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L’E-sport peut-il remplacer la performance sportive du sport traditionnel?

Confinés chez nous, nous tentons tous de tuer le temps. Certains bricolent, d’autres lisent, beaucoup regardent Netflix, et de plus en plus jouent aux jeux vidéos. Ceux-ci peuvent être à but divertissants, instructifs, familiaux, et une poignée d’entre eux demandent une telle maîtrise depuis plusieurs décennies maintenant que des compétitions existent, et, de là, l’E-sport est né. Alors, on se demande aujourd’hui quels caractéristiques requiert la pratique de l’E-sport et si elle peut se substituer au sport traditionnel (en attendant que les compétitions de sport traditionnel reprennent!).

Avant de s’intéresser à ce que peut offrir l’E-sport, veuillons, peut-être, définir en quoi consiste la performance sportive traditionnelle. Il y a, déjà, évidemment, la constante physique: endurance, vitesse, agilité, courses à haute intensité, force, puissance, et j’en passe. Il y a, aussi, la constante intelligence: placement, mise en place de la tactique prédéfinie, gestion de l’espace, etc. Il y a, enfin, les capacités morales, comme la résilience, le calme, la patience, la gestion des émotions, la lucidité, et bien plus encore. Même si ces capacités peuvent être bien plus largement détaillée, elle résument amplement l’essentiel des capacités recherchées par l’ensemble des sports traditionnels. Alors, je vous propose tout simplement de prendre chacune de ces catégories, et de détailler les différences et les similitudes entre E-sport et sport traditionnel, afin que tout le monde puisse chercher sa dose de performance.

Souplesse, agilité et réflexe.

En cherchant les limites physiques imaginables, le sport traditionnel est unique. On cherche, dans n’importe quelle discipline, soit à repousser ces limites physiques, soit à vaincre l’adversaire, très souvent en recherchent une performance physique toujours plus grande. L’E-sport, est à cet égard, proche et très éloigné de son voisin. Proche car, dans chaque jeu (Battle Royale, course, simulation de sport, stratégie, etc), on tente de surpasser l’adversaire. Proche aussi, car ce sont des limites physiques souvent dépassées, telle que l’agilité et la souplesse du poignet et des bras, la rapidité de ces mêmes doigts à répéter l’effort ou à changer de bouton, ainsi que la précision achetée au prix de longues heures de travail sur soi. Éloignée, car elle ne requiert qu’une infime partie du corps. qu’elle ne demande pas une caractéristique de force, recherchée dans chaque sport.

NBK, joueur professionnel de CS:GO, mets, comme beaucoup de joueurs, son clavier à l’horizontale afin de gagner en vitesse. (Photo: ESTNN)

Il y a aussi des similitudes plus subtiles, telles que la rigueur : rigueur dans la posture d’un joueur face à son écran, droiture du dos et du cou afin de chercher le meilleur angle pour que le bras puisse être le plus mobile possible. Ces capacités physiques n’échappent pas au traitement du sport traditionnel, et elles ne se développent qu’en raison d’un entraînement intensif. Ce qui est, évidemment, sujet à blessures. Skite, joueur professionnel du jeu Fortnite Battle Royale, a connu plusieurs tendinites au poignet, et c’est le cas de nombre de joueurs pros. Ces entraînements permettent aussi aux joueurs de développer des réflexes en jeu, qui sont acquis au prix de compétences physiques, mais aussi, et surtout, de compétence cognitive, intellectuelles.

“Mind game”, connaissances et compréhension du jeu.

Il y a, d’une part, les capacités intellectuelles d’un joueur, qu’il soit E-sportif ou non. Comprendre une situation, l’analyser et savoir y répondre le plus rapidement possible. Cette part de réflexe, d’analyse, de prise de décisions, s’acquiert au fil du temps, mais les plus brillants s’en tirent bien mieux et bien plus vite. Il y a aussi, la connaissance du jeu. Dans un jeu aussi ancien que le football, mais aussi que Stracraft II et Counter Strike Global Offensive, beaucoup de tactiques, de stratégie ont été utilisées. Alors, il faut se réinventer, trouver des manières de contrer l’adversaire. L’adversaire est, par ailleurs, une dimension importante. Il faut toujours tenter de le tromper, de le feinter. C’est l’essence même des Battle Royale, ou même d’un jeu comme Fifa, où il faut toujours cacher ses intentions.

Samchaka, coach Fortnite puis League Of Legends au sein de Solary, cherche à faire progresser ses joueurs sur le mental certes, mais aussi sur le jeu, et les tactiques employées. (Photo : France 3 Régions)

Enfin, il y a ce que le jeu réserve comme surprise, l’inattendu : les zones de combat, les trajectoires de balle. Mais tout cela se réduit de plus en plus, tant l’E-sport se professionnalise et s’analyse de mieux en mieux, notamment au travers des chiffres. De plus en plus de joueurs se servent de plateformes telles que Mobalytics, Overwatchtracker pour comprendre leurs faiblesses, les réduire, et cibler les forces de l’adversaire afin de mieux les contrer. On en revient ici à des choses comparables au sport traditionnel, ou l’utilisation de la data, et de la vidéo, sont aujourd’hui ultraprésentes. Toute cette analyse de l’adversaire, ces stratégies, on les retrouve en compétition, où les joueurs préparent, en amont et durant des mois, certains rendez-vous décisifs tels que des Majors ou des Coupes du Monde. Mais, l’on a beau se préparer autant que possible, si les capacités mentales ne sont pas suffisantes le jour J…

Concentration, calme et résilience.

