Après 5 saisons dans le purgatoire de la Ligue 2, le Racing Club de Lens a validé sa remontée dans l’élite du football français, aux termes d’une saison 2019/20 tronquée. Qu’importe pour les artésiens qui doivent maintenant se préparer aux joutes de la Ligue 1. Ces derniers n’ont pas perdu de temps pour renforcer un effectif qui semble trop juste pour espérer le maintien et ne pas revivre le cauchemar de leur dernier passage, lors de la saison 2014/15. Ainsi, l’option d’achat de Corentin Jean a été levée et le latéral droit, tout récent champion de deuxième division Allemande, Jonathan Clauss, arrive libre de Bielefeld. Un début de mercato prometteur en attendant l’officialisation du prêt de Wuilker Farinez, brillant gardien du club Colombien des Millonarios. À 22 ans, le Vénézuélien va connaitre sa première expérience en Europe, l’occasion d’obtenir la reconnaissance tant espérée pour celui qui est considéré comme l’un des plus grands espoirs à son poste ? Focus.
Précocité et talent
Pour beaucoup d’amateurs de jeu vidéo le nom de Wuilker Farinez n’est pas inconnu. Le gardien est en effet considéré comme une pépite incontournable de la série, Football Manager. Une réputation loin d’être usurpée dans l’univers virtuel et qui trouve ses fondements dans la réalité. Détenteur d’un premier contrat pro à quinze ans, il est lancé dans le grand bain des séniors dès ses seize piges, au sein du Caracas FC, lors d’un match de Coupe du Venezuela. Il en devient le titulaire dès l’année suivante à dix-sept ans. Son plus gros fait d’armes avec le club de sa ville natale, est sa période d’invincibilité de 689 minutes en 2015. Du jamais-vu chez les Rojos del Ávila. Grâce à lui, le club de la capitale réalise de solides performances sur le plan national et continental, au point qu’il est élu meilleur portier du Venezuela à tout juste dix huit ans.
En 2018, direction le pays voisin -sur les conseils de son entraineur en sélection espoir, Rafael Dudamel- et le grand club Colombien de Millionarios pour prendre encore plus de galon. Le garçon n’est pas là pour être discret, l’attaquant de formation -il alterne entre joueur de champ et les cages jusqu’à ses 13 ans- est un véritable artiste. En mars 2019, il se fait remarquer en étant l’auteur d’une triple parade exceptionnelle à la 85ème minute. Trois jaillissements décisifs, en l’espace de trois secondes, pour maintenir son équipe à flot et lui permettre de faire le tour de la toile. Ses adversaires de l’Atlético Nacional, ce jour-là, ne s’en sont toujours pas remis. Tout comme ceux du Always Ready, en Copa Sudamericana 2020, contre qui il sort douze arrêts. Sur la saison 2019 (janvier à juillet), Farinez a joué 24 matchs avec Millonarios pour 17 buts encaissés et un Expected Conceted Goals de 26,39 (nombre de but qu’il aurait dû encaisser). Ainsi, il a sauvé son équipe de près de dix buts, grâce à ses 65 arrêts (dont 52% avec réflexe). Des statistiques similaires sont à noter avec l’équipe nationale sur la même période : 8 matchs, 7 buts encaissés, un xCG de 11 pour 23 arrêts (47% avec réflexe). Wuilker apparait ainsi comme un game changer fiable.
Le nouveau visage des Vinotinto
Dans un pays peu réputé pour ses stars du ballon rond -les idoles locales sont Tomas Rincon (Torino), Salomon Rondon (ex Zenith et Newcastle), Josef Martinez (Atlanta)- il représente un talent exceptionnel, capable de mener la sélection vers des sphères jamais atteintes. Pour preuve, il est appelé en A dès ses dix-sept ans, en tant que numéro trois lors de la Copa América 2015. Il ne lui faut que quelques mois de patience avant de connaitre sa première cape officielle, lors d’un match amical contre le Panama, en 2016. Depuis, il a gardé les cages de la sélection à 22 reprises pour 18 buts encaissés et un taux de clean-sheet de 50 %. Les coups d’éclats ne manquent pas, pour sa troisième Copa América en 2019, la première dans la peau d’un titulaire, il écœure les péruviens (0-0) puis le Brésil (0-0), futur vainqueur de l’épreuve, en phase de poule. Il porte dès lors les “Bourgognes” jusqu’en quart de finale où l’Albiceleste met fin au rêve.
