Ce week-end s’est déroulée la 36ème édition de Wrestlemania. Le Superbowl de la lutte professionnelle, le point culminant du catch américain. Alors que toutes les ligues sportives majeures ont suspendu leurs activités à cause de la pandémie, la WWE a décidé de maintenir son Main Event et s’imposer, une nouvelle fois, comme une fédération à contre-courant. Alors, que penser de cette décision : Wrestlemania 36 serait-il le bol d’air nécessaire pour divertir une population traversant une grave crise sanitaire ? Ou serait-ce le cri du vieux soldat McMahon à l’agonie souhaitant simplement éviter le pire à sa compagnie ? La WWE a-t-elle réussi son pari ? Éléments de réponse et pistes de réflexion autour d’une multinationale dont la stratégie était, est et restera fascinante.
Dans l’antre des Buccaners de Tampa Bay, le Raymond James Stadium, la WWE s’attendait à accueillir 70 000 personnes en ébullition pour Wrestlemania 36. Feux d’artifices, survol d’avions militaires américains, matchs de championnats, superstars en tout genre… Autant d’éléments qui font de Wrestlemania le plus grand divertissement du monde. Mais voilà, la pandémie du Covid-19 est venue bouleverser le quotidien de tous et toutes et la WWE de Vince McMahon n’est pas épargnée.
Wrestlemania n’est pas un show comme les autres. Les fans de catch le savent, les autres aussi. Sur le plan du divertissement, il s’agit tout simplement de l’événement concluant les scénarios de l’année. Une sorte d’apogée où les grandes rivalités se terminent et où les jeunes talents prennent de nouvelles dimensions. Wrestlemania c’est aussi le lieu où la WWE a construit, année après année, sa réputation, sa grandeur et son histoire. Mais Wrestlemania c’est aussi une fantastique machine à billets vert, indispensable à la survie de la compagnie de World Wrestling Entertainment. La dernière édition a généré 17 millions de dollars en vente de tickets, de marchandises et en droits TV. Et alors que la fédération de Stamford connaît une légère inflexion depuis quelques années en raison d’un renouvellement de génération, impossible pour la WWE de voir son plus gros événement reporté ou annulé. Il faut comprendre que le calendrier annuel de la fédération est très précis, s’étalant sur toute l’année, et qu’il est très difficile de retirer un maillon de cette chaîne si bien huilée.

Les fans de catch et ceux qui suivent l’histoire de la fédération depuis longtemps connaissent la détermination, parfois abusive, du « Chairman » Vince McMahon. Alors que la pandémie a déjà enrayé les débuts de sa XFL prévus cette année (une fédération alternative de Football Américain), le président de la WWE ne pouvait envisager de voir son plus précieux joyau annulé à son tour. Très proche de Donald Trump et de ses idées, Vince McMahon a épousé le discours du Président des États-Unis vis-à-vis de la crise sanitaire : pas de panique, pas d’inquiétude, vivons normalement. Mais voilà, à mesure que la crise s’intensifiait en Amérique, Trump a modifié son discours et les mesures furent de plus en plus contraignantes. Dès lors, le destin de Wrestlemania 36 était dans toutes les conversations au sein de la fédération.
Les rumeurs se multiplient et la WWE tarde à communiquer officiellement sur la situation. Il a fallu attendre le 16 mars, le jour où Trump a publié ses lignes directrices «pour ralentir la propagation», qui invite les Américains à éviter les rassemblements de plus de 10 personnes et pour que la WWE – qui était également sous la pression de responsables locaux à Tampa – reconnaisse enfin qu’il était impossible pour WrestleMania 36 de se dérouler devant un public. Le 24 mars, dans un communiqué, la WWE annonce que son show se déroulera à huit-clos.
L’avantage de la fédération est qu’elle possède sa propre salle, le Performance Center à Orange en Floride. Quelques émissions hebdomadaires y sont enregistrées, tout comme les deux soirs du Grandest Stage of them All. La fédération insiste sur le fait que ses lutteurs et son personnel étaient surveillés de très près avec de nombreux contrôles de température, des nettoyages récurrents et des contacts très réglementés. Au rang des réglementations les plus drastiques, on retrouve celle qui a fait le tour du web : interdiction au personnel de divulguer les résultats de Wrestlemania sous peine d’être renvoyé. Spoilers interdits donc.
Outre le mécontentement des fans qui ont dû débourser entre 35$ et 2000$ pour assister à cet événement unique, c’est au sein des lutteurs que le maintien de Wrestlemania a fait débat. Certains insiders ont rapporté une altercation plutôt virulente entre le Champion de la WWE, Brock Lesnar et Vince McMahon. The Beast aurait défendu l’idée selon laquelle la santé des lutteurs était au-dessus des intérêts de la fédération. Mais voilà, vous connaissez la doctrine de la WWE : « aucune personne n’est au-dessus de la compagnie » et « The Show must go on ». Une philosophie que l’on a vu être appliqué à la lettre après l’annonce du retrait de Roman Reigns. La superstar de 33 ans est considérée comme le futur de la compagnie (du moins par les responsables…). Alors qu’il devait affronter le vétéran Bill Goldberg pour le Championnat du Monde Poids-Lourd dans le Main Event de la première soirée, The Big Dog a préféré renoncer à cette opportunité, lui qui a combattu deux leucémies, dont une rémission datant de quelques mois. Roman Reigns a été remplacé par The Monster Among Men, Brauwn Strowman.

