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Pourquoi le rachat de Newcastle choque-t-il le monde ?

Depuis plusieurs semaines, les rumeurs de rachat du club de Newcastle United FC vont bon train. Le club du nord de l’Angleterre pourrait passer sous la juridiction saoudienne pour une somme avoisinant les 340 millions d’euros. Les saoudiens veulent redorer l’image de leur pays à travers un processus de sportswashing. La Premier League doit maintenant valider le rachat car elle constitue la dernière étape dans la validation de proposition de rachat d’un club. Celui-ci est-il nécessaire ? Nous allons tenter de comprendre par ce papier les enjeux liés à la vente du club qui vont, vous le verrez, au-delà du sportif.

Enjeux sportifs et similitudes en Angleterre

Avant de commencer par se pencher sur la controverse dont fait écho ce rachat, il est légitime de se demander s’il est nécessaire sportivement et s’il peut tenir sur la durée. Pour cela, bien qu’il y ait des différences évidemment, prenons l’exemple du rachat de Manchester City par United Group of Abu Dhabi en septembre 2008. Avant ce rachat, les citizens pointaient à des places moyennes voire faibles dans le classement de Premier League. Ils ont même connu une descente lors de la saison 2000/2001 avant de retrouver la première division la saison d’après. Entre 2000 et et 2009 – nous prenons en compte la saison du rachat -, Manchester City a connu la 10e place en moyenne. Après ce rachat, le club des citizens a été vainqueur à quatre reprises du championnat d’Angleterre pour une place moyenne située autour de 2,3. Il est évident que l’injection de fonds dans le club lui a permis de connaître les sommets de manière régulière, et dix ans après, cela continue toujours d’être prospère.

Envahissement du terrain du Manchester Stadium après le but d’Agüero qui offre le titre à la dernière minute aux citizens.

Ainsi, peut-on se permettre de comparer la situation de Newcastle et celle de Manchester City ? Deux réponses : oui, car la situation sportive de Newcastle est sensiblement la même que celle de Manchester City douze ans plus tôt. Newcastle, depuis 2008, pointe en moyenne à la 13e place et a connu deux descentes avec remontée immédiate. De plus, la part des saoudiens investis dans le club de Newcastle serait à hauteur de 80% contre les 90% du holding Abu Dhabi United Groups à Manchester City. Non, car il est impossible de prévoir le futur. Deux situations à l’allure similaire ne seront similaires que dans un futur hypothétique. Rien ne dit que Newcastle tirera son épingle du jeu dans ce championnat grâce à ce rachat : le foot est une science et comme dit plus haut, n’a rien de binaire. Cependant, si l’argent injecté dans le club est considérable voire sans limite, si les choix sportifs sont judicieux concernant l’entraîneur, la philosophie de jeu, le recrutement, le staff, la politique commerciale et si de premiers bons résultats apparaissent, nul doute que le rachat saoudien aura un véritable impact sur le sportif et sur la réussite future de Newcastle en Premier League.

D’un point de vue juridique et administratif, le fait qu’un état du Moyen-Orient détienne la part majoritaire dans les actions d’un club n’est pas un fait nouveau en Angleterre. Outre le cas de Manchester City, il existe d’autres clubs en Angleterre dans lesquels interviennent l’action financière d’un état. En effet, dans le cas de Leeds United, la totalité des parts du club appartient au groupe Gulf Finance House basé au Bahreïn. Nous pouvons également évoquer le cas de Nottingham Forest qui était sous égide koweitienne avant son rachat en 2017. En tout cas, le rachat de Newcastle ne laisse personne indifférent.

Un rachat controversé ?

Mohammed ben Salmane, AFP.

Question simple, réponse compliquée. Dans la sphère du football comme dans n’importe quelle autre société, racheter une entreprise n’est pas une action binaire. De nombreux acteurs entrent en jeu dans l’acquisition d’un club de football. Il est d’ailleurs difficile de dénombrer l’entièreté humaine en question mais il est possible de dégager de grands noms d’entités qui ont un rôle dans le rachat d’un club. Concernant le club de Newcastle, tout est mis en place aujourd’hui pour que les saoudiens acquièrent le club. Il ne leur manque que l’aval de la Premier League. Cette décision est néanmoins un processus assez long puisqu’il faut examiner la véracité du rachat et surtout sa moralité. Ainsi, nous pouvons citer plusieurs protagonistes qui élèvent la voix contre celui-ci.

