28-24. Non, ce n’est pas un score de baby-foot, mais le résultat du vote de qui entérine l’entrée du Kosovo dans l’UEFA. 6 ans plus tard, le Kosovo aurait pu, sans cette crise sanitaire, jouer l’euro 2020. Encore en course dans les éliminatoires, une qualification pourrait être la consécration d’une fédération (et d’un pays) qui se bat depuis des années pour être reconnue et pour progresser. Depuis 2008 et la déclaration d’indépendance du Kosovo, le chemin a été long et sinueux. Zoom sur un pays peu connu, au passé douloureux mais au futur brillant.
Avant propos : cet article a été largement inspiré par le travail de @Footballski, qui a écrit de magnifiques articles sur le sujet. Pour approfondir sur le football Kosovar et le football de l’Est en général, voici le lien de leur site : https://footballski.fr/. Romain Molina a aussi interviewé Loic Tregoures, dans une conversation très intéressante que vous pouvez retrouver en cliquant ici.
Petit point géopolitique avant de commencer : le Kosovo devient indépendant en 2008, en se détachant de la Serbie, qui le considère toujours comme une province. Mais les Serbes ne sont pas seuls : aujourd’hui, plus de 96 pays refusent encore de reconnaître le pays. A majorité Albanais, mais aussi Serbe, et un peu Bosniaque, le Kosovo est un pays multilingues, pluri-ethnique et pluri-culturel, descendant direct de l’ex-Yougoslavie, dont le Kosovo était une province. Toutefois, avec les différentes guerres et conflits qui ont miné le territoire, une grande partie de la population kosovare s’est éparpillée à travers l’Europe, tant et si bien que le Kosovo possède aujourd’hui une immense diaspora, allant de la Suisse à la Norvège tout en passant par la Turquie. L’histoire des balkans et la géo-politique sont des sujets intéressants, mais sont loin d’être le sujet de cet article.
Fadil Vokrri et Eroll Salihu, têtes pensantes de la reconnaissance du Kosovo.
Deux noms, deux amis, deux ex-joueurs, deux trajectoires différentes mais un seul but : faire que le football kosovar existe, comme il l’a toujours fait. En 1991, alors que le championnat Yougoslave commence à être freiné par les situations politiques, certains matchs commencent à être annulés. C’est le moment que choisit Eroll Salihu pour démarrer un championnat parallèle de football. Et depuis, le championnat kosovar a toujours vécu. Sans être reconnu, sans être officiel, en étant même chassé, il a vécu. Sur des “terrains” dangereux, ou plutôt des champs ou des parcelles d’herbe ou de terre, poursuivi par la police et les milices volontaires chargées de répression, il a vécu. Et durant ce temps là, Fadil Vokrri mène quant à lui une petite carrière, entre Nîmes, le Fenerbache et d’autres petits clubs français. Seul Kosovar a avoir joué pour la Yougoslavie, l’attaquant nourrit cependant secrètement le rêve de retourner au pays et d’y développer le football.

Et c’est en 1999, alors que le pays est en ruine suite à la guerre civile, que Vokkri fait son retour. Il décide alors de continuer le championnat kosovar, et d’envoyer les résultats, l’organisation à la FIFA, qui ne sait quoi répondre. Vokkri travaille sans relâche, et devient en 2008 président de la fédération, tandis que Salihu en devient le secrétaire général. Les deux hommes, qui vont directement se mettre en tête de se faire reconnaître par les instances internationales, font le tour de l’Europe, tentant de faire entendre leur voix. Et petit à petit, les deux hommes vont trouver des relais auprès des hautes instances. Si Platini est opposé à une introduction kosovar à l’UEFA, Gianni Infatino est une oreille attentive. Eroll Salihu avoue même que le Suisse a joué un rôle “très favorable. Il est un partisan du Kosovo.” Sepp Blatter, lui aussi, semble ouvert à la question kosovare. Après de longues négociations et malgré certaines protestations, l’UEFA introduit le Kosovo en son sein en 2014, quelques semaines avant que la FIFA en fasse de même.

