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David Lafarge, symbole d’un conflit sans précédent aux Girondins

Hier, le patron de la sécurité des Girondins de Bordeaux a été débarqué de son poste par la direction du club, menée par le très controversé Frédéric Longuépée. Ce qui peut être perçu comme une refonte de l’organigramme et des forces est vu comme une enième attaque frontale à l’Histoire du club. Entre une direction répressive et un combat politique d’idéologies diamétralement opposées, ce licenciement de David Lafarge est tout sauf à prendre à la légère. De deux entités sensées converger vers un même objectif, on passe à deux irréconciables qui ne peuvent, à aucun moment, se retrouver pour mieux régner ensemble.

22 ans, c’est l’ancienneté de David Lafarge aux Girondins de Bordeaux. Ce sont les Ultramarines, force majeure dans l’opposition à King Street – et surtout ses représentants français, en poste au Haillan – qui ont annoncé la nouvelle dans un communiqué. Pour le lire, cliquez ICI.

Le désaveu d’une politique répressive

Cela fait des mois que le dialogue est rompu entre la direction du club et les Ultramarines. Le conflit a pris une ampleur toute autre depuis les révélations, par l’intermédiaire des UB, appelées #GirondinsLeaks. Sans revenir sur cet épisode à charge contre une direction prônant un discours agressif (parfois même condescendant) vis-à-vis des supporters et des salariés du club, cet épisode d’une « guerre ouverte » a été le point de rupture du côté du Président Longuépée. Mais ce point de rupture, ce paroxysme d’une impossible cohabition, n’a t-il pas été atteint par les supporters bordelais un soir de match ?

18e journée de Ligue 1, saison 2019-2020. Les Girondins de Bordeaux accueillent le RC Strasbourg dans une ambiance hostile. Le Virage Sud, fief historique des Ultramarines, a été fermé à titre conservatoire par la direction du club en réponse a des banderoles et fumigènes brandis par la force contestataire. Le jour du match conclut une semaine de tensions, de déclarations. À l’arrivée au stade, les Ultramarines sont « accueillis » par 80 agents de sécurité de la société privée Gest’n Sport Sécurité. Échaudés, ils n’ont eu d’autre choix que d’être dans des blocs séparés, permettant d’éroder les personnalités plutôt que d’accepter qu’elles restent ensemble. L’accueil a été frontal, le club n’ayant pas officiellement communiqué sur le sujet. Cette décision a été perçue comme une provocation physique, forçant les Ultramarines à ne pas avoir le droit de protester contre la direction. Nicolas Morin, journaliste spécialiste des Girondins pour France 3, tweetant : “Stadiers, police avec flash ball, il ne manque que le GIGN… C’est pas un peu too much ?”.

C’est peut-être la plus grande rupture qui a creusé le fossé entre deux entités d’habitude indissociables. Il semble, en ce sens, que le licenciement de David Lafarge est une nouvelle fragmentation entre deux irréconciliables. Historique du club, très respecté par les supporters malgré quelques tensions, il est l’un des autres meubles du Haillan qui a pris la porte. Cet épisode rappelle bien sûr ce jour de Bordeaux-Strasbourg, et prouve que le club souhaite encore plus serrer la vis face à son principal « ennemi ». L’agence de sécurité prévue sera t-elle aussi intimidante et potentiellement répressive ? Les actions du club, en tous cas, semblent l’être. Le journaliste Manu Lonjon, sur sa chaîne Twitch, disant (retranscrit par Girondins4ever) :

« Ce qui se passe à Bordeaux, c’est absolument dingue. Tu as l’impression qu’ils font une liste en disant ‘lui ils l’aiment bien ou pas les mecs ?’. ‘Lui ils l’aiment bien donc il dégage’. Ils te virent un mec de la sécurité, qui n’est absolument pas mêlé dans ces histoires-là. C’est une façon aussi d’asseoir leur autorité. Comme ils sont très malins et qu’ils veulent se faire bien voir, ils vont prendre un mec de Paris pour faire la sécurité à Bordeaux car il n’y a pas assez de parisiens dans les bureaux à Bordeaux et qu’ils ont besoin de mecs ‘locaux’… C’est assez incroyable ».

