Au cours des années 2000, le cyclisme espagnol a vu émerger une génération dorée composée de plusieurs têtes d’affiche du peloton capables de gagner sur chaque grand tour. Aujourd’hui, les temps ont bien changé. Alejandro Valverde en est le dernier survivant et les résultats, toujours honorables, sont en baisse depuis quelques années.
Le 31 Mai 2015, Alberto Contador s’adjuge son 7e et dernier grand tour en remportant le Tour d’Italie. Ce fut le dernier coup d’éclat sur trois semaines du madrilène, leader d’une génération espagnole de grimpeurs/puncheurs très performante depuis plus de 10 ans. De 2005 à 2015, ce ne sont pas moins de cinq coureurs espagnols différents qui ont levé les bras sur un grand tour. Depuis cette victoire du Pistolero, les résultats sont bien moins probants. L’Espagne n’a pas remporté le moindre grand tour sur les cinq dernières saisons…une première depuis les années 1960 ! Le dernier podium sur un Tour de France remonte à 2015 et la troisième place d’Alejandro Valverde. Ce même coureur a aussi réalisé (pour sa seule participation) le dernier podium espagnol sur un Giro en 2016. Longtemps dominant sur leur territoire durant la décennie 2000 (8 victoires sur 10 Vuelta), les coureurs espagnols font chou blanc depuis 2014, se contentant de deuxièmes places (Rodriguez en 2015, Mas en 2018 et Valverde en 2019). A l’image des italiens, aussi ultra dominants sur leurs terres dans les années 2000, les vainqueurs de Vuelta se sont fortement internationalisés depuis 10 ans (six nationalités différentes ont gagné la course entre 2010 et 2019).

Fin d’une génération dorée
Cette baisse de performance est due à la fin d’une génération dorée comme le cyclisme espagnol en a rarement eu. Après l’ère Miguel Indurain (vainqueur 5 fois à la suite du Tour de France entre 1991 et 1995), l’Espagne se cherche un nouveau champion capable de gagner la plus grande course du monde. Deux coureurs vont alors monter sur le podium (Fernando Escartin en 1999 et Joseba Beloki en 2000 et 2001), sans toutefois parvenir à faire vaciller la dictature Armstrong. C’est avec la retraite de ce dernier, durant le mois de Juillet 2006, que le soleil jaune va revenir sur l’Espagne. Initialement vainqueur, l’américain de la Phonak Floyd Landis est déclassé pour dopage. C’est alors qu’Oscar Pereiro se voit attribuer la victoire. Le point départ d’une nouvelle génération, avec un coureur qui paradoxalement peut être considéré comme l’un des vainqueurs les plus surprenant de l’histoire du Tour de France. L’année suivante, le monde du cyclisme voit éclore Alberto Contador qui remporte l’édition 2007 de la Grande Boucle pour 23 petites secondes devant Cadel Evans. Durant sa carrière, le pistolero remporte 7 grands tours (2 Giro, 2 TDF, 3 Vuelta) et diverses courses World Tour d’une semaine.
En 2008, c’est la grande année du cyclisme espagnol. Contador réalise un doublé Giro-Vuelta (en seulement 2 ans, le madrilène a réussi à remporter les trois grands tours !) et Carlos Sastre est couronné sur la Grande Boucle après son envol dans l’Alpe D’huez. 2009 marque le retour d’Astana sur les routes du Tour de France et un deuxième succès pour Contador. Un autre espagnol va s’illustrer en remportant son seul et unique grand tour : Alejandro Valverde, sur le Tour d’Espagne 2009. Souvent placé (9 fois sur un podium d’une course de trois semaines), il a au total gagné 17 étapes sur les grands tours. Valverde va étoffer son palmarès sur les classiques ardennaises (vainqueur 4 fois de Liège-Bastogne-Liège et 5 fois de la Flèche-Wallonne) et en remportant de nombreuses autres courses World Tour.

Sans triompher sur trois semaines, certains coureurs ont aussi sublimé le cyclisme espagnol. C’est le cas du grand Joaquim Rodriguez (14 étapes de grands tours). Formidable puncheur comme en attestent ses victoires sur la Flèche Wallonne (2012) ou le Tour de Lombardie (2012 et 2013), le catalan a toujours buté sur son rêve de remporter un grand tour. Souvent dans les cinq premiers (7 fois), il est passé proche du graal, notamment sur le Tour d’Italie 2012 où il a perdu son maillot rose durant le contre-la-montre final pour 16 petites secondes. Samuel Sanchez a lui aussi longtemps cherché la victoire sur une longue épreuve (3e Vuelta 2007, 2e Vuelta 2009, 2e Tour de France 2010), mais a dû se contenter d’un maillot à pois lors du Tour de France 2011. Le coureur basque a également été champion olympique en 2008 à Pékin.
