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Jesse Owens, l’athlète américain aux multiples combats

Difficile de passer à côté de la carrière de Jesse Owens. Vainqueur de 4 médailles d’or aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, l’athlète américain figure comme l’un des premiers grandes symboles du sport contemporain. Pourtant, rien n’était écrit pour Jesse Owens…

Né le 12 septembre 1913 en Alabama, Jesse Owens est le dernier enfant d’une grande fratrie. Petit-fils d’esclaves au sud des Etats-Unis, il est obligé de travailler très jeune dans les champs de coton. Jesse Owens est alors très loin des stades olympiques. En 1920, les Owens décident de déménager plus au Nord, dans la région du Midwest, à Cleveland. C’est ici que Jesse Owens découvre son amour pour l’athlétisme. Plus qu’une passion, l’américain se rend compte de son talent brut. Excellent en course et en saut en longueur, les portes de l’université de l’Ohio s’ouvrent pour Jesse.

Là-bas, il rencontre son entraîneur qui le suivra tout au long de sa carrière : Larry Snyder. Ensemble, ils participeront au championnat universitaire de 1935. Cette année-là, Jesse Owens réalisera quelque chose d’incomparable sportivement. En 45 minutes seulement, il bat/égale 6 records du monde dont le record du saut en longueur avec 8.13 m (exploit inégalé pendant 25 ans). Pour l’anecdote, ce jour-là, Jesse Owens court blessé après une chute, quelques jours plus tôt, dans les escaliers. À la fin de la compétition, Jesse Owens repart en boitant mais sous les applaudissements des 10 000 spectateurs, conscients d’avoir assisté à quelque chose d’unique.

L’histoire de Jesse Owens est alors belle et bien en marche. C’est un an plus tard, aux Jeux olympiques de Berlin, que l’Américain se fait connaître aux yeux du monde entier. Dans un stade où flottent les drapeaux nazis, Jesse remporte 4 médailles d’or (100 m, 200 m, relais 4 × 100, saut en longueur). Quelques mois avant les jeux, l’athlète avait déjà pulvérisé le record du 100 m avec un temps de 10‘2, devenant ainsi l’homme le plus rapide du monde. Son record sera égalé pour la première fois par son compatriote Harold Davis en 1941, et il sera dépassé par l’Allemand Armin Hary en juin 1960. Ce dernier établit le nouveau record à 10 secondes.

« Hitler ne m’a pas snobé, c’est notre président (Franklin Delano Roosevelt) »

Jesse Owens

À l’aspect sportif s’entremêle l’aspect politique de ces Jeux. Généralement appelé les “Jeux olympiques d’Hitler”, ils ont davantage d’ambitions politiques que sportives. Entre autres, il faut promouvoir la race aryenne et l’idéologie nazie. Face à ce contexte politique, Jesse Owens hésite à s’y rendre après plusieurs appels à un boycott total des américains aux JO. Finalement, Jesse Owens rejoindra bien le bateau en direction de Berlin. Au total, 65 athlètes américains feront le déplacement.

Mais une fois les jeux lancés, la tension reste tout autant palpable. Le combat sportif de Owens devient également celui contre Hitler. L’une des images fortes de ce combat a lieu lors de l’épreuve du saut en longueur. Incapable de s’ajuster lors de ses deux premiers sauts, Jesse Owens passe à deux doigts de la catastrophe. Heureusement, son adversaire allemand Lutz Long viendra lui donner quelques conseils pour passer la barre des 7m15, synonyme de qualification pour la finale. Quelques minutes après, l’américain réussira son saut. Ce dernier le dira lui-même « C’était mon principal adversaire (Lutz Long) et pourtant c’est lui qui m’a conseillé d’ajuster ma course d’élan lors des qualifications, et qui m’a donc aidé à gagner ». En finale, Jesse Owens l’emportera face à l’Allemand avec un saut de 8m06. Plus qu’une victoire, elle est devenue un symbole de ces Jeux.

