En réalisant l’un des plus gros exploits sportifs du XXI siècle, Leicester City nous a fait réaliser, une fois de plus, à quel point le foot est un sport imprévisible. Cette saison encore, Leicester dépasse toutes les espérances et semble vouloir s’installer durablement à la table des grands. Entre recrutement, gestion sportive, tragédie et ambition, voyons comment les foxes ont géré la transition de champion surprise à club majeur du paysage de la Premier League.
Ne pas brûler les étapes.
Les foxes ont pris le temps. Plutôt que de céder à la folie des grandeurs, il ont cherché à faire évoluer l’effectif petite touche par petite touche. Tout d’abord, chercher à le rajeunir : Ndidi arrive à 19 ans, Mendy à 24, seul Slimani débarque à 28 ans. Ils arrivent afin de combler des départs (Kanté à Chelsea), mais aussi afin de renforcer un effectif en quantité, la Ligue des Champions étant sur le pallier. Ces petites touches, années après années, de Maguire,Iheanacho, à James Maddison en passant par Tielemans, ont permis, petit à petit, de remplacer des joueurs comme Okazaki, Huth, Simpson etc; limité en qualité et en âge fotballistique.

Alors que la Ligue des Champions auraient pu faire tourner la tête d’un club riche (son président, le regretté Vichai Srivaddhanaprabha, était milliardaire), ils ont décidé d’avancer, de continuer sur leurs lignes directrices, sans pour autant perdre la tête. Et donc, tout en respectant leur tradition d’aller chercher des joueurs dans les divisions inférieures, ils ont aussi su faire évoluer leurs méthodes de scouting.
Un recrutement ciblé et intelligent.
Rob MacKenzie, scout du club dans les années 2010, soutient que Leicester était l’un des premiers à utiliser la data, et continue à agir de la sorte afin de réaliser de bons coups sur le marché des transferts. Le club avait même mis en place un système codé permettant de “savoir ou en était un joueur dans sa carrière, savoir s’il surperformait et savoir s’il était capable de se développer encore plus“.Enfin, comme tout club intelligent sur le marché des transferts, le club cherchait à cibler des profils, via les stats, afin de sélectionner certains joueurs à aller superviser. C’est comme ça qu’Anthony Knockaert et Riyah Mahrez (entre autres) ont été recrutés. Mais alors, recruter, c’est si simple ? Mackenzie encore : “Il y a quelques années, je l’aurai pris à coeur si une recrue n’aurai pas fonctionné. Mais il y a tellement de facteurs qui peuvent influencer la réussite d’un joueur, son incapacité à s’intégrer, des éléments privés, changements de systèmes et/ou de coachs, etc. Il faut juste minimiser les risques d’un échec.” Ce qui explique, par exemple, les échecs Iborra, Adrien Silva ou encore Ahmed Musa.

Il faut aussi souligner la volonté de Leicester de cibler des profils de joueurs capable de s’associer avec les joueurs déjà en place. Par exemple, Slimani avait été acheté afin de compléter Jamie Vardy en point du 4-4-2 de Claudio Ranieri. Ayoze Perez et Ricardo Pereira sont associés sur le flanc droite, car le Portugais aime monter le long de la ligne quand l’Espagnol, joueur formé dans l’axe, a la tendance à revenir dans l’intérieur du terrain dès que possible.
Définir sa politique sportive.

La fameuse “politique sportive” souvent utilisée comme lieu commun des dirigeants footballistiques, Leicester à décider d’axer sa politique sportive sur la continuité. Que ce soit via l’effectif, comme nous l’avons vu plus haut, mais aussi sur le reste du club. Cette continuité, elle est réelement voulue par le club: Aiyawatt Srivaddhanaprabha, successeur de Vichai, son père, disait il y a quelques semaines vouloir “approuver tous les aspects du club afin de le rendre successible sur la durée pour les générations à venir.” Et ces paroles ne sont pas des paroles en l’air. Grâce à une politique sportive claire, menée par Jon Rukdin, le directeur sportif des Foxes. Le club a, par exemple, investi dans la construction d’un nouveau centre d’entraînement, au prix de 80 millions de livre Sterling, qui devrait faire partie des meilleurs installations Européennes. Cela pourra permettre aux jeunes joueurs de pouvoir évoluer dans les meilleures conditions, car c’est aussi une des volontés du club. Récemment, leur chance a été donnée (avec succès) à Harvey Barnes et Ben Chilwell, récompensant le travail effectué en amont par tout le système de formation. Brendan Rogers n’y est pas pour rien dans la réussite de ces jeunes joueurs. Bien qu’arrivé l’été dernier, il a su apporter encore autre chose au champion de Premier League 2016.
Trouver un coach qui fait progresser son équipe.

