Al Davis était le père de l’actuel propriétaire de la franchise des Los Angeles Raiders, un homme dont le parcours force le respect et l’admiration. Il illustre à merveille cet American Dream, une vie de tous les possibles où travail acharné, abnégation, audace et ruse permettaient à des hommes déterminés de construire leur rêve. Passionné de football, il est le seul “cadre” à avoir occupé les fonctions de scout, assistant coach, head coach, general manager et propriétaire au sein de la Ligue ! En ces temps troublés au pays de la bannière étoilée, il avait déjà pourtant montré la voie de l’égalité dans des années où la ségrégation avait force de loi et régissait la vie des afro-américains. En effet, Al Davis refusait catégoriquement que les Raiders aillent jouer dans des villes ou noirs et blancs devaient loger dans des hôtels séparés. Il a également été le premier propriétaire à recruter un HC afro-américain, Art Shell en 1990 et une femme, Amy Trask en au poste de Chief Executive Officer en 1997. Al Davis sera également le second propriétaire à recruter un HC Latino, Tom Flores en 1979. Initiateur du mythique “Just win, baby” la franchise des Raiders est à l’image de Al Davis: fidélité, détermination et sans états d’âme. La mentalité badass de la franchise, c’est lui ! F.Wayne Valley, propriétaire de la franchise qui l’a recruté au poste de HC dira plus tard de lui: “we needed someone who wanted to win so badly, he would do anything. Everywhere I went, people told me what a son of a bitch Al Davis was, so I figured he must be doing something right”.
Une scolarité atypique
Davis est un audacieux, et c’est grâce à cette audace qu’il a pu construire la carrière qui est sienne. Né en 1929 dans le Massachussets, les affaires de son père dans le domaine de la production de vêtements font déménager la famille Davis dès 1934 dans le quartier de Brooklyn à New York puis dans le quartier d’Atlantic Beach, à la faveur d’affaires florissantes. Ses amis d’enfance le décrivent comme une grande gueule, maniant le verbe à la perfection. Joueur de basket, c’est déjà un garçon plein de détermination qui choisit son lycée, bien que plus éloigné de son domicile, pour le coach pour lequel il désire jouer: Al Badain au Erasmus Hall High School. Il révèlera plus tard qu’il a beaucoup appris de son coach, plus particulièrement sur le coaching en lui même. En homme fidèle qu’il est, il invite plus tard son vieux coach malade et dans le besoin à assister au Super Bowl que disputent les Raiders et éponge ses dettes. Le football n’est à cette époque ni sa passion, ni son occupation première. Selon des informations de journalistes ayant enquêté sur son passé, il n’aurait joué au football qu’avec sa fraternité et non avec l’équipe du lycée comme le prétendait la légende.
A la fin du lycée, en 1947, Davis rejoint l’université et rentre au Wittenberg College, à Springfield dans l’Ohio. Il y passe un premier semestre, s’occupant avec le baseball mais en ayant surtout l’ambition de changer pour une université plus prestigieuse. C’est chose faite au milieu de l’année et Davis passe à la Syracuse University dans l’Etat de New York. A Syracuse, Davis tente d’intégrer les différentes équipes universitaires. Malheureusement, son meilleur poste a été de chauffer le banc de l’équipe junior de baseball. Contrarié, il décide à nouveau de changer d’université et rentre en 1948 au Hartwick College, également situé dans l’Etat de New York, mais retourne finalement à Syracuse où il n’aura pas plus de succès dans le lancement de sa carrière sportive mais tissera des liens avec de nombreux joueurs. C’est à ce moment qu’il a commencé à s’intéresser au football et particulièrement à la stratégie. Il assiste alors depuis les gradins à chaque entrainement et prend des notes, à tel point que le HC soupçonnant de l’espionnage le fait sortir des installations sportives. Il s’inscrit également aux cours de stratégie de football, dispensés par les assistant coach et auxquels d’habitude assistent seulement les joueurs.
