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Bundesliga – comment le Bayern s’est imposé comme le Rekordmeister

GER, 1.FBL, FC Bayern Muenchen vs. FC Augsburg / 08.03.2020, Allianz Arena, Muenchen, GER, 1.FBL, FC Bayern Muenchen vs. FC Augsburg, DFL regulations prohibit any use of photographs as image sequences and/or quasi-video, im Bild Jubel nach dem Tor zum 1-0 durch Thomas Mueller FCB 25 *** GER, 1 FBL, FC Bayern Muenchen vs. FC Augsburg 08 03 2020, Allianz Arena, Muenchen, GER, 1 FBL, FC Bayern Muenchen vs. FC Augsburg, DFL regulations prohibit any use of photographs as image sequences and or quasi video, in the picture cheering after the goal of 1 0 by Thomas Mueller FCB 25 nordphotox/xStraubmeier nph00004

Quel est le plus grand club du monde ? Le Real Madrid ? Le FC Barcelone ? Manchester United ? L’AC Milan ? Voire Boca Juniors ? En Allemagne, la question ne se pose pas. Il s’agit du Bayern Munich. Avant de muter en machine à faire le doublé coupe-Bundesliga presque chaque année, de se transformer en mère nourricière de la Mannschaft, de devenir le club glamour et exemplaire qu’il est aujourd’hui au niveau planétaire, le FC Bayern Munich a dû se faire violence. Entre révolutions internes, défaites dramatiques et taverne munichoise, le FCB a dû se construire étape par étape, passant d’un club stigmatisé par le régime nazi au Rekordmeister qui impose sa domination aujourd’hui. Avec ses 29 titres de champion d’Allemagne – 28 à l’ère Bundesliga – et 19 Coupes nationales, il est de loin le club le plus décoré d’Allemagne, sans oublier ses cinq Ligue des champions. Retour sur les étapes phares de 120 ans d’histoire.

Pour célébrer le 120e anniversaire du club le 27 février dernier, le Bayern Munich a produit un maillot commémoratif basé sur le kit porté par le club lorsqu’il a remporté son premier titre de champion en 1931/32. Les joueurs du Bayern portaient ce maillot spécial lors de leur victoire contre Augsbourg le 8 mars. Le Bayern sait prendre soin de son histoire et de son image, comme il l’a démontré dernièrement lors des incidents du match Hoffenheim-Bayern en février (0-6), qui a été arrêté à plusieurs reprises suite à des banderoles insultants envers le président d’Hoffenfeim : « C’est la face moche du football. J’ai honte et je me suis excusé auprès de Dietmar Hopp. C’est un vrai gentleman. Il a fait beaucoup pour le football à Hoffenheim. Ce qui s’est passé est inexcusable », avait d’ailleurs déclaré Rummenigge en conférence de presse. Il y a quelques semaine également, le FCB a pris part à une nouvelle campagne médiatique contre le racisme. Un sujet sensible, qui a marqué les débuts et les prémisses de ce que représente le Bayern Munich aujourd’hui : le Rekordmeister.

Seconde Guerre mondiale et dettes : des débuts difficiles

Catalogué « club des juifs » par les nazis, il manque de disparaitre lors de la Seconde Guerre mondiale, et doit son salut à un homme, le président Kurt Landauer. Ce dernier, ancien joueur du club dans les années 1900, en devient le président après la Première Guerre mondiale, le faisant entrer dans l’ère tout juste naissante du football professionnel outre-Rhin, en créant une assurance santé pour ses joueurs (garantissant un salaire même en cas de blessure), en ramenant des sponsors, des entraineurs étrangers (l’Anglais William Townley par exemple) et en misant sur les talents locaux. Peu à peu le club se développe et remporte son premier championnat d’Allemagne en 1932. Une joie de courte durée car les Nazis arrivent au pouvoir quelques mois plus tard.

Le Bayern, qui avait recueillit des immigrés hongrois fuyant les pogroms, est durement sanctionné. Landauer, juif d’origine, est envoyé à Dachau à la suite de la Nuit de cristal en 1938 puis s’enfuit en Suisse en 1939, les joueurs étrangers sont bannis, et les Allemands sont envoyés au front, au contraire de ceux du rival, Munich 1860. Au sortir de la guerre, le Bayern n’existe plus en raison des conditions d’occupation appliquées par les américains (les associations sont interdites) mais Landauer revient et investit ses fonds propres pour reconstruire le club. Après son départ en 1951, suite à des différents entre dirigeants, le FCB végète entre la première et la deuxième division. Les dettes s’accumulent et Landauer revient une ultime fois pour le maintenir à flot en 1956. Suffisant pour que 10 ans plus tard, en 1966, le Bayern retourne dans l’élite pour ne plus jamais la quitter. Symboliquement, la mort de Landauer cette même année, entame la naissance d’un Bayern que l’on connait aujourd’hui.

