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Des titres en Grand Chelem au front de l’est : L’incroyable destin de Gottfried Von Cramm et Heinrich Henkel.

Le sport et ses histoires. Depuis 150 ans, et la présence de la discipline sportive moderne telle que nous la connaissons, celle ci regorge de chapitres incroyables. Des moments mythiques, légendaires, insolites ou tragiques qui ont fait l’histoire. Mais lorsque cette histoire sportive croise l’Histoire avec un grand H, cela peut donner des parcours de vie exceptionnel au sens premier du terme.

Le tennis allemand n’a jamais fait parti des nations fortes du tennis mondial. Pour le grand public, il rime avec un nom : Boris Becker. Si “Boum-Boum” a remporté 6 titres du Grand Chelem, ainsi que 2 des 3 coupes Davis de notre voisin d’outre-Rhin, il n’est pas le seul joueur à avoir soulever un titre du Grand chelem. Si Michael Stich, son contemporain, a fait main basse sur un titre à Wimbledon, c’est dans les années 30 que le tennis allemand a vécu ses autres plus belles heures. Par l’intermédiaire de Gottfried Von Cramm, doublement titré à Roland Garros, et également grâce à Heinrich “Henner” Henkel, lui aussi vainqueur Porte d’Auteuil, en 1937.

Michael Stich, à gauche, et Boris Becker, à droite, les deux autres vainqueurs en Grand Chelem de l’histoire du tennis Allemand

De tout temps, de jeunes enfants furent prédestinés à briller dans un sport. Henner Henkel fait parti de cela. Né en 1915, au cœur du premier conflit mondial, a Poznan, dans l’empire allemand de l’époque, il découvre très vite le tennis, sport pour lesquels ses parents possèdent un amour tout particulier. Pratiquant également le football, le jeune garçon va connaître à l’adolescence une histoire classique : un choix s’impose à lui. Encouragé par ses géniteurs, il choisi le tennis. Un choix qui s’avérera payant. Car du talent, le jeune allemand n’en manque pas. Double champion national junior, membre important de l’équipe de Coupe Davis d’une Allemagne au tournant de son histoire, il n’est pourtant pas le joueur star du pays.

De 6 ans son aîné, Gottfried Von Cramm est la première légende du tennis allemand. Fils d’un baron, Von Cramm fait parti de l’aristocratie allemande. Bien éduqué, beau garçon, toujours fair-play dans la victoire comme dans la défaite, il correspond parfaitement à l’image du tennisman de l’époque. D’ailleurs, cette appartenance a la bourgeoisie et son caractère le firent hériter d’un surnom : Le baron.

C’est dans ce contexte que Henkel arrive sur le circuit mondial. Souvent en dilettante, peu sérieux, le jeune allemand a du mal à se concentrer sur le tennis. Pour les experts de l’époque, le futur vainqueur de Roland Garros 1937 était le plus talentueux des 2 allemands. Mais malgré son titre en Majeur, il ne dépassera jamais son compatriote. Très vite, il fut surnommé “Shadow Prince”, littéralement le prince de l’ombre. Car quoi qu’il fasse, il ne put se défaire d’être l’ombre de son charismatique aîné. 9 décennie plus tard, la donne reste la même.

Pourtant, les 2 hommes s’apprécient. Paire de double talentueuse, ils remportent 2 Grands Chelem en double, en 1937, à New York et à Paris, offrant un doublé rare à Henkel. Cette année là fut celle de tout les succès pour le joueur de 22 ans. Exempté de premier tour, comme c’était le cas en Grand Chelem à l’époque pour les premières têtes de séries, Henner se balada sur l’ocre parisienne. Après 3 premiers matchs tranquille contre des joueurs non tête de série, malgré un set perdu, il enchaîna 3 démonstrations en quart, demi et finale. Vainqueur du numéro 2 mondial en demi-finale, il écrase par la suite Henry Austin, le numéro 1 mondial, 6/1 6/4 6/3. S’appuyant notamment sur son incroyable première balle, son point fort, il profite de ce titre pour devenir le deuxième allemand à remporter Roland Garros. Le premier ? Gottfried Von Cramm, 3 ans auparavant. Dans l’ombre, encore une fois.