Lafarge viré, une part de logique ?

Il s’avère que le nouvel ex-patron de la sécurité aux Girondins a manqué les derniers mois de la saison. Pourquoi ? David Lafarge a été longtemps en arrêt maladie, à cause des tensions du club et de, selon plusieurs témoignages, des pressions opérées par le PDG des Girondins. Demeure une question : pourquoi un employé du club, fidèle à ses couleurs et toujours présent pour couvrir des matchs, s’absente des mois alors même que la tension se fait de plus en plus vive entre la direction bordelaise et les UB ? Les pressions rapportées par différents salariés du club, d’ailleurs, ne sont pas arrivées par les nouveaux collaborateurs du club faisant suite au rachat du FCGB par GACP. C’est en ce sens qu’il y a une forme de logique, David Lafarge n’étant plus physiquement au club. Les raisons de ce retrait restent sous-jacentes, même s’il y a une convergence dans les informations qui filtrent. Elles viennent d’être évoquées. Florian Brunet, principale voix des Girondins parmi les UB87, a même déclaré à la radio ARL :

« Sans David Lafarge, franchement, je ne suis pas sûr qu’il y ait Adieu Lescure. Non seulement ça, mais David Lafarge c’est vingt ans d’un Virage magnifique auquel il a contribué de par ce travail qu’il a fait avec nous, en commun, ce partenariat, la parole qu’il savait tenir. Si on a depuis 20 ans un Virage magnifique, David Lafarge a une part de responsabilité là-dedans. (…) Cette tentative de nous couper la liberté d’expression, cela fait six mois que Longuépée veut la mettre en pratique. Cela fait six mois qu’il veut contrôler toutes les banderoles. Il pousse le vice encore plus loin, même les banderoles contre l’homophobie, il voulait les contrôler. David Lafarge s’est toujours battu pour notre liberté d’expression. Il a dit : ‘Monsieur Longuépée, je suis désolé, la liberté d’expression des Ultras, c’est un principe contre lequel je n’irai pas’. David Lafarge a refusé de répondre à l’ordre que Longuépée lui donne depuis six mois. Après Monaco, David Lafarge a été convoqué. Longuépée lui a mis un avertissement. Il l’avait déjà menacé contre Monaco de licenciement si les banderoles n’étaient pas sorties. Instantanément, le lendemain de Monaco, Longuépée lui a mis un avertissement et l’a menacé pour Nîmes d’être licencié s’il y avait la moindre banderole. C’est pour ça que David Lafarge s’est mis en arrêt maladie. »

Des témoignages qui ne viennent que d’une source, mais avec les enregistrements récupérés par les Ultramarines lors des #GirondinsLeaks, il y a fort à parier que les sources très proches du club, de facto proches de David Lafarge, sont de bonne facture. La sécurité étant indispensable lors de la couverture d’un événement sportif, celles et ceux qui assurent le bon déroulement d’un match sont au contact des deux entités évoquées ici, les supporters et la direction.
Au-delà de ce licenciement, il y a surtout une part belle à donner à la symbolique. Pour les supporters, s’attaquer de manière frontale à un employé historique, aussi respecté, c’est s’attaquer à eux-même. Le champ lexical de la guerre étant coutumier dans ce conflit, il peut être dit que les UB87 ont « perdu un allié ». Peu de temps après avoir annoncé changer de ton, en affirmant « le point de non-retour a été atteint« , cette annonce peut résonner comme une (première ?) représaille du club.

Comment demain peut permettre aux Girondins de briller sur la scène sportive ? Une chose est sûre, le club bordelais fait parler, jamais en bien, toujours en mal. Le secteur sportif semble d’ailleurs très loin, bien loin, alors que l’Europe a été un objectif affiché et que la 8e place a été budgetée. Bordeaux a fini à la 12e place du championnat, non loin de l’Europe au final, mais Frédéric Longuépée n’a pas été de ceux qui ont mené la fronde aux côtés de Jean-Michel Aulas, pour forcer la reprise du championnat comme ç’a lieu partout ailleurs. Non, le Président de Bordeaux a fait le choix d’une fronde, autre, contre ce qui reste comme la dernière institution du club encore passionnée par les joueurs et le sportif.

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