13 juin 1987, Sydney, La France joue la première demi-finale de la première Coupe du monde de rugby de l’histoire. Et en face on ne retrouve pas n’importe quels adversaires, les Australiens, à domicile sur leurs terres et qui sont en compétition avec les Néo-Zélandais pour être titrés comme meilleure équipe de la planète. Oui mais, car il y a un mais, les Français ne sont pas là pour faire de la figuration. Depuis le début de la compétition, la France a eu la chance de connaître un calendrier plus qu’abordable. Hormis les Écossais de Gavin Hastings, 2èmes du 5 Nations 1987 derrière les Français et leur Grand Chelem, l’adversité n’est pas très élevée. La Roumanie, Le Zimbabwe et les Fidji en ¼ de finale sont balayés par la France.
Au moment des demi-finales, les experts sont unanimes : la foudre va s’abattre sur les joueurs tricolores. La suite appartient à La légende. Et ce que l’on retiendra de ce match côté bleu c’est cette 85éme minute, cette ultime action, cet essai splendide de Serge Blanco. La défense est hermétique, elle souffle dans les oreilles des joueurs australiens dès qu’ils touchent le ballon. « C’est un mur, le mur de France », et elle récupère le ballon devant ses 22 mètres. 10 passes, un coup de génie de Lagisquet et 75m parcourus plus loin, Blanco fini en terre promise. Un rugby total qui allait vite, trop vite au bout du bout de ce match pour les joueurs vert et jaunes. Cette victoire et cet essai marque l’avènement du rugby prôné par un homme : Jacques Fouroux.

Le Petit Caporal
Bon nombre d’adjectif peuvent enorgueillir la carrière de joueur et de coach de Jacques Fouroux. Certains verront en lui le meneur d’hommes, le capitaine ou simplement le petit 9 qui gueulait sur tout le monde. Ce que l’on oublie parfois, c’est que Jacques Fouroux était aussi un visionnaire.
Pour mieux cerner le personnage, remontons à ses origines. Jacques est un petit gersois qui ne connaît pas des débuts rugbystiques tonitruants dans sa région natale. Il faut dire que même à l’époque son mètre soixante-trois rebute un peu les grandes équipes du championnat français. Attention, Jacques n’en est pas pour autant un piètre joueur et met en avant des qualités indéniables pour évoluer au poste de demi de mêlée. Une technique de passe au dessus de la moyenne et une gouaille encore jamais égalée selon certains font de lui un joueur respecté par ses coéquipiers mais aussi par ses adversaires. Cette pugnacité tant physique que verbale lui permet de s’ouvrir les portes du XV de France au dépit de joueurs jugés plus talentueux par la presse. Mais Jacques n’en a que faire de ses simagrées. L’important : la gagne. Et s’il faut gueuler sur tous ses avants pour y arriver, eh bien cela sera fait.
Ce charisme naturel couplé à sa petite taille lui vaudra un surnom : le Petit Caporal. Il est vrai que voir Jacques Fouroux sur un terrain peut rappeler un petit commandant des armées françaises sur un champ de bataille. Entouré de ses « gros » qu’il fait naviguer à son bon vouloir, Jacques dicte le jeu, la cadence et souvent le sort du match. Ce trait de caractère lui permet d’avoir une carrière internationale plus que correcte en tant que joueur mais plus que ça, il lui permet de se construire un futur glorieux.
Jacques Fouroux l’entraineur
Sans transition aucune, Jacques termine sa carrière de joueur en 1980 et devient le premier entraineur-sélectionneur du XV de France en 1981. Fouroux choisit ses hommes, que dis-je, ses soldats avec qui il veut partir à la guerre. Et ce n’est pas n’importe quelle guerre qui est lancée, c’est une reconquête. La reconquête de la gloire du rugby hexagonale qui reste sur de terribles performances dans ses dernières rencontres internationales. Pour ce faire, il fallait un homme avec un tempérament bien trempé, qui vous amène un groupe le plus loin possible, un homme que l’on suit jusqu’à la mort ou que l’on quitte dans le fracas. Il fallait un petit caporal, le petit caporal.
Les résultats sont concluants tout de suite et débouche sur un Grand Chelem dans le Cinq Nations 1981. La cuvée 1982 ressemble à une de gueule de bois pour les Tricolores qui ne gagneront que 2 matchs dans ce tournoi. Derrière s’en suit une constance remarquable de 1983 à 1989 période dans laquelle au maximum un match sera perdu par tournoi et qui voit les Bleus s’imposer 5 fois. Fouroux brille en Europe mais ses détracteurs le discréditent régulièrement pour les échecs répétés de sa sélection dans l’hémisphère sud, face à des équipes souvent plus inventives et rugueuses. Mais Jacques à de la suite dans les idées.
