. Après les huitièmes nos tricolores sont tous en liste et les choses sérieuses peuvent commencer. Dans le second quart de finale Jean-Frédéric Chapuis, Jonathan_Midol et Jonas Devouassoux se retrouvent sur la même course. C’est ce dernier qui en fait les frais et qui reste donc au bord de la route. Les 2 autres ne se quittent plus et terminent toujours dans le même ordre. En demi-finale rebelote. Nos deux frenchies franchissent la ligne d’arrivée l’un derrière l’autre. Dans l’autre course, le savoyard se qualifie également éliminant au passage l’un des épouvantails, le Slovaque Flisar. Les autres favoris, le Canadien Delbosco ou l’Autrichien Matt, passent également à la trappe plus tôt. Le Suédois Victor Oehling Norberg, actuel leader de le Coupe du monde, a chuté à la réception du saut final alors qu’il était en tête de son quart de finale. Il s’est fait battre par le Russe Egor Korotkov, lui aussi victime d’une chute après une photo finish incroyable où la dernière place qualificative s’est jouée entre trois concurrents à terre.
Le scénario de rêve était donc en train de s’écrire et de se réaliser. Il y avait nos trois skieurs tricolores en finale des Jeux Olympiques qui avait des airs de championnat de France. Dans le portillon de départ, seul le Canadien Brady Leman, pouvait encore gâcher la fête face aux trois combinaisons blanches de Français bien décidés à aller chercher l’or olympique. Dès le départ, Arnaud Bovolenta prend les devants. Jean-Frédéric Chapuis reste en embuscade. Derrière, Midol bataille avec le Canadien. Juste avant que les cartes soient redistribuées à la mi-course. Chapuis prend la tête et ne quittera plus la position de leader. Bovolenta essaye de rattraper son coéquipier, en vain. En troisième position, Jonathan Midol est menacé par Leman. Dans la dernière courbe sur la droite, Leman s’effondre, et offre aux Bleus un podium historique. « Je ne sens pas qu’il tombe, il touche le talon de mes skis et pour moi il n’est pas tombé. Il est sur mes talons et dans la ligne droite, il va se décaler et me doubler » décrypte le skieur du Grand-Bornand. Lors du dernier jump, les deux premiers assurent tandis que Midol s’envole et termine la course en chutant. « Le fait qu’il touche mes talons me met la pression. Lors du dernier saut, avec la fatigue, j’amorti mal et je m’envole en arrière. Quand je passe la ligne, je mets du temps à réaliser car pour moi le Canadien m’a doublé quand je tombe à l’arrivée » poursuit le médaillé de Bronze. Une chute anecdotique qui vient confirmer un résultat hors du commun pour cette jeune équipe de France. Le champion du monde en titre aura été exemplaire toute la journée. Il a remporté toutes les courses pour s’emparer logiquement de l’or. Les Bleus n’ont pas eu besoin de faire une course d’équipe et de s’occuper du cas de Leman pour assurer les médailles. Sûrs de leur force, ils se sont imposés à la régulière. « Cela aurait été exactement la même course s’ils avaient été de trois nations différentes », a admis le Canadien.

Les yeux écarquillés devant l’énormité de l’événement, les entraîneurs ont exulté. « Il n’y a plus de place sur le podium, on a tout pris », hurlait l’un d’eux, Xavier Kuhn, pendant qu’une spectatrice entonnait La Marseillaise au micro du stade. De grosses larmes ont alors commencé à couler sur les joues bronzées de l’entraîneur en chef des Bleus Michel Lucatelli, chaudement félicité par le président de la Fédération française de ski Michel Vion et le DTN Fabien Saguez. « C’était inimaginable, mais ils l’ont fait, a-t-il dit, ému. Ils le méritaient tous les quatre.» Car, comme il se doit, les trois mousquetaires sont en fait quatre. Seul tricolore à ne pas accéder à la finale, Jonas Devouassoux est aussi le seul à avoir gagné une épreuve de Coupe du monde cette saison, signe de la densité de cette patrouille de France version ski.

Jean-Frédéric Chapuis « Nous sommes une bande de copains »