Jesse Owens et Lutz Long lors des Jeux Olympiques de Berlin (Source: Sports Illustrated)

À la suite de ses victoires, des rumeurs circulent au sujet du fait qu’Hitler n’aurait pas félicité l’Américain du fait de sa couleur de peau. Des années plus tard, Jesse Owens réagira à cet événement : « Hitler ne m’a pas snobé, c’est notre président (Franklin Delano Roosevelt) qui m’a snobé. Il ne m’a même pas envoyé un télégramme ». Car oui, le combat de Jesse Owens ne s’arrête pas à celui contre la politique raciste du Troisième Reich. L’Américain se bat également contre la ségrégation raciale dans son pays. Même si il est accueilli comme un héros à son retour des Jeux, Jesse Owens ne sera pas reçu à la Maison Blanche par le président américain de l’époque, Franklin Roosevelt, trop soucieux de sa réélection quelques mois plus tard. Le sprinteur américain reconnaîtra au sujet de la ségrégation américaine : « Après ces histoires d’Hitler qui m’aurait snobé, à mon retour aux États-Unis, je ne pouvais pas m’asseoir à l’avant des autobus, je devais m’asseoir à l’arrière, je ne pouvais pas vivre là où je le voulais ». Jesse devra attendre 1955 pour que le président Dwight Eisenhower lui fasse honneur en le nommant “ambassadeur” de l’Amérique dans le monde entier.

Les engagements contre le racisme des sportifs américains

D’autres sportifs américains se sont engagés à dénoncer la ségrégation raciale, comme Jesse Owens. Sûrement le plus connu d’entre eux, le légendaire Mohamed Ali. Pour ce boxeur américain, en dehors des rings, un autre combat doit être mené: celui contre le racisme. Ali l’affirme au début de sa carrière : « Je suis l’Amérique. Je suis cette partie du pays que vous ne voulez pas reconnaître. Mais habituez-vous à moi : noir, sûr de moi, présomptueux ». Il affiche une nouvelle fois ses convictions, en 1967, lorsqu’il décide de ne pas se rendre au Vietnam pour servir l’armée américaine. Il déclare : « Les tuer pourquoi ? Ils ne m’ont jamais appelé nègre, ils ne m’ont jamais lynché, ils n’ont jamais lâché les chiens sur moi. […] Comment pourrais-je tuer ces pauvres gens ? Mettez-moi en prison ! » Un message qui prend tout son sens à une époque où les mouvements des droits civiques émergent aux États-Unis.

Autre grand moment de protestation dans le sport: les Jeux olympiques de Mexico en 1968. Lors de ces JO, les coureurs américains Tommie Smith et John Carlos contesteront la politique américaine contre les noirs après plusieurs mois de gronde sociale. Lors de la remise des médailles, les deux athlètes montent en chaussette noire, baissent la tête et lèvent le poing au moment de l’hymne américain. Plus qu’un symbole, cette image reste l’une des plus fortes des Jeux olympiques modernes. Un geste malheureusement lourd de conséquence puisque les deux athlètes seront interdits de compétitions officielles à vie. Pourtant, Tommie Smith le dit lui-même, ce geste « n’a d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ».

Tommie Smith et John Carlos sur le podium du 200 m lors des JO de 1968 (Source: L’Equipe)

Plus récemment, on retrouve le geste du quaterback Colin Kaepernick. Depuis la mort de George Floyd aux États-Unis, l’image du joueur américain, genou à terre, n’a cessé de revenir sur les réseaux sociaux. En effet, tout au long de la saison 2016, l’ancien joueur des San Francisco 49ers s’agenouillait durant l’hymne américain, avant chaque rencontre, pour protester pacifiquement contre les violences policières. Depuis, ce geste est repris régulièrement lors des manifestations contre le racisme et les violences policières.

Colin Kaepernick, agenouillé lors de l’hymne américain (source : Sports Illustrated)

Assurément, des sportifs engagés contre le racisme, il en existe d’autres. On considère Jesse Owens comme l’un des précurseurs au début de l’ère contemporaine. Et si on estime souvent le sport comme quelque chose de neutre, les sportifs, eux, ne le sont évidement pas.

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