“Depuis plusieurs années, l’Arabie saoudite s’est engagée dans un programme très actif de « sportswashing ». Nous avons alerté sur cette situation à maintes reprises. En utilisant le sport – entre autres – le pays tente d’améliorer son image à l’internationale, notamment pour faire oublier son bilan catastrophique en matière de droits humains”

Amnesty International

Premièrement, Amnesty International s’est positionnée contre le rachat par les saoudiens. Mohammed ben Salmane, prince-héritier et vice-Premier ministre d’Arabie Saoudite, est le protagoniste du Fonds Public d’investissement d’Arabie Saoudite (Saudi Public Investment Fund) et détiendrait 80% des parts des investissements injectés dans le club. C’est contre cette figure d’autorité et tout son état qu’Amnesty International s’oppose dans une lettre envoyée à la Premier League. Sur le site internet français d’Amnesty est dénoncé un “partenariat dangereux” entre le championnat anglais et l’exécutif saoudien qui déroge les règles morales des droits de l’homme. Enfin, l’ONG appelle les supporters et amoureux de Newcastle “à prendre connaissance de la dramatique situation des droits humains en Arabie saoudite et à se préparer à la dénoncer“.

Dans un second temps, Bein Sports s’oppose également au rachat du club et a fait part de sa colère à la Premier League. Bein Sports détient un contrat sur 3 ans de 570 millions d’euros avec le championnat anglais et n’a pas oublié l’histoire de piratage par l’Arabie Saoudite de la chaîne Bein Sports. En effet, depuis août 2017, BeoutQ propose les 10 chaînes du diffuseur qatari gratuitement avec sept secondes de décalage.

Le vice est poussé à son paroxysme : le logo original a été remplacé par celui de BeoutQ, de nouveaux commentaires sont mis en place pour enlever ceux de la chaîne initiale et les pages de publicités sont remplacées afin de faire payer le moins possible à la chaîne. Le nom de la chaîne en lui-même est assez explicit : BeoutQ signifie Be out Qatar (Dehors le Qatar !). Si un diffuseur aussi engagé en Premier League que l’est Bein Sport prend part à une opposition vive envers le rachat, nul doute que les responsables du championnat vont devoir réfléchir longuement avant de s’avancer.

Exemple de diffusion de la Premier League par la chaîne BeoutQ

D’autres personnes élèvent la voix contre le rachat du club par les saoudiens. En exemple frappant, le cas de Hatice Cengiz, la femme du journaliste assassiné par le régime saoudien, Jamal Khashoggi. Elle dénonce, au même titre qu’Amnesty International, ceux qui cherchent à se “blanchir et utiliser le football anglais pour améliorer leur image et cacher leurs méfaits“. Toujours selon elle, “il ne devrait pas y avoir de place en Premier League et dans le football anglais pour quelqu’un d’impliqué dans des actes aussi abominables“.

Le rachat du club de Newcastle par le Fond Public d’Investissement Saoudien touche par conséquent le domaine extra-sportif. Des conflits géopolitiques sont à l’origine d’oppositions dans la vente du club et la décision finale sera prise par la Premier League. Comme l’évoque le Secrétaire d’Etat aux Sports britannique, “il appartient à la Premier League de porter sur le test des personnes aptes et appropriées et je n’ai pas l’intention de modifier l’approche que nous adopterions, à savoir qu’il appartient à la Premier League de procéder à cette évaluation“. Néanmoins, Romain Molina évoque dans sa vidéo concernant le rachat de Newcastle, le fait qu’il ne faille pas toujours voir un contexte géopolitique dans le football, énonçant que l’image des saoudiens leur importait peu. Affaire à suivre.

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