De 1969 à 2004, les Expos de Montréal ont fait vibrer la cité québécoise. Mais voilà, l’histoire a abruptement pris fin pour la seule franchise francophone estampillée MLB (Major League Baseball). Pourtant, depuis quelques années, un groupe d’investisseurs tente de faire renaître de ses cendres le projet. Et il n’a jamais été aussi proche de réussir.
Que reste-t-il de « Nos amours » ? Ce surnom, déjà, en dit beaucoup sur la passion que porte la ville de Montréal – et plus généralement le Québec tout entier – pour « ses » Expos. Dans un marché fortement dominé par le hockey sur glace et la franchise mythique des Canadiens de Montréal, le baseball a quand même réussi à se tailler une substantielle part du gâteau. Sport américain par excellence, il s’est immiscé sans mal dans la société francophone québécoise au point de devenir l’un des sports les plus populaires. Les Expos y sont pour beaucoup.
Ajoutée en 1969 à la Ligue nationale (en même temps que les Padres de San Diego), la franchise des Expos va connaître un parcours sinueux en MLB. Les résultats, longtemps décevants, et le manque d’infrastructures (les Expos n’ont jamais joué dans un véritable «ballpark»), n’entament pas la passion des fans. Ni même la malchance lorsqu’en 1994, lors de la meilleure saison de l’histoire de la franchise, ils voient leur équipe, alors largement en tête du championnat, perdre toutes ses chances de titre à cause d’une grève proclamée par l’association des joueurs.
Finalement, ce qui va creuser la tombe des Expos, c’est bien la gestion hasardeuse du dossier de nouveau stade, qui ne verra jamais le jour, et le manque d’ambition des propriétaires. Le 29 septembre 2004, devant plus de 30 000 spectateurs, Montréal dit adieu à sa franchise chérie lors d’une défaite 9-1 contre les Marlins de la Floride. Les Expos déménagent à Washington et deviennent les Nationals, qui ont d’ailleurs remporté les Séries mondiales la saison dernière.
Stephen Bronfman, homme providentiel ?
Le nom des Expos n’est pas pour autant tombé dans l’oubli. Les casquettes et les jerseys siglés du logo sont devenus un « must-have » pour tout collectionneur qui se respecte et le côté vintage de l’identité visuelle de la franchise montréalaise plaît particulièrement aux amateurs de mode. Surtout, dans les allées de Montréal, il n’est pas rare de croiser, entre deux casquettes des Canadiens, le logo des Expos trônant fièrement sur un t-shirt ou au-dessus d’une visière. Non, les Montréalais n’ont pas fait une croix définitive sur leur franchise. Et surtout pas Stephen Bronfman. Né à Montréal, ce richissime homme d’affaires a baigné depuis son plus jeune âge dans le monde du baseball. Et pour cause, il est le fils du milliardaire Charles Bronfman, propriétaire des Expos pendant plus de 20 ans.
A la tête d’un consortium rassemblant de nombreux hommes d’affaires souhaitant voir le retour des Expos, il a bâti un ambitieux plan pour permettre à Montréal d’exister à nouveau dans le monde de la MLB, qui ne compte actuellement qu’une équipe hors des USA : les Blue Jays de Toronto. Patiemment, intelligemment, il a joué ses cartes les unes après les autres. C’est, évidemment, d’abord une histoire de gros sous. De ce côté-là, la « candidature » montréalaise est aussi solide que le portefeuille bien rempli de son homme providentiel. Mais avoir un propriétaire aux reins solides n’est pas suffisant pour donner envie à la MLB de se pencher à nouveau sur le Québec.