Pour la première fois de l’histoire des Jeux olympiques d’hiver, la France remporte un triplé. C’est l’euphorie, l’excitation, la joie, l’allégresse dans le clan des bleus. Des cris, des pleurs pour fêter les trois héros du jours. « On est un peu émus de partager ce podium à trois. Même dans un rêve, je crois que ça ne finit pas mieux. J’ai du mal à réaliser, je suis très heureux car je m’étais fixé cet objectif depuis le début de saison », a expliqué Chapuis au micro de France Télévisions à l’issue de la finale. « En finale, je vois une fusée qui me passe devant, c’est Arnaud [Bovolenta]. Je me dis : “Super, c’est quand même un Français.” Je me mets derrière pour prendre l’aspiration. Il fait une petite faute, je le dépasse proprement parce qu’on est quand même des Français. C’est d’autant plus énorme que nous sommes une bande de copains. Ce succès, on le doit à une équipe, un staff autour de Michel Lucatelli, avec les kinés, les techniciens, le médecin. On a fait une très grosse préparation physique et ça paye aujourd’hui. Il y a des sacrifices qui s’effacent d’un coup, avec de telles émotions. On est parti en Turquie après la cérémonie d’ouverture pour peaufiner cette préparation en restant dans notre bulle. Avant nous avions fait de la cryothérapie à l’Insep pour récupérer. Nous avons une très grosse base technique avec un fond d’alpin… Franchement, nous n’avons rien laissé au hasard pour faire ce triplé. C’est beau. »
Arnaud Bovolenta « Comme dans un rêve ! »

Arnaud Bovolenta, qui n’était jamais monté sur un podium en Coupe du monde, ne réalise pas d’avoir décroché l’argent en ski cross aux côtés de ses deux amis. « Je suis remonté après les deux autres car nous n’étions pas dans la même demi-finale avec Jonathan et Arnaud. On a à peine eu le temps de se parler, une tape dans les mains et au combat. On en avait parlé en rigolant de se retrouver tous en finale. « Micth » (Lucatelli) avait dit : vous vous qualifiez tous les quatre et moi je ne regarde pas la finale et je me barre. Je ne réalise pas encore que nous avons fait ce triplé olympique historique. Je pense à tous les gens qui se sont réunis à Arêches dans une salle, à ma copine, à mes parents et beaux-parents. C’est vraiment super. Des fois, on en plaisantait à l’entraînement en se disant « tous en finale aux JO ! » Trois Français sur le podium, on est comme dans un rêve, s’est-t-il extasié. On s’est donné à fond, tout s’est bien déroulé. Vice-champion olympique, c’est énorme. »
Johnatan Midol « Juste fou ! »

Johnatan Midol quant à lui ne réalise pas encore et a une pensée pour son frère. « C’est historique ! Pour l’instant je ne réalise pas du tout, avoue Midol. On est aux Jeux Olympiques, on est trois potes sur le podium. C’est incroyable ! Je ne sais pas quoi dire. On y a pensé mais c’était en plaisantant. Je ne réalise pas encore. Être avec trois potes, c’est juste fou. J’avais bien commencé la journée avec un super run d’entraînement. J’étais bien content et après j’ai complètement foiré ma qualification (29e et dernier à 3 secondes). Il fallait se remobiliser, apparemment j’ai su faire. Jean-Frédéric était un gros client aujourd’hui. Il avait de gros “starts”. J’ai fait mes trois runs derrière lui. Je voulais lui faire le coup en finale. J’ai foiré un peu ma finale. J’ai su limiter la casse et revenir doubler le Canadien. C’est magique. On ne réalise pas. On est ensemble mais on est tout le temps ensemble, ça ne change pas. J’ai une grosse pensée pour mon frangin (Bastien, vice-champion du monde et blessé. Plusieurs tassements de vertèbres dorsales et une fracture du sternum. Ndlr). Le grand-Bo doit être en feu. »

Il faut également souligner que ce fameux triplé a été menacé par un recours au tribunal arbitral du sport (TAS). En effet, une demande a été déposé conjointement pat le Canada et la Slovénie pour obtenir la disqualification des trois Français. Le communiqué stipule « Ils font valoir que, juste avant la grande finale, le personnel de l’équipe de France a changé la forme de la partie basse des pantalons des skieurs, créant un effet aérodynamique que les appelants considèrent comme contraire aux règles internationales de compétition de ski acrobatique. » Requête qui peut faire sourire, mais elle est très sérieuse venant de mauvais perdants. Tout simplement grotesque. Bien évidemment les appels sont rejetés le lendemain par le biais du secrétaire général du TAS, Matthieu Reeb.

Six ans plus tard, impossible d’oublier ce moment gravé dans la mémoire des amoureux du ski et des jeux olympiques. Une journée de grâce, d’apothéose durant laquelle trois as de la voltige auront porté haut les couleurs du pays et du skicross. Discipline trop peu médiatisée malheureusement qui se bat avec des moyens dérisoires et un manque de notoriété criant. Merci messieurs pour cet exploit, ces émotions, ces sourires, ces médailles et cette marseillaise épique avec trois drapeaux tricolores flottant dans le ciel de Sotchi. Juste inoubliable. Impossible de refermer ce chapitre sans évoquer l’immense Ophélie David. Ambassadrice et reine incontestée de ce sport avec ses 3 gros Globes de Cristal, ses 64 podiums dont 26 victoires en Coupe du Monde. Une immense championne, pionnière qui a donné des vocations. Son palmarès est aussi grand que sa générosité. Cela mériterait un portrait pour retracer son incroyable carrière. Affaire à suivre.