Depuis le départ de Ranieri, Craig Shakespeare, puis Claude Puel, ont fais les frais de mauvais résultats. C’est donc Brendan Rogers, le Nord-Irlandais amoureux du jeu de possession, qui a repris le flambeau. Passé par Liverpool, Swansea et le Celtic avec des succès mitigés, le coach est arrivée avec une réelle volonté de mettre en place un jeu plus séduisant que par le passé dans le club des Midlands. Mais, avant de mettre en place ses principes, il a décidé de s’adapter à ses joueurs en cherchant à faire briller leurs qualités individuelles. Il a donc cherché à mettre ses meilleurs passeurs dans les meilleurs dispositions: laisser de la liberté à ses milieux créateurs, Maddison et Tielemans, à ses latéraux très bons centreurs, Chilwell et Ricardo Pereira. Tout ceci permet à Vardy d’être très bien servi, de ne pas avoir à décrocher pour venir chercher le ballon. Avec sa qualité d’appel, sa vitesse et sa finition, l’Anglais cumule les buts cette saison.
Rogers à décider de se servir de Ndidi pour couvrir toutes ces courses et permettre à son équipe de garder un certain équilibre. Ce que le Nigérian s’éclate à faire, avec 2,7 interceptions par match ( 2e total le plus élevé de PL), et 4 tacles de moyenne, 2e taux le plus élevé de PL.
Mais tout ça, ce ne sont que des capacités individuelles mises en lumière par un collectif bien huilé. Mais comment?
Pourquoi Leicester brille autant cette saison?
Leicester City ne concède pas énormément d’occasions, en raison de son énrome pressing. Son PPDA (Passes per defensive action), meilleure mesure afin de quantifier le pressing d’une équipe, est le moins élevé de PL, ce qui signifie qu’en moyenne, Leicester ne concède que 8 passes afin de récupérer le ballon. A titre de comparaison, Arsenal en concède 10, et Newcastle, dernier de cette catégorie, 19. Ce pressing n’est pas fait sans ligne directrice: la capacité de Vardy à répéter les courses et utilisées afin de presser l’ensemble de la ligne défensive, tandis que les 9 joueurs derrière lui cherchent à isoler les solutions au porteur de balle, afin de pouvoir le presser très fort quand la passe est donnée. Ndidi est chargé de déclencher le pressing, que ce soit par sou mouvement ou en dirigeant ses coéquipiers. Il est aussi celui qui couvre la totalité des espaces laissés par ses partenaires, par exemple les courses offensives de ses latéraux. Evans est utilisé afin de monter ou descendre la ligne défensive et le bloc équipe, tandis que Soyuncu est chargé de couvrir le pressing de ces arrières latéraux. Ce mouvement lui permet de récupérer beaucoup de ballons, ou de pouvoir le recevoir et de faire parler sa qualité de passe afin de relancer et de pouvoir lancer les transitions.

A la récupération de balle, Vardy est chargé de faire reculer la ligne défensive, créant de l’espace pour Maddison et Tielemans, et ceux ci s’y engouffrent avec plaisir: Maddison possède le 2e taux le plus élevé de passes clés par match (2,7); le 3e taux de fautes subies par match (environ 3). Bien aidé par les ailiers intérieurs, Barnes et Perez, qui n’hésitent pas à repiquer afin de proposer des solutions au porteur de balle, Leicester avance en cherchant énormément le jeu en triangle. Les couloirs, libérés, sont laissés aux latéraux. Mais ceux-ci ne sont pas les seuls centreurs : Maddison et Tielemans n’hésitent pas à attaquer les demis espaces afin de se trouver en position de centre. Vardy, Barnes et Perez se retrouvent donc souvent dans la surface afin de conclure les actions.
Grâce à des joueurs très fins techniquement, aux appels en profondeur de Vardy et à des solutions sur le banc, Leicester peut trouver la faille même contre des équipes très bien organisées défensivement.
2020 sera-t-elle l’année du retour de Leicester en Ligue des Champions ? C’est très fortement possible, même si le Covid-19 pourrait changer les choses. Mais qu’importe, le champion d’Angleterre 2016 continuera sa progression. Car son ambition n’est pas de jouer la Champions League une fois tous les 3-4 ans, mais de s’installer durablement parmi les plus grands clubs anglais. Leicester fait partie de ces clubs, comme l’Ajax, l’Atalanta voire Reims à son échelle, qui progressent chaque année depuis quelques saisons, grâce à quelques principes : ne pas vouloir brûler les étapes, recruter intelligemment, avoir une direction sportive claire et dirigée sur la continuité, et un coach qui fait progresser ses joueurs et qui a des idées de jeu. Des principes si simples, et pourtant si rares.