Cette génération a aussi vu des équipiers de grands leaders réaliser de belles choses. Daniel Moreno, fidèle lieutenant de Rodriguez, a remporté 3 étapes sur la Vuelta et la Flèche-Wallonne 2013. Igor Anton a remporté 5 victoires d’étapes sur les grands tours. Luis Leon Sanchez a lui remporté Paris-Nice 2009, 4 étapes sur le Tour de France, le classement de la montagne de la Vuelta 2014 et deux fois la Classique de Saint-Sébastien (2010 et 2012).
Quand on pense au cyclisme espagnol des années 2000, difficile de ne pas évoquer Oscar Freire. Dernier grand sprinteur du pays, il a remporté 11 étapes sur les grands tours et le classement par points du Tour de France 2008. A cela, on peut ajouter ses trois victoires sur Milan-San Remo (2004,2007 et 2010) et son triple sacre de champion du monde sur route (1999,2001 et 2004).
De cette génération, il ne reste plus que le vieillissant mais toujours performant Alejandro Valverde, second de la Vuelta 2019 à 39 ans, qui reste peut-être encore la valeur la plus sûre pour le cyclisme espagnol sur un grand tour.
Une génération qui se montre… mais peu souvent sur les podiums de grands tours
Une nouvelle génération est donc apparue au cours de la décennie 2010. Si l’Espagne a pu profiter de la longévité et de la régularité des coureurs de la génération précédente, de nouvelles têtes auraient dû monter en puissance afin de prendre le relais d’une des plus grandes nations du cyclisme mondial. Beaucoup de ces nouveaux coureurs sont souvent performants sur des courses d’une semaine, à l’image d’un Ion Izagirre (vainqueur du Tour de Pologne 2015 et du Tour du Pays basque 2019), mais reste en retrait pour jouer la victoire sur un grand tour. A 31 ans, Izagirre n’a guère fait mieux qu’une neuvième place sur le Tour d’Espagne 2018. Omar Fraile (30 ans) a aussi montré de belles choses en terminant double vainqueur du classement de la montagne de la Vuelta (en 2015 et 2016). Il n’a cependant pas souvent eu l’occasion d’avoir un rôle de leader sur un grand tour, épaulant depuis 2 ans chez Astana Jacob Fulgsang et Miguel Angel Lopez. Chez cette équipe kazakhe, on a aussi retrouvé ces trois dernières saisons le grimpeur basque Peio Bilbao, qui a terminé à une belle sixième place durant le Tour d’Italie 2018 et a remporté deux étapes sur l’édition 2019. Arrivé chez la Bahrein-McLaren pour la saison 2020, il a épaulé son leader Mikel Landa sur le Tour de France et finit cinquième du Giro.
Certaines pépites n’ont pas confirmé les espoirs placés en elles. C’est le cas de Rubén Fernández Andújar. Vainqueur du Tour de l’avenir 2013 (considéré comme le Tour de France des moins de 23 ans) qui voit ces derniers temps bon nombre de cracks du cyclisme mondial d’aujourd’hui s’y imposer (Quintana en 2010, Lopez en 2014, Gaudu en 2017, Bernal en 2017, Pogacar en 2018), il n’a pas confirmé les espoirs en passant chez les professionnels. Sur le circuit World Tour, il a très souvent été cantonné à un rôle d’équipier chez Movistar (2015-2019).
David de la Cruz n’a aussi pas réussi à confirmer son encourageant Tour d’Espagne 2016. 7e du classement général et porteur du maillot rouge à l’issue de sa victoire d’étape durant la neuvième étape, il s’était révélé aux yeux des observateurs. Depuis et malgré un passage chez Ineos l’amenant sur la Vuelta en tant que leader, il n’a jamais refait de top 10. Pour 2020 chez sa nouvelle équipe UAE Emirates, il a été le meilleur équipier de Tadej Pogacar en accompagnant la pépite Slovène dans sa victoire sur les routes du Tour de France.

Landa, chef de file du renouveau espagnol ?