De la deuxième division à champion d’Europe : la dynastie Beckenbauer-Müller-Maier

En 1965, un certain Franz Beckenbauer fait ses débuts en équipe premières, quelques années après Sepp Maier et Gerd Müller, tous formés localement. La colonne vertébrale du monstre victorieux est assemblée, rien ou presque ne l’arrêtera. En D2, Beckenbauer signe 17 buts en étant milieu de terrain et participe activement à la remontée. À la manière de Cruyff, son futur rival, le garçon est bourré de qualités individuelles. À cette époque-là, les défenseurs n’étaient pas forcément techniques. Beckenbauer, qui redescend d’un cran par la suite, améliore tout ça. Au-dessus sur le plan technique, bon dans l’anticipation et habille au niveau offensif, il est un créateur extraordinaire grâce à son sens de la passe. Le Bayern pratique dès lors un football engagé, mais avec des joueurs doués comme Müller, Breitner, Hoeness, Roth, Schwarzenbeck et le gardien, Maier. Dans les 70s, sur les plans physique et technique, le Bayern Munich se révèle être un monstre.

En 1967, le Bayern de Beckenbauer (débout au mileu), de Maier (3ème à gauche) et Müller (accroupi au milieu) remporte la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, les prémices des succès à venir. (Photo : FC Bayern München)

S’ensuit une glorieuse décennie. Après une victoire en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes en 1967, Beckenbauer et sa bande domine le football européen et mondial en remportant 3 coupes d’Europe des clubs champions consécutivement en 1974, 1975 et 1976. 6 joueurs de la formation bavaroise constituent également l’ossature de la RFA championne d’Europe des nations en 1972 et championne du monde en 1974. Cependant ces succès ne pas reconnus à leur juste valeur. Equipes chanceuses, défensives, réalistes, coupables d’avoir battu le football « romantique » des Pays-Bas de Cruyff au mondial 74 et les flamboyants stéphanois en 76 en Coupe d’Europe. Le Bayern comme la RFA, à travers leurs hégémonies, pâtissent du souvenir de la Seconde Guerre mondiale, encore bien présent 30 ans après sa fin. Efficacité, puissance physique, qualités mentales, refus de la défaite sont malgré tout les moteurs de ce football germanique, qui reste mal aimé.

Révolution bavaroise et défaite : l’affirmation du « Grand Bayern »

Saison 1978-79, Beckenbauer est parti au New-York Cosmos – en NASL – pour prêter main forte au roi Pelé, le Bayern est orphelin de son Kaiser et la machine à gagner s’enraille. Le 12 décembre, une défaite 7-1 à Düsseldorf scelle le sort de l’entraineur, Gyula Lorant. Celui-ci jugé tyrannique est lâché par ses joueurs. Pal Cserrai, son adjoint le remplace. La tension est maximale au club, surtout les médias prennent en grippe Paul Breitner, le leader, rebelle, de l’équipe. Mi-février, la situation se s’arrange pas, Uli Hoeness, parti jouer à Nuremberg, est rappeler par Herr Neudecker, le président, pour se voir offrir le poste de manager sportif. À 27 ans, il prend sa retraite et rassemble ses ex-coéquipiers, il prononce alors un discours qui changera l’histoire du club :

« Le foot s’engage de plus en plus dans la voie du professionnalisme. Une voie où les relations humaines jouent un rôle de moins en moins important tandis que l’argent et le profit jouent un rôle sans cesse croissant. Je vais d’abord essayer de voir le club en fonction des intérêts de mon futur employeur mais je vais essayer aussi de placer l’aspect humain au tout premier plan »

Une nouvelle défaite entraine cette fois le départ de Neudecker, forcé par le vestiaire munichois. Les médias se déchainent, notamment à l’encontre de Maier et Breitner. Le Bayern symbolise la révolte, une image qui ne passe pas dans une Allemagne plongée dans les années de plomb et en guerre contre le terrorisme d’extrême-gauche. Celui de la bande à Baader (la Fraction armée rouge) qui sévit depuis près d’une décennie en RFA et dont le point d’orgue reste le détournement d’un avion à l’automne 1977, qui entrainera la mort d’Andréas Baader, le leader de la bande et l’incarcération de ces principaux lieutenants. Mais quelques jours passent et le Bayern affronte son grand rival de l’époque, le Borussia Mönchengladbach, le 24 mars. le score est sans appel 7-1 pour les bavarois, Breitner savoure sa revanche. Le Bayern remportera deux Bundesliga supplémentaires en 1980 et 1981 avec Breitner et Rummenigge en leaders.

