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Valérien Ismaël : le magicien de Linz

Le 30 avril dernier, la décision tombe, après 5 années dans le purgatoire de la Ligue 2, le Racing Club de Lens est officiellement promu dans l’élite. Nommé quelques semaines avant l’arrêt du championnat – au bout de 28 journées -, l’entraineur par intérim, Franck Haise, est dans l’incertitude quant à son futur. Les rumeurs vont bon train et plusieurs pistes sont évoquées pour son remplacement. Deux noms apparaissent : Rémi Garde et Valérien Ismaël. Le second, joueur marquant des années 90 et 2000 en France, puis en Allemagne, est aujourd’hui relativement méconnu dans son rôle d’entraineur. Pourtant, l’homme fort du LASK apporte un vent de fraicheur cette saison en Europe et en Bundesliga autrichienne. Une piste bienvenue, qui si elle n’aboutit pas, mérite un focus sur le travail réalisé par le technicien français.

Arrivé à l’intersaison 2019 pour prendre la suite d’Oliver Glasner, parti à Wolfsburg, Ismaël n’avait pas la tache facile puisque son successeur a mené l’équipe de la 2ème division, à une qualification en tour préliminaire de Ligue des champions, en 4 ans à peine. Pas de quoi effrayer l’ancien défenseur du Werder ou du Bayern. De ce vécu de joueur, qui l’a vu atteindre une demi-finale de coupe UEFA avec Lens, obtenir un titre de champion d’Allemagne avec Brême et participer à plusieurs campagnes de Ligue des champions, Ismaël en a tiré une expérience indéniable. Pourtant ses débuts en tant qu’entraineur sont loin d’être une réussite. À la suite de différentes expériences avec les équipes réserves d’Hanovre et Wolfsburg, il se retrouve propulsé à la tête de Nuremberg en 2014. La formation bavaroise descend alors de Bundesliga avec la ferme intention d’y retourner immédiatement.

Mais la transition est difficile et l’expérience se solde par une éviction en novembre. La suite est du même acabit, revenu à Wolfsburg (2016-2017), il prend en charge l’équipe première alors en difficulté au classement en Bundesliga. Mais avec 10 défaites au compteur en 17 matchs, c’est un nouvel échec. La reconversion vire au cauchemar en 2018. Contacté par le club grec de l’Apollon Smyrnis, il ne prend part qu’à un seul match avant de démissionner, la faute à d’importants désaccords avec le président, “trop impliqué” dans ses décisions, selon le français. C’est dès lors du côté de la Haute-Autriche qu’on le retrouve à l’été 2019 avec cette fois la réussite au rendez-vous. Il faut dire que le strasbourgeois de naissance n’est pas du genre à abandonner et a appris de ses échecs successifs, tout en perfectionnant ses méthodes de travail, en échangeant avec des coachs confirmés et en participant à des séminaires, comme il le déclarait à Sofoot il y a peu.

« J’ai échangé avec de nombreuses personnes, j’ai écouté les idées, j’ai trouvé de nouvelles pistes… Cette période creuse m’a aidé à fortifier ma philosophie de jeu et j’en avais besoin, pour avoir de meilleures clés, une meilleure connaissance des différents systèmes…»

Aujourd’hui, le bilan est plus que positif avec Linz. À l’arrêt du championnat, la formation autrichienne est leader, devant l’hégémonique RB Salzbourg, champion inarrêtable depuis 2014, avec 3 points d’avance et en étant invaincu face au mastodonte (1 victoire et 1 nul). Au total 17 victoires, 3 nuls et 2 défaites pour la meilleure défense du pays et la deuxième attaque. En Europe aussi le LASK impressionne. Eliminé en barrage de la Ligue des champions par le FC Brugge après une qualification contre le FC Bâle au 3ème tour préliminaire, il a su rebondir en Europa League en sortant 1er d’une poule composée du PSV Eindhoven, de Rosenborg et du Sporting Portugal. Confirmation faîte en 16ème de finale, en passant l’AZ Alkmaar pour se permettre de rêver face à Manchester United en 8ème. Impensable pour un club encore en 3ème division en 2013 et historiquement anonyme sur le plan national (1 titre de champion) mais qui, par l’intermédiaire d’investisseurs sérieux et via une philosophie de jeu, a grimpé un à un les étages. Si son invincibilité européenne à domicile a pris fin face aux mancuniens (défaite 0-5 à l’aller dans des conditions particulières : huis clos, incertitude sur le maintien du match, inexpérience de ce niveau), cela ne doit pas masquer l’œuvre réalisée par Ismaël.