Ses débuts dans le coaching en NCAA
Al Davis n’a donc aucune expérience ni dans le coaching, ni dans le football. Et pourtant, grâce à son audace et sa détermination, les portes du football vont s’ouvrir à lui. Tout d’abord, il prend l’habitude de se présenter comme “Davis de Syracuse”, provoquant la confusion chez les recruteurs avec George Davis, fullback star de l’équipe de football de Syracuse. Refusé pour le poste d’assistant coach par Bill Altenberg, le directeur athlétique de Adelphi University pour un poste à la Hofstra University, il sollicite un entretien auprès du Président de l’université. Ce qui se dit durant cet entretien est du domaine de la légende mais une chose est sûre, 30 min après avoir quitté le bureau d’Altenberg, celui-ci reçoit un appel du président de l’université l’informant qu’il avait un nouvel assistant coach ! La méthode Davis basé sur l’audace, la persuasion et le bluff commence à payer ! Et ce n’est que le début…
En 1952, Davis intègre la US Army pour son service militaire et parvient à obtenir une place de coach pour une équipe de football militaire. Comme toujours aux USA, le sport et pris très au sérieux et revêt une importance particulière. Ainsi, les équipes sont très compétitives et ont pour habitude de recruter des stars de l’université. D’ailleurs, ces équipes militaires rencontrent régulièrement des équipes de NFL en guise d’entrainement. Davis lui, a réussi à prendre une place de HC pour l’équipe de Fort Belvoir et va l’emmener à une saison record de 8-2-1, manquant de peu le Poinsettia Bowl. Il va coacher à Fort Belvoir jusqu’à la fin de sa conscription en 1954. Durant cette période, il rentabilise ses connaissances sur les joueurs et vend des informations sur ses athlètes aux équipes NFL…
Après son service militaire, il travaille pendant un an comme scout freelance pour les Colts de Baltimore. Il avait en effet acquis durant ses dernières expériences professionnelles, une grande connaissance sur de nombreux prospects, et offre des contrats aux plus intéressants à leur retour à la vie civile. Davis cultive alors sa relation avec le HC des Colts, espérant que celui-ci parviendrait à lui ouvrir la voie pour un poste de coach grâce à ses contacts. Ses efforts parviennent finalement à payer et en 1955, il obtient un poste de coach assistant à The Citadel en Caroline du Sud. Il s’illustre tout au long de la saison par ses appels de jeu repris par le HC sans modification. Comme toujours, Al Davis cherche à se mettre en avant en vue d’une place de HC et cherche la victoire à tout prix. A l’issue de son passage, il y a d’ailleurs des rumeurs concernant des paiements de joueurs et autres avantages, en totale violation des règles de la NCAA. Davis aurait également mis de la pression sur certains professeurs pour qu’ils changent les notes de joueurs en dessous des standards minimum afin qu’ils puissent continuer à jouer. Malgré son insistance et bien que le HC ait démissionné, Davis échoue à prendre le poste de HC à The Citadel. Il quitte donc son poste pour rejoindre USC en 1956 en tant que recruteur et assistant coach. Il démissionne à la fin de la saison 1959 en ayant emmené l’équipe au titre de Champion de la Pacific Coast Conference. L’équipe ne peut malheureusement disputer le Rose Bowl car elle est sous un régime de sanctions imposé par la NCAA pour violation du règlement (cette fois pour avoir avoir poussé des joueurs à renier leurs lettres d’intentions avec d’autres universités afin de pouvoir signer à USC).
Direction le sport professionnel
Comme depuis le début de sa carrière, Davis va trouver un nouveau poste grâce aux liens qu’il a su tisser avec de nombreux acteurs du monde du football et grâce à l’impression qu’il dégage. Il fait toujours forte impression et donne le sentiment d’un homme extrêmement pointu dans son domaine et avide de victoire. En 1959, il participe à une coaching clinic à Atlantic City où il rencontre le HC de Los Angeles Rams, Sid Gillman. Celui-ci est particulièrement impressionné par l’implication de Davis et une fois devenu HC des Los Angeles Chargers en vue de leur 1ère saison en AFL en 1960, il fait appel à Davis pour le poste de backfield coach.
“Al avait le don de dire aux gens ce qu’ils voulaient entendre. Il était très persuasif”
Sid Gillman à propos de Al Davis
Les Chargers vont remporter l’AFL Western Division durant les 2 premières années d’existence de l’AFL en 1960 et 1961 mais perdent l’AFL Championship Game contre les Houston Oilers. Davis s’illustre à nouveau par sa détermination, sa ruse et son audace. Après avoir déménagé à San Diego en 1961, Davis veut absolument signer le receveur vedette de l’université d’Arkansas, Lance Alworth. Bien qu’il ait été sélectionné par les 49ers au 1er tour de la Draft NFL de 1962, Davis se rue sur le terrain lors du dernier match universitaire de Alworth pour le faire signer tandis que le HC de San Francisco observe la scène impuissant depuis les gradins. Davis dira plus tard “Je savais qu’il était dangereux de laisser Alworth retourner aux vestiaires”. En 1978, Davis sera choisi par Alworth pour son introduction au Pro Football Hall of Fame.
Les Raiders, le commencement
Tôt dans la saison 1962, Al Davis rencontre le propriétaire des Raiders, F. Wayne Valley au sujet d’un poste de HC, mais il n’est à ce moment pas intéressé par le poste. Les Raiders vivent alors une saison catastrophique de 13 défaites pour 1 victoire. C’en est trop, le HC doit changer. En 1963, Davis rencontre à nouveau Valley , ainsi que l’autre general partner, Ed McGah. Il demande un contrat sur plusieurs années ainsi qu’un poste de HC ET general manager avec contrôle global des opérations. Ils tombent finalement d’accord sur un contrat de 3 ans et 20000$ annuel. Il s’attèle alors immédiatement à construire une équipe compétitive sur le terrain comme dans le front office. Sous son impulsion, les uniformes évolues du black and gold original au silver and black que nous connaissons aujourd’hui.