“Le prince de l’ombre” Henner Henkel, à gauche, et “le baron” Gottfried Von Cramm, à droite.

Mais si le tennis devient de plus en plus populaire au cours des années 30, le monde, lui, s’apprête à (re)prendre feu. Et au cœur de cet indescriptible brasier qui se profile se trouve l’Allemagne.

Dès la prise de pouvoir d’Adolf Hitler, le régime Nazi veut promouvoir à travers le sport la prétendu domination de la race aryenne. Avec 2 tennismen grand, blond et musclé, faisant parti du gratin mondial, l’occasion est belle de s’immiscer entre la France, l’Australie et le Royaume-Uni, les seules nations à avoir remporter la Coupe Davis. Mais très vite, des tensions se créent. Prier de porter le croix gammé sur les tenus et de faire le salut nazi avant les matchs, Henkel s’exécute. Pas Von Cramm. En 1935, en demi finale contre les États-Unis, alors que l’arbitre donne la victoire à Von Cramm lors du match décisif, ce dernier précise que le point n’est pas valide et n’accepte pas la victoire. Le numéro 1 allemand fini par perdre, privant l’Allemagne d’une finale. Une décision qui alourdit les conflits entre le meilleur joueur allemand et le régime Nazi.

Si son statut de star le rend intouchable un temps, la cruauté de la peste brune le rattrapera. En 1937, Hitler en personne l’appelle pour le prier de gagner à tout prix en Coupe Davis contre Donald Budge. Peine perdu, Von Cramm s’incline 8-6 dans l’ultime set. Refusant, malgré les demandes récurrentes de Herman Goring, de rejoindre le parti nazi, son homosexualité avec un jeune acteur juif le rattrapera. Arrêté par la Gestapo, il sera condamné à un an de prison pour homosexualité et aide financière à un juif. Grâce à l’aide du monde du tennis, notamment de Budge (Qui “profite” de l’absence de l’allemand, en 1938, pour réaliser le Grand Chelem), qui propose une pétition signé par de grand nombre de joueurs, et grâce au travail de son avocat dénonçant un complot, il voit sa peine légèrement alléger. En revanche, Wimbledon ou il fut 3 fois finaliste, l’abandonne totalement, ne lui donnant pas le droit de jouer en 1939, officiellement parce qu’il était un criminel, officieusement à cause de son orientation sexuel. Il pourra tout de même rejouer au tennis, notamment à l’US Open avant que la guerre ne vienne stopper sa carrière l’année suivante.

Pendant ce temps là, Henkel a tout les peines à enchaîner. Malgré 2 finales en double messieurs et une en mixte en 1938, sa carrière en simple bat de l’aile. Une demi finale à Wimbledon sera son dernier bon résultat en majeur. A 24 ans, lui aussi voit le conflit mondial freiner sa carrière. Si il peut encore jouer, profitant de son statut de sportif de haut niveau, il voyage moins. A l’été 1942, il joue et remporte le tournoi de Bad Pyrmont. Il ne le sait pas encore, mais plus jamais il ne retouchera la raquette. Pire encore, il ne lui reste que quelque mois à vivre.

Car désormais, il n’y a plus de passe droit. En attaquant l’URSS par surprise au petit matin du 22 Juin 1941 le IIIè Reich s’est attaqué à un gros morceau. Si la blitzkrieg si efficace a l’ouest emmène rapidement la Wermacht devant Moscou, la météo, la résilience russe, le sacrifice des soldats, les renforts venu de Sibérie et l’ingéniosité du Maréchal Joukov vont stopper l’avancée allemande. Mais Hitler s’entête et envoi toujours plus de soldats pour faire plier l’armée rouge. C’est dans ce contexte de pertes atroces que Henner Henkel se retrouve incorporé dans la Wermacht a l’automne 1942. Désormais les grandes figures sportives ne peuvent plus échapper aux services militaires. Gottfried Von Cramm, lui, a fait le sien en Mai 1940. Lui aussi se battra sur le front de l’est, participant à l’un des théâtres d’opération les plus ignobles de l’histoire de l’humanité. Souffrant de grave engelure, récompensé de la croix de guerre, il put se faire rapatrier vivant.