Le coureur le plus talentueux de cette génération, c’est incontestablement le basque Mikel Landa. Bénéficiant de grandes aptitudes sur trois semaines et capable d’être performant au général en enchainant le Giro et le Tour de France, il est celui qui offre le plus de garanties pour les années à venir. Malheureusement pour lui, il a souvent été contraint d’aider ses leaders (Aru, Froome, Caparaz) alors qu’il semblait valoir bien mieux qu’un rôle de gregario. Cela ne l’a pas empêché de réaliser de belles performances sur les grands tours, en finissant quelques fois dans le top 5 et en remportant de grandes étapes de montagne. Après une expérience mitigée chez la Movistar, il s’est en allé chez la Bahrein-McLaren, afin d’avoir pour la première fois de sa carrière un statut de leader unique sur une course de trois semaines. A 30 ans, il reste au grimpeur espagnol de belles années devant lui. Sur le Tour de France 2020, il a fait partie des meilleurs en montagne. Terminant à la quatrième place (meilleur résultat pour lui sur un grand tour depuis le Tour 2017), il a tenté de faire bouger les choses dès que la route s’élevait.
Movistar, un rôle à jouer
Structure présente dans le peloton depuis 40 années, Movistar a au fil du temps formé et façonné les grands champions du cyclisme espagnol. De Pedro Delgado (vainqueur du Tour de France 1988 et du Tour d’Espagne 1989) à Alejandro Valverde en passant par le roi Miguel Indurain (vainqueur de 5 Tour de France et 2 Tour d’Italie) durant les années 1990, la formation a été couronné de grands succès. C’est pour cela que cette équipe mythique a un rôle important à jouer afin de redonner à l’Espagne ses lettres de noblesses. Ces dernières années, elle a porté au sommet de grands coureurs sud-américains, Nairo Quintana et le jeune Richard Caparaz. Ce dernier, vainqueur du Giro 2019, a choisi de s’en aller chez le concurrent Ineos, ce qui n’a pas plus aux dirigeants de la Movistar. Le directeur sportif Pablo Lastras a d’ailleurs déclaré à ce sujet dans le documentaire El dia menos pensado : « Je me fiche de son avenir. Il n’a pas été fidèle et je ne veux pas d’un coureur qui ne soit pas fidèle dans mon équipe. Ils auraient pu lui donner plus d’argent, mais il a changé de choix. ». Ambiance. Moins fringuant ces dernières saisons, le colombien Nairo Quintana avait lui fait le tour de la question chez l’équipe espagnole. Arrivé en 2012, il a durant 8 saisons offert de grands résultats à sa formation avec notamment ses victoires sur le Giro 2014 et la Vuelta 2016 ainsi que ses trois podiums sur le Tour de France (2013,2015,2016).
La Movistar a donc dû se reconstruire. Encadré par le quarantenaire Valverde, elle compte sur deux jeunes talents du pays. Tout d’abord, il y a Marc Soler. Vainqueur du Tour de l’Avenir 2015, il est depuis cette même année dans les rangs de la formation espagnole. Bon grimpeur et pas mauvais rouleur, il s’est illustré en remportant Paris-Nice en 2018. Sur les grands tours, il a été cantonné à servir Valverde, Quintana ou Landa durant ces dernières années. Neuvième de la Vuelta l’an dernier, il n’a pas su améliorer son classement lors de l’édition 2020, servant souvent pour les coups d’épée dans l’eau de la Movistar. L’autre jeune pépite du cyclisme espagnol, c’est Enric Mas. Deuxième de la Vuelta 2018 à seulement 23 ans, il a eu plus du mal à confirmer durant la saison suivante. Initialement leader sur le Tour de France 2019 pour la formation Deceuninck-Quick Step, il a été dans l’ombre du show Alaphilippe durant tout le mois de Juillet, en ne terminant toutefois que 22e. Pour cette saison 2020, il a choisi de rentrer au pays en s’engageant chez la Movistar. Comme l’expérimenté Valverde, il a été sur le Tour de France et sur la Vuelta. Régulier et accompagnant les meilleurs en montagne, il a terminé à la cinquième place du général de ces deux grands tours. Très encourageant pour la suite. En fin 2018, la légende Alberto Contador déclarait au sujet de ces jeunes espagnols dans un entretien au quotidien espagnol AS : « S’ils monopolisent autant d’attention, c’est parce que ce sont des coureurs avec un potentiel énorme. Enric et Marc ont un grand avenir, c’est certain. C’est deux coureurs qui vont briller dans les prochaines années. ».

Le cyclisme espagnol est à un moment crucial de son histoire. Après la fin d’une génération dorée portée par Contador, il doit trouver de nouvelles têtes d’affiche capables de jouer la gagne sur les grands tours. Avec l’émancipation de Mikel Landa en tant que leader et une équipe Movistar tournée vers la jeunesse de son pays, peut-il revenir au sommet du cyclisme mondial ? ou va-il rentrer dans le rang en connaissant une période de longue disette ? Beaucoup d’enjeux et d’interrogations se posent autour de cette grande nation historique pour les prochaines années.