Davis demande également à Valley de déménager les bureaux des Raiders dans un endroit moins exposé afin de pouvoir recevoir les joueurs de façon plus confidentielle. Son objectif étant de transformer le visage des Raiders grâce à ses recrutements, il veut pouvoir réaliser de gros coups en signant des joueurs juste coupés ou grâce à des trades stratégiques. Et pour cela, il faut des installations où l’on peut recevoir et travailler en toute discrétion. Les autres directeurs des franchises le respectent tout autant qu’ils le craignent et connaissent ses méthodes de recrutement peu “conventionnelles”. Par exemple, il échange le guard des Raiders Dan Ficca pour le All AFL guard des NY Jets, Bob Mischak, en ayant sciemment omis d’informer les Jets que Ficca ne serait pas défait de ses obligations envers le service national avant le début de la saison ! Il réalise un autre tour avec la signature du WR Art Powell devenu free agent à la fin de son contrat avec NY bien que signé par les Buffalo Bills. Cependant, les Bills auraient signé Powell avant la fin de la saison et antidaté son contrat. Davis va donc signer en personne Art Powell et les Bills se sont abstenus de contester cette signature…
Il développe pour son équipe des techniques de conditionnement mental tirées de son expérience avec l’armée. Apparaissent alors sur les murs des phrases de motivation telles que “commitment to excellence” ou des “we go to war” avant le début des rencontres. Ses efforts paient et l’équipe est victorieuse, terminant la saison 1963 avec un total de 10 victoires pour 4 défaites, à un match d’écart du division champion, les LA Chargers; qu’ils battent par deux fois pendant la saison. Al Davis est élu AFL coach of the year en 1963 après cette belle saison qui fait des Raiders l’unique équipe professionnelle à avoir pu améliorer son bilan de 9 matchs d’une saison (de 14 matchs) à l’autre.
En 1965, l’AFL fête la fin de sa sixième saison et est désormais un vrai concurrent de la NFL. Ses matchs sont diffués à la télévision sur NBC avec qui un contrat a été signé et les franchises ont construit ou son entrain de construire des stades dignes de ce nom, à hauteur de ce que l’on connaît en NFL. C’est à cette époque que plusieurs propriétaires émettent la volonté d’une union avec la NFL. Le 8 avril 1966, Al Davis est élu AFL commissioner avec comme objectif de remporter le bras de fer qui oppose AFL et NFL.
“Davis avait un plan, et, compte tenu du génie du football qu’il allait devenir, personne n’aurait dû être surpris que cela fonctionnerait brillamment !”
Ken Rapoport

Et voici le plan de Davis: se focaliser sur les QB en les faisant signer en AFL une fois devenus FA à la faveur de gros contrats, mettant sous pression les finances des équipes les plus faibles et en affaiblissant la Ligue par le départ de ses talents ! Un accord de fusion est finalement signé entre les 2 ligues le 8 juin 1966 et il déplait particulièrement à Davis pour 2 raisons. La première, les Jets et les Raiders doivent payer des indemnités aux Giants et 49ers car les franchises sont établies sur leurs territoires exclusifs. La seconde car il se retrouve de facto sans travail ! Le poste de commissioner de l’AFL n’ayant plus de raisons d’être. Il n’obtient pas le poste de commissioner de la NFL qui reste au main de Pete Rozelle et refuse l’offre qui lui est faite de devenir Président de l’AFL car subordonné à Pete Rozelle. Il démissionne de son poste le 25 juillet 1966.

Les années glorieuses
Après sa démission, retour chez les Raiders mais cette fois en ayant acheté 10% des parts ! Il est nommé Head of Football Operation. Les Raiders remportent le AFL Championship en 1967 et se rendent alors au Super Bowl II où ils sont battus 33-14 par les Green Bay Packers de Vince Lombardi. Les 2 années suivantes, ils remportent le titre de Western Division mais échouent à l’AFL Championship contre les futurs vainqueurs du Super Bowl: les New York Jets en 1968 et les Kansas City Chiefs en 1969. 1969 est également l’année de l’arrivée de John Madden au poste de HC et le début d’une très belle décennie pour les Raiders. En 1970, la fusion AFL-NFL devient effective et les Raiders rejoignent l’AFC West. Ils remporteront 6 fois le titre de Division dans les années 70.