Un style offensif et basé sur la verticalité

Plus que le résultat, c’est aussi la manière qui est saluée. Vainqueurs de leurs onze matchs à l’extérieur en championnat, les joueurs pratiquent un jeu offensif et très attrayant. De l’équipe vice-championne de la saison précédente, le français a récupéré le 3-4-3 utilisé par Glasner et cherche à déployer un football pro-actif, semblable à celui vu à Salzbourg, à Leipzig ou chez le Bayern d’Hansi Flick.

L’utilisation massive des latéraux (Ranftl à droite, Potzmann ou Renner à gauche), une relance en “M” où les défenseurs centraux recherchent systématiquement les deux joueurs axiaux (Holland et Michorl), la multiplication de triangles naturels et des renversements. Telle est la philosophie appliquée. Un éloge du foot moderne, très rependu en Allemagne, que le LASK peut surtout déployer en Europe, ses adversaires nationaux ayant davantage tendance à se retrancher.

Illustration, lorsque Linz est en possession du ballon, les trois arrières centraux se positionnent haut et en largeur tandis que les ailiers restent près de la ligne de touche. Les trois attaquants, tournent beaucoup pour créer des appels de balle et/ou apporter de la verticalité. Pendant ce temps, les deux milieux de terrain centraux, se placent dans les demi-espaces et adoptent des déplacements verticaux pour favoriser le jeu court avec les défenseurs. Cette stratégie agressive est couplée à une volonté défensive tout aussi brute.

Le gegenpressing, base du système défensif

Le gegenpressing signifie presser l’adversaire directement après avoir perdu la possession, c’est-à-dire presser en unité organisée au moment de la transition défensive. Toute l’équipe chasse le ballon et, dans le cas idéal, le récupère immédiatement à l’adversaire. Illustration ici contre le Sturm Graz. Lorsque le gardien adverse est en possession de la balle, Raguž, Frieser et Goiginger se placent à une distance raisonnable des défenseurs pour provoquer la passe courte. Dès qu’elle est effective, la pression est immédiatement appuyée, avec l’apport des milieux Michorl et Holland, pour empêcher leurs vis à vis de fournir une solution.

Situation de gegenpressing qui démontre le travail des attaquants, le manque d’espace entre les lignes et le positionnement haut des défenseurs (source : footballbh)

Mais lorsque vous mettez la pression sur vos adversaires si haut sur le terrain, c’est tout le bloc équipe qui doit suivre afin de resserrer les espaces et d’empêcher les combinaisons courtes et rapides adverses. Une mise en place qui s’opère dès l’organisation offensive puisque les trois arrières sont positionnés hauts, aux alentours de la ligne médiane dans l’optique de jouer court et dans le sens de la verticalité (Photo). Linz reste logiquement compact et pour cette raison, il n’y a absolument aucun espace libre au centre, forçant les adversaires à utiliser du jeu long, peu efficace, pour ressortir.

Ainsi, sur le match remporté 3-2 par Linz à Salzbourg, le gegenpressing s’est révélé intense sur deux périodes clés : les quinze premières minutes de chaque mi-temps. C’est en effet à ces moments-là que Salzbourg a joué, en pourcentage, le plus de long ballon (37% et 36%). Linz a en moyenne, en Bundesliga autrichienne, une valeur PPDA (passes par action défensive : nombre de passe effectuée par l’adversaire lorsque Linz est en phase défensive) de 6,55. Ce qui la place à la troisième place des meilleures équipes de la ligue dans ce domaine. Et démontre par ailleurs la volonté d’Ismaël d’empêcher l’équipe adverse d’avoir le contrôle du match.

