Et si les Etats-Unis parvenaient à remporter une Coupe du monde de football dans les années à venir ? Un scénario plus que probable pour l’équipe féminine mais largement utopiste quand on pense à son homologue masculine. Pourtant les jeunes talents américains sont de plus en plus remarqués en Europe à l’instar de Christian Pulisic, Giovanni Reyna ou Sergino Dest. Si elle n’en est qu’à son balbutiement, cette génération talentueuse à un but bien précis : préparer la Coupe du monde 2026 qui se déroulera sur la territoire national. Focus sur les raisons de ce changement de dimension
Un ancrage difficile
L’histoire entre les Etats-Unis et le Soccer n’aurait pas pu mieux démarrer. Elle est d’ailleurs excellemment comptée dans un thread de @FCGeopolitics sur Twitter, que vous pouvez retrouver en cliquant ici. Ce thread nous apprend notamment que les débuts du soccer arrivent dans les années 60, lorsque la North American Soccer League attire les stars de l’époque, Pelé, Beckenbauer et Johan Cruyff. Pas mal pour commencer non? Malheureusement, l’idylle ne durera pas, tant et si bien qu’en 1984, la ligue ouverte en 1968 ferme par manque de moyens et d’intérêt. Le soccer restera aux oubliettes durant plus de 10 ans, jusqu’à ce que l’organisation de la Coupe du Monde 1994 en Amérique refasse renaître l’espoir de voir le pays de l’Oncle Sam adopter le sport du Vieux Continent.

C’est dans cet élan que la Major League Soccer sera créée en 1996. Néanmoins cet allant s’essouffle rapidement, et la MLS progressera très lentement jusqu’aux années 2010. Le fait d’ouvrir la Ligue à des joueurs étrangers, grâce à la règle des joueurs désignés (permettant, pour 3 joueurs, de dépasser le plafond salarial réglementé par la Ligue, instaurée en 2007 notamment pour accueillir David Beckham), va permettre de développer le soccer. En effet, le fait d’apporter des stars internationales ayant brillé sur le vieux continent, permet d’offrir une visibilité et un côté spectaculaire recherché par le public. Des joueurs aujourd’hui retraités tels que Beckham, Ljungberg, Henry, Rafael Marquez, poseront les premières pierres d’un championnat qui n’est pas qu’une retraite dorée. Récemment, Rooney, Nani, David Villa, Kaka, Lampard et Gerrard, Schweinsteinger, Drogba ou encore Zlatan Ibrahimovic ont eux aussi évolué dans le championnat américain. Le suédois est l’exemple type du joueur spectacle. Avec son adversaire à distance Carlos Vela, il a cristallisé l’an dernier un amour et une passion des supporters américains de Los Angeles à New York. Mais pas seulement. Les deux ont performés, ont permis à leurs coéquipiers et à leurs adversaires de progresser, ce qui est la volonté des franchises américaines.

Le recul du football américain en raison de sa violence, ainsi que la popularité du jeu vidéo FIFA, qui permet de démocratiser le sport auprès d’un public qui ne s’y intéressait pas forcément, et la domination des femmes sur le football mondial ont aussi amené les américains à s’y intéresser de plus près. Ceci permet à la Ligue de passer cette saison à 28 franchises, alors qu’elle n’en comptait que 10 en 2005. Le public s’attache aussi de plus en plus au ballon rond, comme le montrent les audiences TV et les ventes de billets, en hausse depuis une dizaine d’années. D’ailleurs, le championnat américain possède aujourd’hui une audience moyenne de 21 400 spectateurs, quand la Ligue 1 en compte 21 500, et la Serie A 23 000. Des chiffres voués à monter, tant le championnat se développe. Tout cet écosystème, ainsi que la volonté grandissante des investisseurs de risquer leur argent, permet de développer des franchises, augmentant en conséquence le niveau de la MLS. En se structurant, en se professionnalisant, en cherchant améliorer leurs infrastructures et le système de formation, la MLS commence à former de plus en plus de jeunes joueurs capables de se réveler en MLS, voire même, de plus en plus, de réussir en Europe. Et petit à petit, ces joueurs intègrent l’USMNT, la sélection américaine.
Une sélection au diapason de son championnat ?
Avec un taux de croissance de l’ordre de 30 % par an (contre 13 % pour la NBA, 11 pour la NFL, 8 pour la MLB et 6 pour la NHL), la MLS est sur la bonne voie pour rattraper ses grandes sœurs des Ligues Majeures. La renégociation des droits TV en 2023 et l’organisation de la Coupe du monde 2026 (avec le Canada et le Mexique), devraient apporter un nouveau coup de boost dans les années à venir. Cependant, le niveau du championnat est encore nettement en retard avec les standards européens. Cela se ressent avec les résultats de la sélection, loin d’être aussi satisfaisant que ceux de l’équipe féminine. Après une parenthèse enchantée (finale Coupe des confédérations 2013, huitième de finale au mondial 2014), qui a entrainé un engouement populaire, l’USMNT n’a pas su confirmer. D’ordinaire loin d’être compétitive lors des compétitions internationales, avec pour seule référence un quart de finale à la Coupe du monde 2002, elle ne s’est d’ailleurs pas qualifiée au mondial 2018. Un échec relatif qui accélère la préparation de la Coupe du monde 2026.