« Nous devions jouer contre tout le monde et j’avais l’impression qu’on nous souhaitait le pire parce que nous avions fait quelque chose qui ne s’était jamais fait dans le football allemand : se révolter contre un entraineur et par conséquent contre un président. Dans le contexte allemand, c’est une voie révolutionnaire que les Allemands n’acceptent pas et surtout pas de la part des footballeurs aux salaires élevés. Ils n’ont pas le droit d’ouvrir la bouche, n’y d’émettre une opinion. Ce que nous voulions avant tout, c’était trouver pour l’avenir une nouvelle façon de vivre en équipe, de s’entrainer et de jouer au football. On a prouvé que ça pouvait marcher sans dictature au club et sans prendre les joueurs pour des idiots »

Reconnaissance médiatique et populaire

C’est là que naît cette fraternité qui lie encore Maier, Hoeness, Rummenigge, Breitner et même Gerd Müller, parti aux USA en 1979, parvenus presque tous aux postes clefs du club. Devenu grossiste en papeterie, leur pote Schwarzenbeck est aujourd’hui le fournisseur du club… Et Beckenbauer ? Auréolé du titre mondial 1990 à la tête de la Mannschaft, il revient en tant que président en 1994. À la direction du Bayern, lui aussi, le rigide, se plie à une approche plus humaine du foot professionnel que celle autoritariste des années 1970. Les lieux de vie tout confort de la Säbener Strasse dédiés aux joueurs n’ont, aujourd’hui, pas d’équivalent.

En attendant, le Bayern reçoit la reconnaissance tant recherchée. Une nouvelle fois, elle passe par la défaite. D’abord en 1982, la bande à Breitner, pourtant favorite, est battue par Aston Villa en finale de Coupe d’Europe (0-1). Puis en 1987, le Porto de Madjer, auteur ce soir-là d’une talonnade qui rentrera dans l’histoire, renverse les Allemands au bout du suspense (2-1). Enfin, le summum arrive en 1999, cette fois les Rotens pensent tenir leur quatrième « Coupe aux grandes oreilles », mais Sheringham et Solskjaer en décident autrement, nouvelle désillusion (2-1). La rédemption arrive deux ans plus tard, dans la souffrance face à Valence (1-1, 5 tab à 4). Kahn réconfortera un Canizarès inconsolable, l’humain avant tout. S’en suivent deux nouvelles défaites en finale de Ligue des Champions, face à l’Inter de Mourinho en 2010, puis à domicile face à Chelsea en 2012, avant de soulever un cinquième trophée l’année suivante, contre le rival Dortmund. Arjen Robben, endosse un rôle de héros, qui lui était jusqu’ici défavorable. La génération Ribéry est récompensée et porter le maillot rouge avec fierté, n’est plus un déshonneur.

Concilier valeurs humaines..

Victoire pour la grande famille du Bayern des 70s. Hoeness, Rummenigge, Beckenbauer, entre autres, reçoivent les fruits de leur travail. Leur projet est enfin abouti. Le Bayern est un prétendant européen reconnu dont la gestion est exemplaire. À la fois sur le plan humain, à travers une association qui rassemble 291 000 membres officiels -le plus grand total au monde pour un club de football- et qui est choyée par le club. Au point que le contrat des joueurs stipule qu’ils doivent honorer de leur présence des « réunions Bayern » avec les fans partout en Allemagne et notamment lors de la traditionnelle fête de noël ou l’Oktoberfest. L’aspect « familial » du club existe aussi pour ses acteurs principaux. Le clan se resserre toujours autour de celui vit des moments difficiles.

Sébastian Deisler et Breno (atteints de dépression), Franck Ribéry (affaire Zahia), Uli Hoeness (condamné pour évasion fiscale), Franz Beckenbauer (affecté lors du décès tragique de son fils en 2015) : tous ont pu compter sur la solidarité du club. Le Bayern a également une longue histoire de solidarité avec d’autres clubs allemands, en particulier lorsqu’ils rencontrent des difficultés financières, après avoir prêté main forte à leurs anciens rivaux 1860 Munich, St Pauli, Hansa Rostock, Kaiserslautern et même le Borussia Dortmund au fil des ans. La politique du club de faire passer les fans en premier a également fait baisser les prix des billets. Le Bayern est peut-être l’une des équipes de football les plus performantes au monde, mais il est toujours possible de se procurer un abonnement à l’Allianz Arena pour aussi peu que 140 €, soit environ 8 € par match.