Mais pour Henner Henkel, la donne n’est pas la même. A l’aube de la guerre total prononcé par Joseph Goebels au Reichtag, l’armée allemande se présente devant Stalingrad. Ville à l’intérêt stratégique pourtant limité, Hitler se fixe l’idée de faire tomber la cité portant le nom de son ennemi. Henkel, lui, fera son baptême du feu durant la plus grande bataille de l’histoire militaire.

Soldats allemands marchant dans les ruines de Stalingrad

Après des mois de combats atroces, la 6ème armée du futur Maréchal Paulus est à quelques encablures de la Volga, et s’apprête à faire tomber la ville. Mais l’hiver est là, et l’armée russe lance l’opération Uranus, attaquant en profondeur et encerclant les troupes allemande présentes dans les décombres de la ville. Blessé mais vivant, le tennisman doit alors, comme des milliers de ses camarades, vivre l’enfer sur terre. Enfermé dans le Kessel (chaudron) de Stalingrad, au milieu des plaines entre le Don et la Volga, l’armée allemande ne peut s’abriter du vent et du froid de la campagne russe. Avec des températures descendant à -50 degrés, et un manque de matériel, nourriture, munitions, tenu d’hiver médicaments et de moyens de soigner les blessés, seul l’attente du contre attaque fait tenir les hommes. Une contre attaque qui ne viendra jamais. Goring, chef de la Lutwaffe, l’homme qui avait appelé personnellement Von Cramm pour le faire rentrer au parti Nazi, avait juré de livrer quotidiennement 550 tonnes de matériel dans le chaudron. Sa flotte ne peut en livrer que 94 tonnes en moyenne et encore, pas quotidiennement. Les rations de nourritures tombent à 50 grammes de pains par jour. Indirectement, ses promesses non tenues et la bataille de Stalingrad en elle même finiront par causer la perte de 734 000 soldats allemands, dont celles de Heinrich Henner Henkel, décédé à 27 ans mi Janvier 43, 3 semaines avant la capitulation d’une 6ème armée à bout de force, souvent considéré comme le tournant de la seconde guerre mondial.

Cliché célèbre du Maréchal Friedrich Paulus capitulant à Stalingrad

Gottfried Von Cramm aura combattu à quelques dizaines de kilomètres de son ancien partenaire de double. Lui aura eu la chance d’échapper au front de l’est. Accusé d’avoir participé au complot contre Hitler en 1944, il réussira à survivre et à s’exiler en Suède. Après guerre, il ne quitta pas le monde du tennis, jouant même jusqu’à 40 ans à un bon niveau, notamment en Coupe Davis. Il devint par la suite administrateur de la fédération de tennis de la RFA, puis un businessman prospère. Il se tua dans un accident de voiture au Caire en 1976 à l’âge de 67 ans.

Si une compétition de jeunes porta un temps son nom en Allemagne, Henner Henkel est un oublié de l’histoire tennistique. Cependant, l’héritage laissé par Gottfried Von Cramm est également faible en comparaison de son impact sur le tennis d’avant guerre, notamment sur ses 3 finales mythiques à Wimbledon, dont la fameuse défaite face à Fred Perry en 1936. Lié par le jeu et par l’histoire, les 2 hommes ne méritent pas l’oubli dans lequel ils sont plongés depuis tant d’année. Si le nom de Von Cramm est parfois cité, celui de Henkel est presque inconnu. Presque 90 ans après, le grand serveur allemand reste, encore et toujours, dans l’ombre du baron.

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