Rekkles, joueur Suédois emblématique de League Of Legends, en pleine concentration avant la compétition. (Photo: BreakFlip)

Du début à la fin d’une compétition, le joueur, qu’il soit sportif ou E-sportif, passe par plusieurs étapes assez similaires. Il y a d’abord cette phase stratégique évoquée plus tôt, mais aussi, pour beaucoup, un retour au calme, une concentration que le joueur cherche afin de donner le meilleur de lui même et de pouvoir vaincre. Lorsque la compétition commence, la concentration doit rester, afin de pouvoir donner la meilleure communication possible. Il faut la patience, d’un jeu parfois éreintant et ou la fatigue peut être mise à mal. Dans ces moments-là, il ne faut pas douter. Et surmonter les échecs: faire preuve de résilience. Passer au prochain problème, au prochain combat, à la prochaine action. Et tout cela, sur des compétitions qui durent plusieurs heures, où, à chaque instant, il se passe une infinité d’actions, comme sur League Of Legends. Ce qui amène donc à acquérir de la lucidité, une résistance à la fatigue et à la pression. Tout ce stress, cette pression accumulée, ne se libère qu’à une seule condition : celle de la victoire finale.

Pourquoi recherche-t-on la performance ?

Toutes ces heures passées sur un écran, sur un terrain, dans une salle de sport ou dans un gymnase, sont, quasiment toujours, dans la recherche d’une chose : l’adrénaline et le goût de la victoire. Et qui n’a jamais ressenti sa joie exploser lors d’un Top 1, d’une victoire serrée sur Call of Duty, FIFA ou CS:GO, ou d’une course parfaire sur TrackMania? Si le sport traditionnel et l’E-sport possèdent une grande différence sur le plan physique, notamment sur la dépense énergétique, l’E-sport peut apporter beaucoup de plaisir et de bonheur à des sportifs avérés, qui pourraient y trouver beaucoup de similitudes, et la recherche du même but: gagner.

SonicFox, joueur professionnel de jeux de combats, célébrant la victoire. (Photo: ESPN)

De plus, l’E-Sport s’inspire grandement de l’ancienneté du sport traditionnel, professionnel, et de ce que ce dernier a mis en place à travers les décennies afin de s’améliorer de plus en plus. Cela passe par un entretien physique, comme le confie Fabien Devide, patron de la Team Vitality, première équipe professionnelle E-Sport française, voire Européenne (?) : “Pas pour être marathonien ou bodybuilder mais pour être mieux, avec un meilleur focus, un meilleur sommeil, une meilleure estime de soi et confiance en soi. Tout ça, on en avait besoin.” C’est pour cela que de plus en plus de professionnels, comme Antoine Griezmann et sa structure E-Sport “Grizi E-Sport”, mais aussi d’anciens pros tels que Tony Parker et son investissement dans LDLC. Et, comme d’habitude en matière d’innovation E-Sport, Vitality n’est pas loin: Mathieu Péché, céiste champion du monde 2017 (canoë-kayak), a récemment été introduit dans l’équipe CS:GO de la structure en tant que manager.

Mathieu Péché, manager CS:GO de l’équipe Vitality. (Photo: afjv.com)

Celui-ci apporte sa vision des choses, basée sur ce qu’il a connu durant sa carrière : “Ils ne les connaissent pas et ne savent pas à quoi ça sert. Mais ils sont au sommet de leur art derrière leurs ordinateurs, ce sont des esportifs de très haut niveau. En ce moment, on est à un palier pour qu’ils soient encore meilleurs, et sur la durée surtout. Et pour ça il faut aller chercher ailleurs. A un moment dans le sport, on était tous au même niveau et il a fallu chercher des choses à côté. Des choses qui ne se faisaient pas chez nous. J’essaye aussi de leur donner un cadre de vie “safe”: bien manger, sainement, bien dormir, récupérer.” Un pas de plus entre sport en E-sport.

Ce sujet, plus que passionnant, mériterai une analyse encore plus approfondie de chaque caractéristique du joueur E-Sport. D’autant plus que la littérature sur cette discipline reste encore trop rare et trop peu analytique, surtout sur une discipline ou les jeux, plus différents les uns que les autres, nécessitent des caractéristiques bien différentes. C’est un sujet très complexe et ce n’est pas le sujet du jour. En fin de compte, si ce confinement vous empêche d’avoir la dose d’adrénaline à laquelle vous êtes habitués, vous pouvez, en attendant, peut être chercher à la rechercher dans les jeux vidéos, qui sait?

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