Un système adaptable à l’adversité

Toutefois, cette tactique demande une énorme dépense d’énergie, pratiquement impossible à exécuter au cours des 90 minutes. À la lumière de cela, les temps de récupération sont nécessaires et passent, soit par une possession longue qui vise à faire courir l’adversaire, ou par une réorganisation en 5-2-3 avec un bloc équipe plus bas et plus resserré pour laisser le ballon. Une option qui n’empêche pas les trois attaquants de maintenir le pressing, pour toujours empêcher des relances courtes et rapides. Mais également pour se projeter rapidement vers l’avant en cas de récupération (situation de contre-attaque).

En effet, les défenseurs libèrent dès lors des espaces puisqu’ils ne sont pas au marquage (Photo 1). En cas d’échec, le positionnement du trio offensif devient plus compact ce qui permet d’utiliser du jeu long autour d’un point pivot (l’avant-centre Raguz), qui dévie les ballons aériens pour les deux ailiers, tandis que les milieux centraux doivent lutter pour être à la récupération sur les deuxièmes ballons (photo 2). Faisant remonter le bloc équipe par la même occasion.

Ces situations sont surtout adaptées à des équipes qui évoluent avec 4 défenseurs. Les pistons apportant un surnombre dans les espaces, empêchent un marquage individuel par les adversaires (phases offensives, photo 3) et bloquent les couloirs (phases défensives, photo 4).

Les Coups de pied arrêtés, symbole de la dimension physique

Cette dimension plus physique dans la construction du jeu trouve une autre application. Auteur de 26 buts dans sa carrière, Ismaël a su maximiser son 1m91 pour devenir un défenseur efficace et robuste dans les airs. Un style qu’il a transposé dans son équipe, notamment sur les coups de pied arrêtés. Comme nous pouvons le voir dans l’image ci-dessous (photo 1), dans les situations offensives, Trauner et Raguž deux joueurs au gabarit adapté au jeu aérien et physique, sont placés au premier poteau pour amener le ballon vers le deuxième poteau ou devant le but. Zones où se placent leurs coéquipiers afin d’apporter le danger par le surnombre.

Un schéma tactique également utilisé dans les phases défensives (photo 2). Ainsi le LASK est parmi les meilleures équipes en matière de défense lors des coups de pied arrêtés. L’équipe a toujours cinq joueurs placés devant le but dont, l’avant-centre Raguž au premier poteau, puis les trois arrières centraux et enfin Holland au deuxième poteau (le plus fragile dans les duels aériens). Deux autres joueurs, font bloc afin d’empêcher les adversaires d’arriver lancés.

En somme, une équipe polyvalente, qui sait se montrer efficace et qui fait preuve d’abnégation. Le tout ancré aujourd’hui dans l’ADN du club autrichien qui se façonne dans une certaine idée du football. Intégrer dans un projet sur le long terme, qui verra Linz obtenir un nouveau stade dans un futur proche, Ismaël perfectionne ce style et cette philosophie qui apportent un vent de fraicheur dans le football local et européen.

De par son vécu, ses sources d’inspiration, Valérien Ismaël cultive un rapport au football, très international. Se basant principalement sur ses expériences en tant que joueur : Lens, Strasbourg, Brême, Bayern Munich, Hanovre. C’est surtout en Bundesliga que l’on retrouve les caractéristiques de sa philosophie. Il y a toujours cette idée de se projeter très vite vers l’avant, un jeu porté vers l’offensive. Il y a aussi cette notion d’abnégation totale que l’on retrouve beaucoup en Allemagne. Mais au delà de remettre le ballon le plus vite possible dans le camp adverse, il y a cette volonté de rajouter la possession du ballon à ce pressing intensif, pour imposer des temps de repos. Conséquence, un réalisme qui apporte des résultats sur le plan sportif et dans la beauté du football pratiqué.

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