Cependant, les ambitions sont permises pour une sélection qui n’a jamais connu une phase finale de Coupe du monde. Farinez apparait comme le porte étendard et le leader naturel d’une génération dorée, qui a déjà fait ses preuves. Lors du mondial U17 en 2017, les Vinotinho sont proches d’un exploit sans précédent, ne s’inclinant qu’en finale de l’épreuve face à l’Angleterre. Farinez performe -zéro but encaissé en poule, qualification aux tirs aux buts contre l’Uruguay lors de la demi-finale- et y écrit l’histoire de la compétition en devenant le premier portier à inscrire un but, grâce à un pénalty contre le Vanuatu. Une parenthèse qui n’est pas sans lendemain. Mal embarqué en éliminatoire du mondial 2018, le sélectionneur Rafael Dudamel fait appel à ces jeunes prometteurs afin de leur faire engranger de l’expérience : bilan, une série de quatre matchs sans défaite, dont un nul contre l’Argentine de Messi. Toutefois, sa nationalité reste un frein dans son développement -malgré des comparaisons avec les meilleurs de sa génération : Lafont et Donnarumma- et l’une des explications à son départ tardif hors d’Amérique du Sud.
Le choix de Lens
Pourtant les offres d’Europe ne manquent pas et cela depuis 2013. Cette année-là, il est sélectionné lors d’un Campamento P.A.N, un camp récompensant les meilleurs jeunes de 13 à 14 ans pour leur permettre d’effectuer des stages en Europe. C’est ainsi que Wuilker s’envole pour Madrid. Un essai effectué dans les installations du Real qui s’avère non concluant, malgré que la légende raconte qu’aucun joueur ne parvient à lui inscrire un but. Par la suite, au fur et à mesure qu’il excelle en club et en sélection, Farinez est régulièrement envoyé en direction de l’Argentine, du Mexique ou vers le vieux continent, où on parle notamment d’un intérêt du Barça et du Benfica (Millonarios ayant un partenariat avec les Lusitaniens).
Convoité de toute part, c’est le RC Lens qui tire finalement son épingle du jeu. Déjà évoqué en renfort à l’été 2019, il n’est finalement pas surprenant de voir la balance pencher du côté artésien, pour cause, la présence du président lensois, Joseph Oughourlian, comme investisseur du club Colombien aide. Dans un premier temps, c’est en tant que doublure de Jean-Louis Leca que le prodige débarque. Une décision logique, pour permettre au club nordiste de se stabiliser en Ligue 1 et pour Farinez, d’engranger de l’expérience auprès d’un gardien rôdé à ce niveau. « Le club communiquera dessus, il n’y aucun problème. J’ai été mis au courant de tout, il n’y a aucune embrouille, mais c’est au club de communiquer là-dessus » déclaré Leca dernièrement. Car le Corse et le Vénézuélien partagent un point commun : le gabarit.
Un profil moderne mais encore perfectible
L’un et l’autre font la même taille : 1m80, les plaçant dans la moyenne base des gardiens. Pourtant, les deux arrivent à en faire une force. Le surnom de Farinez, « El Felino » provient par exemple de ses qualités prononcées en agilité, réflexes, tonicité, qui amènent sa gestuelle singulière, semblable à celle d’un félin. Une force horizontale qui compense ses faiblesses verticales, notamment dans les sorties aériennes. Sa sérénité et l’absence de pression qu’il dégage sur sa ligne font également oublier sa taille. Il n’est pas rare de le voir sortir en dehors de sa surface pour anticiper les actions des attaquants adverses, son centre de gravité bas et son passé d’attaquant lui confèrent des qualités athlétiques très supérieures à la norme des gardiens. Un avantage lorsqu’il faut boucher rapidement des angles de tir, en plus d’être trapu et large, comme c’est le cas lors d’un pénalty : il est spécialiste en la matière avec 10 arrêts sur 22 tentatives.
Cette habitude à jouer dans le champ se ressent encore dans son jeu. Entre la saison 2019 (image 1) et la saison 2020 (image 2), il s’est d’ailleurs perfectionné pour devenir un gardien moderne, en modifiant sa palette de jeu au pied. Faisant preuve de précision sur les longs ballons (carrés verts et jaunes), aidant notamment en phase de contre-attaque, il n’hésite maintenant plus à s’avancer sur le terrain pour jouer plus court (carrés bleus) et permettre à son bloc équipe de se positionner plus haut, facilitant les temps de possession. Un style de jeu qui convient parfaitement à la volonté de Franck Haise d’afficher un système en 3-4-3 ou 3-5-2, modulable pour des phases de possessions longues, avec une occupation large du terrain, ou de contre-attaque avec l’utilisation de Sotoca en pivot pour gagner les ballons aériens. Cependant, cette volonté de se projeter peut nuire à son positionnement sur la ligne.
Gardien précoce et prodigieux, Wuilker Farinez possède toutes les caractéristiques pour s’imposer durablement dans les cages lensoises. L’expérience de Jean-Louis Leca devrait lui être bénéfique pour s’adapter au contexte européen, dans un premier temps, avant d’espérer voir éclore ce portier au style atypique mais moderne. S’il reste à l’heure actuelle un pari, le Racing a tout a y gagner.