En 2011, le soccer était le sport le plus pratiqué par les 11-16 ans. En conséquence, les instances nationales et les différentes franchises ont investi considérablement dans le développement de leur structure : la formation des jeunes joueurs est équivalente à celle que l’on trouve en Europe avec la présence d’entraîneurs de renoms (Henry, Vieira, Martino, De Boer, Klinsmann), des centres d’entraînements calqués sur le modèle européen ainsi que des partenariats avec d’autres Fédérations, par exemple avec la FFF ou la DFB, pour la formation des entraîneurs américains. Des conditions qui incitent des jeunes joueurs (Canada, Caraïbes, Europe) à s’exporter aux Etats-Unis pour y terminer leurs études et viser une intégration en MLS. Dès lors, la Draft Combine (étape intermédiaire à la sélection des joueurs universitaires dans les franchises de MLS) a doublé son nombre d’inscrit en dix ans. Un contexte qui a favorisé l’émergence d’une génération talentueuse mais dont le championnat national ne permet pas un développement rapide. Les sélectionneurs nationaux, Jürgen Klinsmann et Gregg Berhalter ont dès lors entamé un travail de fond : Envoyé les pépites américaines en Europe pour former la génération de 2026. Le premier en intégrant des binationaux germano-américain, formé Outre-Rhin, à la sélection (héritage de l’occupation de l’Allemagne par les Alliées après 1945) et le second, par son parcours, (ex-joueurs de Cottbus et Munich 1860) ont amorcé l’opportunité d’exporter ces talents en Bundesliga.

Historiquement, le championnat allemand a accueilli de nombreux joueurs américains, avec plus de 50 dans l’élite allemande depuis 1986. Actuellement, ils sont neuf à y jouer régulièrement, un chiffre qui monte à 33 en comptant les joueurs de Bundesliga.2 et les jeunes appartenant aux centres de formations des clubs professionnels. Outre les liens culturels, plusieurs facteurs expliquent cette concentration, la plus forte des cinq grands championnat. La Bundesliga est le championnat le plus suivi, avec la PL, aux E.U.A, en raison de son football spectaculaire (3,2 buts/matchs, 43 000 spectateurs de moyenne dans les stades), qui colle très bien à la mentalité américaine. Avec des clubs de haut vol possédant certaines des meilleures académies du monde, réputées pour aider leurs pépites à se développer à la fois sur le terrain et en dehors, la Bundesliga est LE lieu où les jeunes joueurs peuvent se développer. C’est actuellement le championnat où la moyenne d’âge est la plus basse (+/- 25 ans), conséquence des efforts d’investissements effectués sur la formation dans les années 2000. Un facteur administratif permet également aux Américains d’obtenir un permis de travail plus facilement en Allemagne qu’au Royaume-Uni, où les joueurs non européens doivent avoir participé à un certain pourcentage des matchs compétitifs récents de leur pays pour obtenir une approbation de la part de la FA anglaise. Dans un contexte moins concurrentiel et plus axé sur la formation des jeunes, les Américains s’épanouissent, le meilleur exemple étant Pulisic. Maintenant en Angleterre, le joueur de Chelsea n’est que la tête de gondole d’une génération exceptionnelle qui s’affirme déjà Outre-Rhin.
Des jeunes stars déjà affirmées
Plusieurs d’entre-eux sont déjà des talents reconnus. Signé des Red Bulls de New York en janvier 2019, Tyler Adams n’a pas perdu de temps pour faire sentir sa présence au RB Leipzig lors de la phase retour de la saison 2018/19. Intégré rapidement, il prend part à huit matchs en tant que titulaire pour un total de dix apparitions en championnat, fournissant deux passes décisives. Ce n’est pas un hasard si les résultats du club se sont améliorés avec lui sur le poste de latéral ou de milieu défensif (3 buts encaissés sur ses 723 minutes de jeu). Une progression fulgurante qui est cependant ralentie par des problèmes aux adducteur et à l’aine. Si le temps de jeu d’Adams a été fortement limité cette saison (436 minutes), il n’en reste pas moins l’avenir du RB et de la sélection. À 21 ans, il compte déjà 10 sélections.