Il faut pouvoir prouver que le marché montréalais est assez alléchant pour que la ligue nationale y trouve son compte. Pour cela, Bronfman n’a pas lésiné sur les moyens. Excellent communicant, il rate rarement une occasion de souligner la passion qui anime la ville. « Les Montréalais adorent les sports professionnels, répète-t-il à l’envi. Ils suivent la tradition du hockey avec le Canadien. Il y a aussi la tradition du baseball. » Ce n’est pas tout. Il est l’un des artisans du retour du baseball professionnel à Montréal. Depuis sept ans, les Blues Jays de Toronto viennent jouer des matches de pré-saison dans l’enceinte du stade olympique de Montréal, devant une foule importante et passionnée. De quoi prouver aux décideurs que oui, le feu sacré est toujours présent parmi les partisans des Expos.
L’épineuse question du stade
Bronfman s’est également attaqué au dossier du stade, condition sine qua non pour un retour pérenne du baseball professionnel à Montréal : « La MLB ne veut pas du stade olympique, qui n’est de toute façon pas un stade de baseball », exposait en octobre 2019 l’homme d’affaires. Lors de cette même conférence de presse, il a dévoilé un ambitieux plan de construction d’un stade en centre-ville de Montréal. Aujourd’hui, la balle est dans le camp de la mairie, qui n’a pas toujours été à la hauteur pour soutenir la franchise lorsqu’elle était installée. Mais, en coulisses, Bronfman et ses compagnons ont fait leurs devoirs et les pouvoirs public semblent aujourd’hui travailler main dans la main avec le groupe d’investisseurs.
Du côté de la MLB, on regarde de plus en plus attentivement ce qu’il se passe du côté de Montréal. Et pour cause, plusieurs franchises sont en difficulté depuis quelques années, faute de public et/ou de résultats. C’est notamment le cas des Rays de Tampa Bay qui, malgré une situation sportive très intéressante, ont du mal à faire recette. Stephen Bronfman s’est engouffré dans la brèche et pousse pour que Montréal puisse récupérer la franchise. Rob Manfred, commissaire général de la Ligue majeure de baseball, verrait d’un bon œil un projet de « garde partagée » des Rays entre Montréal et Tampa Bay. En février 2020, il confiait au Tampa Bay Times : « Ce n’est pas une idée folle, loin de là. Je crois qu’il s’agit vraiment d’un effort légitime pour préserver le baseball en Floride, et ce, au bénéfice des partisans des Rays. »
Garde partagée ou retour à part entière ?
Cette solution de garde partagée, si elle permettrait à Montréal de revoir de manière régulière du baseball professionnel, ne plaît pas à tout le monde. Les Rays ne sont pas les Expos et les nostalgiques n’y trouveraient pas forcément leur compte. Bronfman, lui, joue la carte du compromis et s’est dit très intéressé par cette solution, au moins temporairement, histoire de montrer au monde du baseball que Montréal est à la hauteur. Cependant, Rob Manfred ouvre la porte à une autre solution, l’expansion : « Montréal pourrait être un marché capable de soutenir à lui seul une équipe, a affirmé Manfred. Je pense que si tu es Montréal, tu dois te poser les questions de si et quand nous allons devenir une ligue à 32 équipes. Si tu as l’opportunité d’avoir du baseball là-bas, ça pourrait être un bon plan. Alors, ils auront à prendre cette décision. »
Aujourd’hui, la crise liée à la pandémie de Covid-19 a forcément jeté un voile sur tout le travail réalisé par Stephen Bronfman pour faire revivre les Expos. Début avril, il confiait être toujours optimiste : « Je suis toujours confiant, il y a simplement les échéanciers qui pourraient être repoussés un petit peu. Quand le temps sera venu, je serai heureux de parler de baseball ! »
Toutes les planètes semblent alignées pour que, d’une manière ou d’une autre, la MLB revienne de manière pérenne à Montréal. La volonté est en tout cas forte chez tous les acteurs du dossier. Et même si la situation actuelle complique le calendrier, la question n’est plus vraiment de savoir si Montréal va revoir du baseball professionnel. Mais plutôt comment (Expos ? Rays?) et, surtout, quand.