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David Frappreau : “Si tu annonces que Tony Parker sort pour 5 fautes, y’en a beaucoup qui pensent que c’est perdu d’avance !”

Il y a 20 ans, le 23 juillet 2000, l’équipe de France des moins de 18 ans remportait le titre de champion d’Europe, à Zadar, en Croatie. Tony Parker, Boris Diaw et Ronny Turiaf étaient, entre autre, de la partie. David Frappeau l’était aussi. Meneur de jeu remplaçant, il est la doublure de Tony Parker durant toute la compétition. Éloigné des terrains de basket en 2004 suite à une grave blessure à la cheville, David Frappreau rechausse ses baskets et nous livre de belles anecdotes au sujet de ce tournoi.

Salut David. Merci de nous accorder cette interview pour le CCS. Il y a 20 ans, tu remportais avec l’équipe de France le titre de champion d’Europe junior en Croatie aux côtés de Tony Parker, Boris Diaw, Ronny Turiaf. On dit souvent que c’est le premier titre de la génération dorée qui a fait progresser le basket français. Avec du recul, selon-toi, en quoi ce titre à Zadar est-il précurseur des suivants ?

“Vingt plus tard, c’est peut-être plus simple d’en parler. Sur le coup, je sais pas si on pouvait vraiment le savoir. Avec Tony Parker et Boris Diaw, y’avait deux gars qui étaient quand même bien connus, au moins du basket français et déjà un peu européen. Tony Parker avait déjà fait avec les “81” l’Euro Cadet, il était surclassé déjà d’un an. Après, je crois que c’est surtout une fois qu’on fait le bilan du nombre de joueurs partis en NBA. C’est la première génération qui a ouvert la porte de la NBA. Avant, c’était toujours les pays de l’Est champions d’Europe. Nous, on était à la traîne. On n’avait pas de grands, et on n’était pas la formation la plus réputée. Et depuis cette génération là, il y a eu d’autres titres de champion d’Europe, et pleins de joueurs ont pu percer, soit en Euroligue, soit en NBA ou en Pro A. Avant, il y a eu [Antoine] Rigaudeau qui a du le faire, mais c’était un par-ci, par-là. Cette génération-là a vraiment ouvert la voie. Et on l’a vu que plus tard, au bout de 10 ans, une fois que tout le monde avait commencé une carrière. Je pense que ça se voit plus sur l’après que sur le “jour J”. Quand c’est tout juste gagné, personne ne s’attend à ce qu’autant de joueurs réussissent. Même si certains c’était sûr, ça ouvre quand même les portes du basket français.

À l’époque, vous arrivez en Croatie tous plus ou moins dans l’anonymat. Est-ce que quelque part, ça n’a pas aidé à former ce groupe ? Boris Diaw parle souvent de l’équipe comme une « bande de potes » et Ronny Turiaf de « colonie de vacances sérieuse » …

“Oui sûrement. Après il y en avait quand même pas mal qui se connaissait déjà. Soit on se jouait l’un contre l’autre en espoir, avec les stages, on se côtoyait. Et y’avait aussi un groupe de l’INSEP avec Tony [Parker], Boris [Diaw], Robert [Michalski], Rony [Turiaf] et Noël Nijean. 5 joueurs de l’INSEP sur 12 quand même. Gaëtan Müller jouait depuis gamin avec Tony Parker. Moi avec Vincent [Mouillard], on jouait ensemble à Cholet. Il y avait pas des petits groupes, mais pas mal de personnes qui se côtoyaient déjà. Mais il y avait une bonne ambiance, c’est clair ! Après, l’anonymat, c’est sûr, ça aide. Parce qu’on était gamin. Moi, je m’en rappelle, j’avais juste envie d’être convoqué pour faire les stages de basket parce que c’était ma passion. Après, je ne me prenais pas la tête. Ça permettait même d’aller en Slovaquie, en Espagne, en Italie, de bouger en Europe, de découvrir autre chose. C’était un tout !”

David Frappreau, à droite de l’image, avec toute l’équipe championne d’Europe junior. (Source: L’Equipe)

Est-ce que dès le début de la compétition, l’objectif est de remporter le titre ? Ou c’est au fur et à mesure, que vous vous êtes dit que finalement, c’était possible.

“Le souvenir que j’ai, c’est que le but était d’aller en quart de finale. Tout en sachant qu’une fois le quart passé, tu te retrouves dans le dernier carré et que là, tout peut arriver. De là à dire que dès le début l’objectif c’est d’être champion d’Europe … Mais on voulait réussir quelque chose, c’est sûr ! Après les quarts, on prenait match après match, et on pensait vraiment à une médaille.”

L’entraîneur à l’époque, c’est Pierre Vincent. Qu’est-ce qu’il a apporté de particulier à cette équipe ?