Une trajectoire similaire à son probable compère de sélection au milieu de terrain, Weston McKennie. L’an passée, le transfuge du FC Dallas, a connu une campagne difficile avec Schalke, assurant seulement un maintien lors de la 32e journée. Pourtant le jeune Américain a quand même réussi à impressionner. Le talent d’aujourd’hui 21 ans, a fait preuve d’un polyvalence sans limite, commençant 10 matchs à partir de sa position préférentielle de milieu “box-to-box”, ainsi que trois en défense centrale, deux comme arrière droit et même un comme attaquant. Malgré le marasme collectif, McKennie a démontré sa maturité et sa capacité de leader. Avec 3 saisons pleines, 67 apparitions en Bundesliga, 19 sélections et une campagne de Ligue des Champions dans les jambes, il s’impose comme le futur capitaine de l’USMNT.
C’est justement en Ligue des champions que Giovanni Reyna s’est révélé. Le fils de l’ancien joueur de Manchester City, Claudio Reyna, a délivré une passe décisive à Haaland lors du huitième de finale aller contre le Paris SG. À cette occasion il est devenu le plus jeune joueur du Borussia Dortmund à faire ses débuts en LDC à seulement 17 ans. Celui dont on compare le profil à Kaka en raison de ces capacités techniques et sa finition, est arrivée en 2018 en provenance du New York FC. Impressionnant de précocité, ses huit buts et huit passes décisives en 16 matchs avec les U19, ont convaincu Lucien Favre de lui donner sa chance en équipe première, en janvier. Depuis, il ne quitte plus le groupe professionnel, affichant 10 sorties toutes compétitions confondues et 1 but. S’il n’a pas encore connu ses débuts en sélection, cela ne devrait tarder.
Autre talent évoluant en Allemagne, Ulysses Llanez, attaquant né en 2001 évoluant à Wolfsburg, a fait ses débuts récemment avec les États Unis en Janvier 2020, fêtant sa première sélection avec un but sur pénalty. L’ailier, formé au LA Galaxy, ou il jouait à 16 ans avec l’équipe réserve, attire très vite l’œil des recruteurs Européens. C’est Wolfsburg qui raflera la mise, devançant le Bayern, en s’attachant les services de celui qui avait marqué 7 buts en 8 matchs au Concacaf Champions U20 en 2018. Lors de ses 3 premiers matchs avec les U19, il inscrira d’ailleurs 6 buts et 2 passes décisives. S’il n’as pas encore joué avec Wolfsburg, cela ne saurai tarder, tant son talent saute aux yeux. Cette saison avec les U19, il a inscrit 11 buts et 6 passes décisives en seulement 16 matchs. Technique, bon centreur et excellent contre attaquant, il pêche certaines fois par individualisme ou mauvais timing dans la passe.
Des parcours à suivre pour plusieurs talents encore présents au pays. Présent dans le 11 de la saison régulière de MLS 2019, Miles Robinson est une valeur sûre d’Atlanta United. Le défenseur central d’1m88 a même disputé les 34 matchs de la saison régulière, en obtenant 14 cleans sheets (meilleure stat ex-aequo). Ses performances l’ont même amené au maillot des Stars and Stripes, ayant connu sa première sélection en Septembre face au Mexique. Le joueur de 23 ans est le symbole du système de draft. Drafté en pick n°2 depuis Syracuse Orange en 2017, ou il avait été élu meilleur défenseur du système universitaire de la Conférence Côte Atlantique. Avec sa vitesse, sa force physique dans les duels et ses tacles incisifs, il est un réel mur pour les attaquants adverses.

Arrivé en même temps que Miles Robinson en sélection, Paxton Pomykal, milieu né en 1999 et ex-capitaine des U20 américains à la Coupe du Monde U20 2019. Le texan est un des jeunes joueurs les plus suivis de MLS. Formé au Dallas FC, il remporte les championnats nationaux U16 et U18 avec son club. Il est, à la suite de ça, le plus jeune joueur formé au club à signer un contrat professionnel, à 16 ans, en Septembre 2016. Il a depuis disputé 35 matchs avec les Red Stripes, pour 3 buts et 5 passes décisives. Lors des 2 premiers matchs de la saison 2020, il a disputé 2 matchs et inscrit déjà 1 but. Ses performances lui ont permis d’obtenir sa première sélection en Septembre 2019 contre l’Uruguay. Il semble évident qu’il en obtiendra bien d’autres, tant le milieu offensif impressionne par sa compréhension du jeu, du pressing et des transitions, qu’il fait briller grâce à sa qualité de passe et sa technique de balle.
Les investissements consenties depuis plus de vingt ans portent enfin leurs fruits. Au travers d’un championnat de plus en plus compétitif et attractif et grâce à une génération de jeunes talents nationaux qui s’exportent à merveille en Europe, les Etats-Unis sont en passent de réussir le pari de légitimer la culture du soccer parmi les quatre grandes ligues majeures.