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Comment le continent Africain est devenu le centre de formation du monde ?

En juin 2019, le club anglais de Liverpool a soulevé sa 6ème Ligue des champions de son histoire. Parmi les acteurs majeurs de ce sacre, on trouve 4 joueurs africains : Mohamed Salah (Egypte), Sadio Mané (Sénégal), Joël Matip (Cameroun), Naby Keita (Mali). Une présence non négligeable sur le plan sportif mais qui symbolise également l’importance actuelle du continent noir dans le football européen. Alors que le football apparait comme l’un des éléments phare de la mondialisation, l’Afrique tend à se faire une place de plus en plus importante de ce processus. Reconnue pour son vivier et pour la qualité de ses talents, celle-ci tend à obtenir plus de reconnaissance à travers leur réussite. Analyse du rôle tenu par l’Afrique dans le football d’aujourd’hui.

L’ancrage historique des Africains dans le football européen

Le premier footballeur Africain a foulé les pelouses européennes est Hussein Hegazi, un Egyptien venu à Londres en 1910 pour y faire ses études. L’attaquant connu outre-manche pour sa finesse technique, sa rapidité et sa force de frappe, portera notamment les couleurs de Dulwitch Hamlet et de Fulham avant de retourner au pays en 1914. En France, les footballeurs d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie prennent une part importante du football métropolitain dès les débuts de l’ère professionnelle (à partir de 1932). Ces derniers n’ont rien à envier en termes de talent et de fougue à leurs homologues de l’Hexagone, pour preuve, une sélection nord-africaine avait par deux fois battu l’équipe de France en 1924 et 1925.Le premier d’entre-eux à joindre une équipe de football en France fut l’Algérien Ali Benouna qui intègre l’une des équipe phare de l’époque, le FC Sète en 1930. Ses performances lui permettent d’obtenir deux sélections avec l’Equipe de France en 1936, il est le premier Maghrébin à porter le maillot tricolore.

Hussein Hegazi (3ème en haut à droite), premier footballeur africain à jouer en Europe (Photo : BBC)

La présence de joueurs nord africains dans le championnat français devient par la suite chose courante. Leur nombre atteint la quarantaine avant la seconde guerre mondiale. Parmi eux, le Marocain Larbi Ben MBarek s’inscrit comme la légende du football français. Remarqué lors d’un match France-Maroc en 1937, « la perle noire » comme le surnomme la presse, est recruté par l’Olympique de Marseille l’année d’après, où évoluent les algériens Riahi Rabih et Abdelkader Ben Bouali. Sa technique hors du commun et son efficacité exemplaire éblouissent les foules et le propulse dans une Equipe de France, qui gagne du gallon au niveau international. Idolâtré par Pelé lui-même, il en défendra les couleurs jusqu’en 1954 et connaitra un intermède à l’Atletico Madrid pendant sa période marseillaise. Les joueurs d’Afrique sub-saharienne tardent à joindre les championnats européens du fait qu’ils étaient rarement intégrés dans les équipes locales de leurs propres pays, dominées par les colons. Si le sénégalo-guyanais, Raoul Diagne en est le précurseur dans les années 1930, ce n’est après la Seconde Guerre mondiale que les footballeurs sub-sahariens deviennent de plus nombreux en France.

Profitant de leur statut de membre de la « communauté française », les joueurs ivoiriens, sénégalais notamment échappent aux restrictions qui s’appliquent aux joueurs étrangers. Dès l’équipe de Saint-Etienne le titre de champions de France en 1957 avec Eugène N’Jo Léa (Cameroun) et Rachid Makhloufi (Algérie) dans ses rangs. Dans les années 60, les stars africaines, à l’instar de Salif Keita (premier vainqueur du ballon d’or africain), profitent de la médiatisation accrue des compétitions locales, comme la CAN, pour se faire reconnaitre et partir vers l’Europe. Leur réussite influence les générations suivantes et permettent également un développement des sélections nationales sur le plan international. Jusqu’à l’édition 1970 et l’invitation du Ghana, l’Afrique ne connait aucune participation à la Coupe du Monde depuis celle de l’Egypte en 1934. Le fait colonial et sa fin à partir des années 1950, ainsi que le manque de considération pour ces nouvelles équipes, participent à ce « boycott » du continent noir. Mais les exploits sportifs des éditions suivantes (Algérie 1982, Cameroun 1986 puis 1990) favorisent l’exode des meilleurs éléments et participent à la reconnaissance de ces dernières. Dès lors, le nombre de participants africains à la Coupe du Monde augmentent pour atteindre aujourd’hui le nombre de cinq (le record étant de six avec l’édition 2010 se déroulant en Afrique du Sud, pays invité en tant qu’organisateur). Et le nombre de joueurs africains jouant en Europe a considérablement augmenter depuis les années 80 (voir tableau 2 tiré de l’article de Claude Boli : Les footballeurs noirs africains en France, des années cinquante à nos jours).