“Je crois que pour Pierre Vincent, ce qui a été important, c’est ce qui s’est passé chez la génération juste avant la nôtre, la génération 80. À l’inverse de nous, leur équipe à eux était connue. Chez eux donc, il y avait vraiment de l’attente pour le championnat d’Europe. Mais ils l’ont totalement loupé. Tellement qu’on a dû se battre, nous, pour se qualifier pour le prochain championnat (*). Et cette génération-là d’avant, Pierre Vincent la coachait aussi. Il a dû prendre la mesure de cet échec où chacun voulait être le leader. Sauf que c’est pas possible dans un groupe. C’est pour ça que Pierre Vincent a été assez clair avec nous dès le départ sur les rôles de chacun dans l’équipe. Tony Parker leader, Boris Diaw aussi et ainsi de suite … Moi, j’étais la doublure. Je savais qu’on ne me demandait pas d’être le leader. C’était clair, chacun avait son rôle. On savait ce qu’on devait faire. Je pense que c’est ce qui a permis à l’équipe de progresser, même si on n’était peut-être pas les plus talentueux. Mais pour faire vivre un groupe dans un sport collectif, faut savoir dans quelle direction tu vas. Et Pierre Vincent a formé ce groupe en gommant les erreurs qu’avaient pu être faites avec les “80”.”

* Les équipes nationales étaient qualifiées pour les prochains championnats d’Europe en fonction de leur classement lors du dernier tournoi. Certaines devaient passer par des tournois de qualification. En 2000, la France doit passer 2 tournois avant de se qualifier pour le championnat.

Vous arrivez en finale après avoir éliminés facilement la Grèce en demie. Et personnellement, en finale face à la Croatie, tu as beaucoup apporté. Tu remplaces Tony Parker après sa sortie pour 5 fautes. Et tu fais la passe décisive à Ronny Turiaf pour remporter le match. À 18 ans seulement, comment est-ce qu’on vit ce genre de moment ?

“Dans mes souvenirs, ce que je me rappelle, c’est qu’avec Pierre Vincent, on a toujours travaillé les fins de matchs aux entraînements. Dans les matchs officiels, même avec +25/+30 points, il pouvait prendre un temps mort pour mettre en place un “système” et on devait absolument marquer le panier. On a toujours travaillé, quand on pouvait, des situations comme ça. Après, sur cette finale, la question ne se pose pas. Je prends le ballon et je me dis “Faut y aller !”. Rapidement, je me trouve au milieu de terrain. Et je pense que si j’avais vu personne, j’aurais tiré. Maintenant, moi mon style de jeu, c’est de faire jouer l’équipe. Ce qui m’a toujours plus plu, c’est de faire une passe décisive, plutôt que de tirer. Et à ce moment-là, je vois Ronny Turiaf, même si je crois que sur le moment, je sais pas à qui je fais la passe. J’en vois un courir devant, et là je sens que je peux faire la passe pour se rapprocher du panier. Je la fais et ça rentre. En plus, je crois que le tir est un tout petit peu contré… Et après, voilà, on se dit qu’on a gagné. Même si on l’a beaucoup travaillé, on sait que parfois ça ne marche pas. Ça reste un match à part. Avant cette action, il y a aussi le contre de Boris [Diaw] juste avant la deuxième prolongation (**). Il y a des matchs comme ça, tu peux les refaire 25 000 fois, jamais ça se passe comme ça. C’est le basket qui vaut ça et l’intensité !

** En finale, face à la Croatie, la France l’emporte d’un point, 65 – 64, après 2 prolongations. À la toute fin de la deuxième, Ronny Turiaf marque le panier décisif sur une passe de David Frappreau. Boris Diaw avait, déjà, sauvé les siens, en contrant un tir croate à la fin de la première prolongation.

David Frappreau, en finale, face à la Croatie (Source: L’Equipe)

Sur l’ensemble de la compétition, qu’est-ce que tu retiendrais le plus ? L’ambiance ? L’esprit du groupe ? Une anecdote particulière ?

“Un peu de tout ! L’ambiance et la salle en elle-même, je crois que je pourrais la décrire. Une salle bien chauffée avec derrière un panier où tu as un bout de tribune bizarre. Tu te demandes comment ça tient. Quand il y avait eu la présentation de toutes les équipes la veille du tournoi, il y avait déjà plein de monde. Tu ne t’y attends pas. Pour moi, c’est la salle la plus chaude dans laquelle j’ai joué. Surtout quand tu joues les Croates en finale ! Le groupe aussi, évidemment. Même si y’avait parfois plus d’affinités avec certains, dès qu’on était dans l’eau, à la piscine, tous ensemble, on se marrait bien. En plus, l’hôtel était juste à côté de la plage. Je me rappelle, on avait fait une sortie pendant un jour de repos sur une petite île de la côte adriatique. C’était bien !