Jacques Fouroux le visionnaire
En effet Jacques Fouroux va révolutionner le rugby français et même la manière de jouer au rugby dans sa globalité. C’est l’instigateur du rugby moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le rugby français avant la période Fouroux était ancré dans la tradition d’un rugby de panache. Un rugby champagne souvent brouillon mais avec sur le terrain un grand nombre de joueur capable de faire des différences, des petits génies du ballon ovale des talents comme Boniface ou Maso. Jacques n’écoute pas les anciens. Il n’écoute jamais personne et invente le rugby physico-technique français. Cette nouvelle philosophie est très peu appréciée par la fédération et le public qui voit cette méthode de travail comme une régression du rugby vers un sport brutal voir animal. Ce système, Jacques Fouroux le tire de son expérience passée, des joueurs qu’il a eu sous son commandement en étant capitaine et leader, notamment des avants et surtout des équipes qu’il a pu affronter au niveau international.
Les fondements de ce nouveau système sont plutôt simples. Chaque joueur de l’équipe est en quelque sorte un rouage d’une grosse machine qui s’appuie sur les bases solides du rugby : défense, combat physique et vitesse. Jacques laisse moins de place à l’improvisation et sélectionne donc des joueurs à fort gabarit au dépend de « techniciens ». Il ne peut se passer cependant de joueurs complets comme Sella ou Blanco qui combinaient tous les aspects voulus dans le rugby de Fouroux tout en apportant les pointes de génie des restes du French Flair. Ce savant mélange de physique et de technique Fouroux a mis quatre ans à le doser pour amener une équipe des plus compétitives pour le premier Mondial 1987.
Dans la ligne de ¾ titulaire, seul le buteur Didier Camberabero descend en dessous du mètre quatre-vingt. La troisième ligne composée de Champ, Erbani et Rodriguez culmine à plus d’1,90m. Des défenseurs âpres et rugueux s’étalent à tous les postes. Une première ligne Ondarts – Dubroca – Garuet qui ne recule jamais d’un petit mètre en mêlée fermée et avec une résilience exemplaire. Bref c’est une équipe de guerriers qui est partie en Australie pour en découdre et qui fait face à toutes les critiques de la part des journalistes et des experts français sur leur style de jeu que ce soit avant le début de la compétition ou pendant et ce jusqu’aux demi-finales. La suite vous la connaissez déjà.
Cette demi-finale est l’apogée de la carrière d’entraineur de Jacques Fouroux et une victoire de son rugby moderne physico-technique. A la 85ème, tout allait trop vite pour les Australiens qui n’arrivaient pas à faire mieux qu’être spectateurs de cet essai du bout du monde. Ce match a ouvert la voie à une transition systémique du rugby en Europe. Jacques Fouroux en a été le précurseur.
L’héritage
Ce nouveau rugby a connu une période faste après la Coupe du monde 1987. Les centres de formation français ont formé des jeunes joueurs toujours plus grands et plus forts physiquement. Mais le rugby français n’a pas su éviter les dérives de ce nouveau système. En effet on peut dire que le match de 1987 contre l’Australie a aussi causé la petite mort du French Flair. Le rugby spectaculaire et envolé parfois bordélique de la France s’en est lentement allé. Pourtant ce qu’a fait Jacques Fouroux, c’était simplement doser un héritage du passé en le mixant avec le rugby du futur. Ca ses successeurs l’ont oublié, s’arc-boutant seulement sur des principes défensifs et physiques.
Paradoxalement, de nos jours, la formation française revient à un rugby d’évitement et de passes comme les anciens ont pu le connaître dans les années 60-70. Les règles changent aussi punissant un bon nombre d’affrontements frontaux devenus dangereux par la puissance et vitesse des chocs liés aux gabarits des joueurs. Assistons-nous à une sorte de boucle rugbystique fluctuant entre passe et contact, entre coup de pied par-dessus et offload ? Jacques Fouroux a réinventé le rugby. Un rugby à son image, combatif et posé sur des bases solides. Un rugby d’abord décrié puis adopté. Un rugby installé depuis 40 ans maintenant. Un rugby qui va et qui a laissé sa trace dans l’histoire de ce sport.