C’est en janvier 2014 que le Kosovo est autorisé à disputer des matchs amicaux. Quelques petites conditions : pas de symboles nationaux, pas d’hymnes. Le premier match a donc lieu en mars, contre Haïti. Le Kosovo n’a pas encore négocié avec les joueurs issus de sa diaspora, mais Salim Ukjani, le gardien, est déjà la. Il raconte : “On se disait bonjour, et le lendemain, on disait : C’est quoi ton nom déjà ? Mais on avait le sentiment d’être comme des frères.” Mais le travail est encore immense : les stades sont plus que vétustes, les infrastructures quasi-inexistantes, et la FIFA n’a pas encore donné son accord pour que des joueurs ayant déjà joué pour d’autres sélections puissent finalement faire le choix du Kosovo. C’est le 5 septembre 2016, 7 heures avant le coup d’envoi de leur premier match de qualification à la Coupe du Monde, que la FIFA autorise les derniers joueurs kosovars ayant déjà joué pour d’autres sélections à jouer pour leur pays. Amir Rahmani, défenseur central, en fait partie. L’actuel capitaine de la sélection avait auparavant disputé un match avec l’Albanie. Mais son attachement au Kosovo est trop fort : “Unis, avec l’aide de nos supporteurs, le Kosovo peut réussir de grandes choses“.
“On ne pensait pas que l’on progresserait aussi vite!”
Salim Ukjani, gardien de la séléction.
Aujourd’hui, Eroll Salihu récolte les fruits du travail qu’il a mené avec Vokrri. Le championnat kosovar se structure, avec des droits télé, des transferts extra-nationaux (ce qui n’avait pas lieu avant), et des infrastructures qui se professionnalisent. 6 synthétiques ont été construits pour les clubs de première division, et chaque club professionnel possède des équipes de jeunes, ce qui est une première victoire. Le gardien Salim Ukjani confie : “Ça a été étape par étape, mais on ne pensait pas que l’on progresserait si vite ! On voit les avantages et les bénéfices d’être membres de l’UEFA et de la FIFA (qui apportent des subventions importantes chaque année). On peut investir dans les jeunes, le foot féminin et l’équipe nationale, avec des résultats très encourageants.” Ukjani se remémore aussi les émotions procurées par l’équipe nationale. Lors du premier match au stade Fadil Vokkri contre les Iles Féroés, l’ex capitaine de la sélection raconte : “Leur capitaine est venu vers moi et m’as dit : je veux te remercier puisque c’est l’un des matchs les plus chargés en émotion que j’ai joué, en raison des fans, de l’atmosphère et de l’ambiance.”
Mais le football joue aussi un rôle à l’international : en disputant des compétitions européennes, internationales, en ayant des clubs en Europa League/Champions League, le Kosovo s’assume comme un pays à part entière.
N°10 à l’ancienne, pressing et verticalité.
Troisième de leur groupe de qualification à l’Euro 2020, l’équipe kosovare a notamment été mise en lumière par leur défaite 5-3 face à l’Angleterre. Un match fou, au cours duquel les Kosovars ont justifié leur surnom de “Brazilians balkans“. En partant du gardien, Arijanet Muric, formé à City et prêté à Nottigham Forest. En remplaçant Salim Ujkani, le jeune portier de 21 ans a apporté son jeu au pied courageux, qui permet de relancer court et de chercher, très souvent, les milieux par des passes mi-distances au ras du sol, afin d’accélerer le jeu. Sans pour autant être toujours couronné de réussite (202 passes réussies sur 298 lors des éliminatoires), ces tentatives ont au moins le mérite d’être audacieuses. La ligne défensive est constituée de différents profils, mais souffre souvent d’un manque de vitesse, d’anticipation, qui la fait souvent souffrir. Pour palier à ces carences, les 4 défenseurs s’appuient sur leurs automatismes, et sur une ligne homogène qui joue le hors-jeu. Le double pivot placé devant la défense, un des secteurs le moins sûr de l’équipe, a la lourde tâche d’effectuer un fort pressing, de devoir être la relance tout en étant un véritable lien avec le n°10.