…et modèle économique

Economiquement, le club peut se targuer d’un chiffre d’affaire de 500 millions d’euros annuels – le quatrième au monde derrière Man United, le Real et le Barça, à la différence que le FCB ne vit pas à crédit – de n’avoir aucune dettes, d’avoir remboursé l’Allianz Arena en 9 ans et de posséder un rayonnement international. « Il y a quelque chose d’exceptionnel dans ce club : ils sont parvenus au sommet tout seuls, sans le soutien d’une banque ou l’aide d’un milliardaire. Ils ont atteint cette indépendance par eux-mêmes, en travaillant sérieusement sur l’aspect sportif et économique », expliquait Guardiola au moment de son arrivée en 2013. Un modèle économique pérenne et instauré par Hoeness.

Résultat un fond propre de 278 millions d’euros, 187 865 actionnaires différents dont, les moteurs locaux, Adidas (9%) et Audi (9%). Un équilibre financier qui répond aux règlements de la Bundesliga, ceux du 50+1 (part appartenant aux membres du club et non à un actionnaire unique). Ainsi, le Bayern ne dépense pas plus qu’il ne génère, la masse salariale ne représente que 47 % des revenus (64% en moyenne en Europe). Ces derniers, en 2017, sont diverses et variés à travers les droits télés (11% avec 36,7 millions d’euros), le sponsoring (25% à hauteur de 82,3 millions d’euros), le merchandising (17% et 57,5 millions d’euros) et surtout la billetterie (39% et 129 millions d’euros). L’Allianz Arena est une machine à cash et offre à ses spectateurs un spectacle de grande qualité, pour preuve le Bayern a remporté les sept derniers championnats, au travers d’une identité sur le terrain, mais aussi en dehors.

« Nous avons étudié le système de formation de l’Ajax Amsterdam, la politique de sponsoring de Manchester United ou la gestion du merchandising des San Francisco 49ers mais, au final, nous nous sommes appuyés sur nos spécificités pour développer notre propre modèle. »

Rummenigge en 2015

« Nous sommes ce que nous sommes »

Franck Ribéry a fait un discours d’adieu aux larmes, aux fans du Bayern Munich à la fin de la campagne de Bundesliga 2018/19, le signant la main sur le cœur d’un « Mia san Mia ». Une expression qui a ses racines dans l’empire austro-hongrois du 19ème siècle, et a ensuite été utilisée par le politicien allemand Franz Josef Strauss – président de l’Union sociale chrétienne en Bavière (CSU) de 1961 à 1988 – avant d’être adopté par le Bayern dans les années 80. La légende veut que son adoption trouve ses racines lors du parcours en Coupe d’Europe 1987 lorsque les joueurs, Hans Pflügler, Hansi Dorfner et Ludwig Kögl, célébraient joyeusement les après match victorieux, en chantant et dansant sur les tables de bar. Si le Bayern a perdu la finale 2-1 contre le FC Porto, il a acquis une devise de club, qui est devenue synonyme de sa riche histoire, de son succès sans précédent et de sa mentalité de gagnant.

« Vous savez ce que veut dire le proverbe bavarois « Mia san Mia ? » Nous sommes ce que nous sommes. C’est la devise du club. Cette philosophie s’est développée à partir du triplé en Coupe d’Europe des clubs champions (1974, 1975, 1976). C’est là qu’est né le mythe du Bayern. Mia san Mia, ça signifie qu’on ne s’adapte pas à l’adversaire, on peut gagner n’importe quel match à n’importe quel moment contre n’importe qui, nous avons les meilleurs joueurs, nous sommes le meilleur club. C’est un mantra, presque. Chaque joueur qui arrive au FC Bayern finit par croire qu’ici, il ne peut que gagner. Pas de discussion possible, Néanmoins, gagner, ça s’apprend. »

Oliver Kahn en 2015

Une devise et une philosophie qui imprègnent le club à tous les niveaux, « Mia san Mia » a engendré 16 « règles d’or », qui ont été publiées pour la première fois dans le cadre des célébrations du 110e anniversaire du Bayern en 2010. Elles sont également encadrées sur un mur du couloir sur le chemin de la cafétéria de la base d’entraînement du Bayern, rappelant quotidiennement la fierté du club à tous ceux qui y passent.

Ces dernières années, l’histoire du Rekordmeister s’est écrite avec les Bavarois pur jus que sont Philipp Lahm, Thomas Müller, Holger Badstuber, Mats Hummels, Mario Gotze et Bastian Schweinsteiger. Six garçons qui sauront perpétuer la tradition du grand Bayern à l’avenir et à l’instar, d’Oliver Kahn aujourd’hui et futur remplaçant de Rummenigge. Le Bayern se veut le garant des valeurs bavaroises. Les couleurs du plus méridional des Lander allemands se trouvent sur le blason du club. Le club est une institution à dimension socio-culturelle, la Bavière a une forte identité régionale, comme la Catalogne. Le Bayern n’a pas d’identité de jeu définie. « Tout ce qui compte c’est d’être imbattable », résume Ottmar Hitzfeld.

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