1972 est l’année d’un nouveau hold-up de Davis ! A la faveur d’un déplacement de Valley aux Jeux Olympiques de Munich, il présente à McGah une nouvelle version de leur partnership agreement le désignant comme nouveau managing general partner avec un contrôle presque absolu sur les opérations de la franchise. Valley étant absent et McGah et Davis ayant signé, ce nouveau contrat est validé et Al Davis prend la main sur les Raiders. A son retour, il tente de faire annuler cet accord mais n’y parvient pas. Il vendra finalement ses parts en 1976. Al Davis ne devient pour autant majoritaire qu’en 2005 lorsqu’il rachète les parts détenues par la famille McGah et conserve son poste de GM jusqu’à sa mort. Sous son contrôle, les Raiders deviennent l’une des franchises les plus capées de la Ligue:
- 15 titres de Champion de Division (3 AFL West et 12 AFC West)
- 1 titre de Champion de l’AFL en 1967
- 4 titres de Champion de Conférence en 1976, 1980, 1983 et 2002
- 5 apparitions au Super Bowl en 1967, 1976, 1980, 1983 et 2002
- 3 Super Bowls (XI, XV et XVIII) en 1976, 1980 et 1983
- 22 saisons avec apparitions en playoffs
En 1992, Al Davis est intronisé au Pro Football Hall of Fame et est présenté par John Madden

Le sommeil d’un géant
L’année 2002 conclue la fin d’un peu plus de 3 décennies au firmament du football. Cette année là, Davis échange son HC John Gruden aux Tampa Bay Buccanneers contre leurs 1ers tours de draft de 2002 et 2003, leurs 2èmes tours de 2002 et 2004 ainsi que 8M$. L’Histoire est facétieuse et elle va amener les Raiders à affronter leur ex HC au Super Bowl contre les Bucs. Ils sont défaits 48 à 21 dans un match qui est désormais surnommé le Gruden Bowl. Ce Super Bowl perdu est le dernier fait d’arme de l’ère Davis. Le Raiders ne connaissent plus de bilan positif entre 2003 et 2010 et atteignent une seule fois les playoffs, en 2016. Davis s’éteint le 8 octobre 2011 dans sa suite du Hilton Hotel Oakland Airport, affaibli par un cancer de la peau et plusieurs interventions chirurgicales.
“Vous ne pouvez pas remplacer un gars comme ça. Non, c’est impossible. Regardez ce qu’il a fait et que personne n’avait accompli avant lui, être un scout, assistant coach, head coach, general manager, commissioner et propriétaire.”
John Madden à propos d’Al Davis
L’émotion est vive dans le monde du football et encore plus au sein de la Raider Nation qui perd son guide, celui qui a fait des Raiders une franchise victorieuse, respectée et avec un ADN si particulier. A tel point que le lendemain de la mort de Davis, lors de la rencontre entre les Raiders et les Houston Texans, la légende de Davis va continuer de s’écrire. Lors du dernier snap, les Raiders mènent 25 à 20 et c’est aux Texans de tenter de revenir dans le match. Les Raiders ont seulement 10 joueurs sur le terrain et le free safety Michael Huff réussit une interception dans la end zone sur une passe du QB Texan Mike Schaub. Celle-ci est alors immédiatement surnommée “l’interception divine” comme si Davis lui-même avait guidé Huff et agit comme le 11è homme sur le terrain. Le coach Hue Jackson dira à la sortie du match que Davis avaient ses mains sur le ballon.
Dans le années qui suivent la disparition d’Al Davis, les Raiders font construire la torche Al Davis afin d’honorer la mémoire de l’homme qui a consacré sa vie à la franchise et pour perpétuer son souvenir. Avec le déménagement à Las Vegas, une nouvelle torche gigantesque de 26m de haut a été construite dans l’Allegiant Stadium tandis que la précédente a été installée dans les bureaux de l’organisation.
Depuis 2018 soit 17 années plus tard, Gruden est de retour en tant que Head Coach chez les Raiders. La franchise a d’ailleurs déménagé de Oakland à Las Vegas durant cette intersaison et s’est établie dans des installations flambant neuves et un nouveau stade à la hauteur du palmarès de la franchise. Bien que les Raiders soient dans une Division dont le niveau est très élevé car notamment menée par les Chiefs de Patrick Mahomes, le vent de l’espoir souffle sur les Raiders qui ont montré de belles choses en 2019 et qui ont réalisé une draft intéressante. Derek Carr le QB a désormais les armes offensives nécessaires pour prétendre accrocher les playoffs. 2020 sera t’elle l’année du renouveau pour la franchise mythique des Silver and Black ? Rien n’est moins sûr mais toute la Raider Nation attend avec impatience le retour de la franchise au plus haut niveau et le plaisir de revivre avec excitation et angoisse les matchs à élimination directe menant au Saint Graal du football, le Super Bowl.