L’un des symboles du Kosovo se trouve justement dans ce n°10, Bersant Celina. S’il porte le n°9 sur son maillot, il a toutes les caractéristiques du milieu offensif. Assez déchargé des tâches défensives, il joue proche de son attaquant, en tentant de combiner avec lui, mais aussi avec ses ailiers. en étant le véritable maître à jouer, si important dans les changements d’ailes très rapide qui caractérisent le jeu kosovar.
« C’est notre mentalité, l’équipe ose. On est un peu inconscients dans notre façon de jouer ! »
Bernard Challandes, sélectionneur du Kosovo.
Rashica et Zeneli, placés en faux pieds, attaquent les halfs spaces et profitant de leur vitesse et de leur capacité d’élimination pour créer un jeu rapide, vers l’avant, dans lequel Muriqi, le buteur, s’intègre parfaitement en étant un point de fixation capable de remiser, de marquer, de combiner, mais aussi d’être le premier à presser. Il est le meilleur buteur (4 buts), mais aussi celui qui tire le plus de l’équipe (20 tirs), à la réception de centres et de passes distillées par les maîtres à jouer placés derrière lui. . De manière générale le Kosovo a un jeu très rapide, très vertical, résumé par les mots de Bernard Challandes, son sélectionneur : « C’est notre mentalité, l’équipe ose. On est un peu inconscients dans notre façon de jouer ! ». Avec 80% de passes réussies seulement, cela souligne le courage et la volonté de jouer vite, certaines fois avec peut être un peu de précipitation des kosovars. Sans ballon, le Kosovo presse haut, en tentant de compenser le manque de vitesse de sa ligne défensive. Mais quelques petits soucis peuvent encore être aperçus, hors de la qualité individuelle de ses joueurs. Les lignes ont souvent tendance à être distendues ce qui les rend facile à casser, et force les défenseurs à devoir sortir et quitter leur ligne défensive. Le Kosovo doit aussi être fier de ses idées de jeu, et ne pas en changer : lors du Kosovo-Angleterre, les locaux n’ont pas existé : 4-0, pas de pressing, un 4-1-4-1 qui a pris la place du 4-2-3-1, et des difficultés à créer des occasions.
Mais tout n’est pas encore tout réglé.
Championnat en développement, aides de la Fifa, sélection en progression, tout peut paraître en bonne voie. Mais ce serait occulter certains soucis récurrents : même s’il ne concerne pas que le football, le drapeau kosovar est encore sujets à polémique. Assez neutre, sans symboles nationaux et très éloigné du drapeau albanais, l’étendard kosovar est très peu populaire. Si bien que les stades sont bien plus souvent décorés par les drapeaux rouges et noirs albanais, même si cette tendance est à la baisse.

Le drapeau actuel et sa neutralité ont été choisis afin d’éviter un conflit avec la Serbie, en 2008. Mais 12 ans plus tard, les tensions existent toujours. Et Ilija Ilvic, Serbe aux origines Kosovares, en a fait les frais. En déclarant vouloir évoluer pour l’ancienne province Yougoslave, le joueur de 16 ans s’est attiré des menaces de mort, des pressions de toutes sortes, et le licenciement de sa mère. Pourtant, le jeune joueur déclare vouloir “juste jouer au football, c’est tout”. Et sous le maillot du Kosovo. Le souci, c’est que Ilvic est le premier joueur serbe à déclarer vouloir jouer sous le maillot Kosovar… La porte est désormais ouverte, et le football Kosovar a franchi une étape. Une de plus, et pas la dernière.
Le Kosovo, comme pays ou comme nation footballistique, n’est qu’au début de son histoire récente. Après avoir traversé des périodes plus compliquées, une ère bien plus joyeuse est en train de s’ouvrir. Si tout n’est pas encore réglé, l’espoir est de mise, et un véritable allant se fait sentir, que ce soit dans la sélection, chez les clubs, chez les supporters, au sein de la Fédération. Et qui sait ce qui peut se passer quand la prochaine génération choisira le Kosovo, ce que n’ont pas pu faire les Shaquiri, Behrami, Xhaka ou Januzaj, qui auraient tous pu évoluer sous le maillot des Brazilians balkans.