Les liens africano-européens illustrés par l’exemple des académies.

La popularité du football en Afrique est inimaginable: pratiqué par les riches comme par les pauvres, et ce dans les 54 pays d’Afrique. Aux 4 coins du continent, on adule les clubs Européens, que ce soit les deux mastodontes Espagnols que sont le FC Barcelone et le Real, ou les clubs Anglais. Arsenal par exemple, compte 20 clubs de supporters à travers le continent, comme nous l’explique le Youtubeur Wiloo dans sa vidéo « Pourquoi Arsenal est aussi aimé en Afrique ». Cette popularité amène à une pratique globale bien illustrée par exemple par Vinsky lors de son voyage en Tanzanie dans une excellente vidéo-documentaire que vous pouvez retrouver en cliquant ici. Cette pratique amène donc des millions de jeunes joueurs à rêver de l’Europe, ses grands clubs, ses grandes stars. Souvent peu encadré, en raison d’un manque d’infrastructures, le football africain dans son ensemble reçoit l’aide de grands clubs européens.

Vinsky lors de son voyage en Tanzanie, à retrouver sur sa chaine Youtube. (Crédits : Twitter Vinsky)

En effet, ces grands clubs investissent de plus en plus sur le continent africain. Loin d’être philanthropes, ces clubs savent que le Togo, la Cote d’Ivoire, le Sénégal et tous les autres pays sont un réservoir à pépites. En créant ou en soutenant ces académies via des partenariats, les clubs Européens permettent tout de même au football local de se développer. En effet, on peut prendre l’exemple de l’OM, qui a récemment mis en place une politique de rapprochement avec le continent. En effet, le club phocéen a décidé de s’implanter à Alger et Tunis avec 2 écoles de formation, en attendant l’ouverture d’une 3e à Abidjan. Le club phocéen à aussi officialisé un partenariat avec Diambars, académie de football au Sénégal. Dans le cadre de ce partenariat, l’OM possédera la possibilité de faire venir en priorité 2 joueurs de Diambars en France, en échange d’un apport du savoir, de la connaissance et de l’expertise professionnelle du club Olympien, que ce soit en se rendant sur place ou en invitant des formateurs à Marseille. Cet échange permet aussi aux joueurs des Diambars de progresser, au club de Diambars de grandir et de faire progresser le football Sénégalais.

La West African Football Academy, en partenariat avec Feyenoord, aux couleurs de l’équipe hollandaise. Elle est d’ailleurs la suite de Red Bull Africa, qui a fermé ses portes en 2014. (Crédits : Ghanasoccernet.com)


Les exemples de ces académies partenaires sont nombreux. Barcelone a ainsi ouvert 4 antennes en Afrique, la West African Football Academy du Ghana a été fondée par Feyenoord. Ces académies, disséminées à travers de nombreux pays Africains, permettent au continent de faire grandir des talents qui permettent de mettre la lumière sur leurs pays, tout en préservant des centaines voire des milliers de jeunes joueurs. En effet, ces académies servent aussi à « répondre à la problématique des flux migratoires de jeunes footballeurs africains, qui viennent en Europe en prenant des risques inconsidérés » comme le disait Jean-Marc Adjovi-Boco, directeur Général de Diambars. Cela a aussi des retombées positives, notamment en termes d’infrastructures. Le FC Metz, qui a un partenariat avec Génération Foot, a investi plus de 10M en infrastructures et matériel dans le club champion du Sénégal en 2017 et 2019. Ces académies, aux avantages différentes de chaque côtés du clubs permettent au football mondial dans son ensemble de se développer en tissant des lieux inter-continentaux.