Pour l’anecdote, je me souviens d’une histoire de bus. Faut savoir que toutes les équipes étaient au même hôtel, ou pas loin. Et à chaque départ pour la salle, chaque équipe avait son bus. Nous, on était toujours dans le deuxième bus. La seule fois où on se retrouve dans le bus de tête, c’est quand on joue les Croates en poule et qu’on perd. À partir de là, dès qu’on partait avec le deuxième bus, on se disait avec Vincent [Mouillard] qu’on était bien lotis. En finale, on part avec le deuxième bus …”

Cette finale, c’est un super match de basket. Si tu veux le refaire, tu peux pas le refaire”.

D. Frappreau

Dans une interview que tu as accordé à L’Equipe suite au départ à la retraite de Tony Parker l’année dernière, tu dis que tu n’entretiens plus de liens avec les joueurs de la génération 82. Est-ce un regret ou simplement quelque chose de normal qui s’est fait progressivement ?

“Non j’ai pas de regret, parce que ce qui s’est passé, ça s’est passé et voilà. Après, c’est vrai qu’avec les blessures (***), j’ai coupé avec tout le monde. Je suis retourné vers chez ma famille, j’ai retrouvé des copains d’enfance, j’ai repris le basket dans le club de mon père et de mon oncle … Et je me suis mis dans cette bulle-là. Donc des regrets, oui et non … Si je l’ai fait à ce moment-là, c’est que j’en avais sûrement besoin. Après, c’est vrai que si j’avais gardé un peu plus contact, 20 ans après, ça aurait aussi pu être agréable. 20 ans plus tard, je peux te dire “dommage”, mais sur le coup, c’est vrai que j’avais aussi besoin de décompresser…”

*** Formé à Cholet Basket, David signe un contrat professionnel avec Saint-Quentin en 2001, puis avec Le Portel en 2003. Malheureusement, après une grave blessure à la cheville en 2001 lors de la préparation de l’Euro et de nouvelles blessures, il est contraint d’arrêter sa carrière professionnelle en 2004.

David Frappreau, aujourd’hui, avec son maillot 10 de l’équipe de France (Source: Ouest-France)

Tony Parker parle de « mythe autour de cette compétition ». Est-ce que tu l’as ressenti sur le moment ? Ou est-ce que c’est seulement 20 ans après qu’on peut parler de « mythe » ?

“C’est vrai qu’on en parle beaucoup avec cette génération, et les joueurs qui y étaient. C’est le premier titre majeur de toute cette génération-là. Et c’est pas un titre de champion de France, c’est un titre continental. Après il y en a qui ont gagné d’autres titres, certains des titres NBA. Ils ont aussi été champions d’Europe en équipe A. Mais le point commun au départ, c’est ce titre à Zadar.

C’est aussi le match en lui-même qui est mythique. Cette finale, c’est un super match de basket. Si tu veux le refaire, tu peux pas le refaire. Je pense que si tu annonces que Tony Parker sort pour 5 fautes, y’en a beaucoup qui pensent que c’est perdu d’avance (****). Mais c’est là que chacun a pris ses responsabilités. C’est là qu’on peut voir que, dans le groupe, il y avait une très bonne entente. C’est aussi devenu un peu comme un mythe parce que, à l’époque, il y avait que L’Equipe, le lendemain, qui avait écrit trois / quatre lignes avec le résultat et voilà. Le mythe s’est créé dans le temps, quand on a commencé à reparler de cette compétition, et qu’il y a eu des reportages, le DVD du match… Mais tout ça, c’est bien après ! Ça rend la chose un peu mythique !”

**** Lors de la finale, Tony Parker est exclu pour 5 fautes à 5 minutes de la fin du match. David le remplace jusqu’à la fin du match et pendant les 2 prolongations.

À titre personnel, vous allez faire quelque chose pour fêter les 20 ans du titre ? Ou juste un apéro le 23 juillet prochain en regardant le replay du match ?

“Pour l’anecdote, avant, je savais qu’on avait gagné en juillet, mais la date exacte, le 23, je savais plus, je m’en rappelais pas. Mais maintenant, même quand parfois j’oublie, j’ai un neveu qui est né le 23 juillet. Grâce à ça maintenant, je sais que son anniversaire, c’est le jour du titre. Après pour les 20 ans, y’avait peut-être des trucs en préparation, mais avec le COVID, ça sera compliqué. Et après c’est vrai que moi, j’ai jamais re-regardé le match en entier. J’ai dû revoir 2/3 fois la fin de match… Mais j’ai mes souvenirs ! Après si il y en a qui veulent le regarder avec moi, on le regardera !”

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