Les recettes de Wrestlemania ne sont pas encore connues à l’heure où j’écris ce papier, mais il y a de grandes chances que The Showcase of the Immortals soit un succès télévisuel. La raison est simple, et c’est probablement ce qui a motivé le maintien de l’événement : Wrestlemania est le seul divertissement disponible pour les Américains en cette période de diète sportive. Un bol d’air qui constitue évidemment l’argument de promotion numéro 1 pour la compagnie comme le déclare Stéphanie McMahon, fille de Vince et responsable de la marque WWE : « Nous considérons que c’est un privilège et, à certains égards, une responsabilité de pouvoir offrir cette valeur de divertissement à nos fans ». Si, personnellement, je partage ce point de vue, celui de Shane Toefer, professeur adjoint d’études médiatiques à l’Université de Géorgie du Nord qui étudie la WWE depuis 15 ans, est tout aussi défendable. Toefer explique que le discours de Stéphanie est probablement sincère mais il révèle également la tendance de la fédération à ignorer les controverses en tout genre. Le professeur explique que le message pourrait être interpréter négativement et pourrait bien pousser les partisans à rejeter les mesures de confinement : « Je pense que cela envoie un message négatif aux fans ». Alors que des millions d’Américains étaient chargés d’éviter autant que possible le monde extérieur, près de 50 lutteurs ont participé au tournage de Wrestlemania, dont certains ont voyagé hors de l’État pour se rendre à Orlando. Avec une énorme communauté, notamment auprès des jeunes, la WWE possède une grande audience et donc un grand pouvoir. Mais comme le dit l’oncle de Peter Parker : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».

(ATTENTION SPOILERS) Au lendemain de Wrestlemania, la question est la suivante : le pari de la WWE est-il une réussite ? Sans fans, il faut dire que l’ambiance était particulière, bien loin des autres éditions. Cette nuit, alors que Drew McIntyre venait de remporter son premier titre majeur, il n’avait que sa propre respiration pour fond sonore et semblait désespérément seul après sa victoire sur Brock Lesnar. Un sentiment d’inachevé planait dans la salle vide. Mais voilà, les fans le savait, ce Wrestlemania allait être particulier et inédit. Et dans cette confusion, la WWE a réussi à proposer un show dont elle seule détient le secret. Comme souvent, la fédération a tiré le meilleur de ces faiblesses logistiques imposées par le contexte. Si le show était loin d’être parfait, loin de là, il faut souligner les prestations des lutteurs et des lutteuses qui sont parvenus à nous procurer des émotions dans cette atmosphère de cimetière indien. Les deux matchs pour les titres principaux furent un peu laborieux et assez rudimentaires d’un point de vue technique, mais la satisfaction de voir McIntyre et Strowman remporter leurs premiers titres est clairement une réussite.

Deux rencontres ont volé la vedette aux main events des deux soirs. Les deux se sont déroulés en dehors de la salle, l’un des avantages que fournissent les enregistrements. Le premier soir, c’est évidemment le match Boneyard entre AJ Style et Undertaker qui a éclipsé la carte principale. Hier soir, c’est le surprenant Firefly Funhouse Match entre John Cena et Bray Wyatt « The Fiend » qui a remporté la vedette. Même si ce dernier a reçu beaucoup de critiques de la part des fans et notamment les plus puristes, il est bon souligner toute l’originalité de ce format. Les libertés et l’inventivité de Wyatt nous a permis d’assister à quelque chose d’inédit, rafraîchissant et plutôt déstabilisant. Je voudrais, à titre personnel, féliciter Wyatt pour son ingéniosité qui révèle une réelle compréhension du média, du fonctionnement de la WWE. Usant de nombreuses références vis-à-vis des différents personnages de John Cena, The Fiend a mis en avant sa folie destructrice dans un mini-movie que seul le format si particulier de ce Wrestlemania pouvait fournir. L’œil du lutteur est vraiment rafraîchissant pour la fédération et on espère qu’il puisse continuer à prendre de telles libertés même si on se souvient que cela ne marche pas toujours… cf. son match face à Rollins à Hell in a Cell.
Si le maintien de Wrestlemania peut faire l’objet de polémique à de nombreux niveaux, notamment dans l’exemplarité que se doit de donner la fédération, il est bon de souligner que le spectacle délivré par la WWE est une réussite. Une réussite non pas technique puisqu’il faut avouer que la qualité générale est plutôt insuffisante, mais une réussite dans le sens où la WWE nous a donné, encore une fois, quelques chose de spécial. Cette chose si spéciale, c’est du divertissement. Dans ce contexte si difficile, il est évident que Wrestlemania a assumé son rôle. Le contrat est rempli pour Vince, mais attention, puisque les semaines, les mois à venir risquent d’être difficiles pour la compagnie.