A Daker au Sénégal, on profite du partenariat FC Metz-Génération Foot pour obtenir du matériel de musculation afin de se professionnaliser. (Crédits : L’Alsace)


Bien que ce ne soit pas le but de cet article, il faut aussi souligner l’existence de plusieurs académies véreuses, attirées par le profit et alimentée par des agents peu recomandables. Il faut aussi mentionner plusieurs témoignages accablant des clubs européens qui ne respectent pas leur part du marché, et qui, par exemple, ne payent pas les indemnités de formation à certaines formations du continent africain. Il y a aussi une certaine supériorité affichées par des personnalités et clubs du Vieux continent dont l’éthique est questionnée dans cet article universitaire de 2007 (en anglais) que je vous conseille de lire : Football Academies and the migration of African Football Labor To Europe.

Les répercussions sur le football actuel.

Ces académies ont permis, comme nombre d’autres innovations, de développer le football Africain dans son ensemble. L’organisation de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud en est bien sûr le point d’orgue. En développant des stades, des centres d’entraînement, en professionnalisant le sport, le championnat Sud-Africain s’est fortement amélioré. Il y a aussi les sélections Sénégalaises et Algériennes, finalistes de la dernière CAN et pays bénéficiant de liens importants avec l’Europe, que ce soit via les bi-nationaux (Koulibaly, Mahrez, Feghouli), les académies comme on vient de le voir, ou encore des programmes de la FIFA visant à favoriser le développement du football en Afrique. Si les pays africains brillent d’eux mêmes, ils brillent aussi via les sélections européennes qui bénéficient de plusieurs bi-nationaux. En France, Kimpembe possède des origines Congolaises (il a même porté le maillot de de la RDC en espoirs), en Allemagne Boateng aurait pu représenter le Ghana, et les exemples s’ensuivent sans fin.

Kimpembe, n°4, sous le maillot de la RDC espoir. (Crédits : Presnel Kimpembe Wikiland)

De plus, à la base de nombreuses initiatives de partenariats, d’académies, de différents programmes visant à développer le football africain sont d’anciens joueurs : Basile Boli à l’OM, Mady Touré avec Génération Foot, etc. En éduquant de jeunes footballeurs, qu’ils deviennent ou non professionnels, le continent bénéficie de jeunes, diplômés, et qui, souvent, vont pouvoir aider à continuer le développement du football dans leurs pays. Enfin, il faudra voir l’implication que mettront la génération de joueurs africains actuels à la fin de leur carrière à développer le football dans leur patrie. Car, comme l’explique Jean-Marc Adjovi-Boco : « Il est important que, plus tard, ils jouent un rôle dans le développement de leur pays et de leur continent ».
En revanche, comme nous l’avons signalé avec l’exemple des académies, il y a encore de réels progrès à faire. La pauvreté du continent dont profite certains agents, certains clubs, les problèmes structurels et infrastructurels, la l’exploitation de jeunes joueurs dans le seul but de faire de l’argent, dont certains sont envoyés seuls en Europe et doivent survivre sans passeport, sans club et sans leurs proches. Encore une fois, ce n’est pas le but de l’article, mais il serait irresponsable de fermer les yeux sur les encore trop nombreux problèmes liés au football sur l’entièreté du continent Africain.

Depuis un demi-siècle, les footballeurs africains ont profondément modifié le profil des joueurs étrangers dans les championnats européens. Grâce à une politique de développement structurelle, on assiste aujourd’hui à la présence massive de joueurs en provenance du Sénégal, du Cameroun, de Côte d’Ivoire et d’Afrique du nord. Les liens historiques entre les anciens pays colonisateurs et les pays longtemps sous tutelle ont inscrit dans la pérennité des mouvements migratoires. Cela situe l’Europe dans une situation d’exception. Le nouveau marché mondial du football a accéléré la fuite des joueurs africains vers l’Europe, et plus particulièrement en France, ce qui en fait le premier pays d’immigration de footballeurs. Ce processus tend à continuer et pourrait permettre à l’Afrique d’obtenir la reconnaissance tant espérée sur le long termes, comme c’est déjà en partie le cas avec l’organisation du mondial 2010. Mais à quel prix ?

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