Imaginez vous être surnommé “Le boss” par le Pape. Sachez qu’il y a peu de chances que ça vous arrive un jour, mais que c’est arrivé à Jack Charlton. Champion du monde 1966 avec l’Angleterre, et frère de Bobby, sa mémoire ne cesse d’être saluée aux quatre coins du Royaume Uni depuis son décès samedi matin. Littéralement aux quatre coins, puisque les hommages se multiplient aussi en Irlande, ou son passage en tant que sélectionneur a marqué les esprits. La fédération Irlandaise a même salué “le manager qui a changé le football Irlandais pour toujours.” Rien que ça.
Le parcours de joueur du défenseur central se résume en un mot : longévité. Arrivé en 1952, à 17 ans, à Leeds, il débute en équipe première un an plus tard. Sa force physique, son sens défensif et son impact font de lui un défenseur craint dans tout le royaume. Jusqu’en 1973 (soit 20 ans de carrière), il joue 773 matchs avec Leeds, ce qui en fait le recordman de matchs joués avec les Peacocks. Plus étonnant, il est le 9e meilleur buteur de l’histoire du club, avec 96 buts inscrits, majoritairement de la tête sur les coups de pieds arrêtés. Jack écrit, avec ses coéquipiers, l’une des plus belles pages de l’histoire du club, mais aussi de la sélection Anglaise. Convoqué pour la première fois sur le tard, à 29 ans, il est tout de même l’un des artisans majeurs de la victoire en coupe du monde avec son frère Bobby, attaquant aux antipodes du défenseur rugueux qu’est Jack. Toujouts est-il qu’en 1967, c’est l’aîné des deux frères qui remporte le titre de meilleur joueur anglais de l’année, à 32 ans.

Avant de parler de son aventure managériale, une petite anecdote. Le défenseur anglais a connu quelques soucis avec la justice. Rien de grave, si ce n’est un “Black Book” qu’il tenait avec l’objectif de “croiser à nouveau sur le terrain” les noms qui étaient inscrits dans ce petit carnet. Une personnalité à part, un côté “brute” qu’il a su transmettre par la suite à ses équipes, mais pas seulement.
Premier coach étranger de l’équipe nationale d’Irlande
Après sa retraite de joueurs, Charlton va aussi connaître la gloire : d’abord, 5 saisons avec Middlesbrough, avec une montée en première division. Puis 6 saisons là aussi couronnées d’une montée avec Sheffield Wednesday, avant de coacher Newcastle pour seulement 14 mois, une aventure bien moins fructueuse. C’est le moment pour le natif de Northumberland de prendre un peu de recul avec le football. Après des années à parcourir des milliers de miles en Angleterre, du Nord au Sud, des belles routes de Londres aux routes sinueuses du comté de Cheshire, il déclare regretter de ne pas avoir vu grandir ses enfants, et veut profiter de sa famille. Mais chassez le naturel, il revient au galop.

En effet, en 1985, le nom de Jack Charlton filtre comme candidat au poste de sélectionneur de l’équipe d’Irlande. L’anglais a donné sa validation, précisant que sa nouvelle vie est compatible avec la vie de sélectionneur. Mais le poste est demandé, tant et si bien qu’un vote est organisé au sein de la fédération irlandaise afin de désigner l’heureux élu. Charlton est donc choisi, mais fait de suite face aux critiques. Premier manager étranger de la sélection, son éloignement du monde du football est réel : il reconnaît ne pas être au courant de qui sont les meilleurs joueurs Irlandais, et a une forte tendance à confondre et oublier les prénoms et noms de ses joueurs… Peu rassurant. Lui, en revanche, ne s’inquiète pas. Il est habité par la motivation qui l’a toujours conduit au succès : celle de bien faire, tout simplement.
“Put em’ under pressure!”
“90 % des matchs internationaux sont perdus en raison de ce que la ligne défensive a mal fait. Ce serait donc plus facile de rester derrière, mais nous on ne joue pas comme ça. On va dans la moitié de terrain adverse, on va les chercher, on leur court après.”
Jack Charlton
3 ans après sa nomination, le champion du monde anglais est sur le toit du monde. Enfin, du Royaume Uni tout du moins. A l’Euro 88, ses hommes viennent de l’emporter 1 à 0 contre les anglais. Une grande victoire pour une sélection qui n’avait, jusqu’alors, jamais connu de tournois majeurs. C’est le début d’une histoire d’amour qui durera presque 10 ans. Plus qu’une simple relation sportive, les Irlandais se reconnaissent dans cette équipe et dans ce sélectionneur. Une équipe joyeuse, fun, qui passe ses soirées au pub après l’entraînement. Mais une équipe qui a aussi trimé des heures durant cet entraînement, notamment en préparation de la Coupe du Monde 1990, ou les Irlandais doivent s’entraîner en survêtement complet et manteau, afin de se préparer à la chaleur Italienne.

Les Irlandais s’amusent des déclarations de l’anglais, de sa franchise et son honnêteté. Comme ce soir de défaire 3-0 contre le Portugal, où il déclare en conférence de presse : “Can I go now, I’d like a beer.” (“Je peux y aller maintenant, j’ai envie de boire une bière). Mais cette facétie apparente cache aussi un coach qui sait ou il veut aller : “90 % des matchs internationaux sont perdus en raison de ce que la ligne défensive a mal fait. Ce serait donc plus facile de rester derrière, mais nous on ne joue pas comme ça. On va dans la moitié de terrain adverse, on va les chercher, on leur court après.” Une volonté d’harceler l’adversaire, qui n’est pas commune mais qui fonctionne. Tout comme son jeu avec ballon : très direct, peu léché et assez physique. On parle d’un manager qui a quand même menacé un de ses joueurs de le sortir pour avoir tenté une passe courte ! Pas de folies : “On doit mettre en place un football simple. Ils jouent tous de manières différentes en club, donc on doit mettre en place quelque chose de clair. Et, encore plus important, quand ils font quelque chose qu’ils savent que je n’aime pas, s’ils regardent sur le banc, ils savent que je n’ai pas aimé.” Preuve, s’il en fallait encore, de son immense leadership.
Nationalité Irlandaise et statue à Cork
Avec ses joueurs, Charlton décrochera un historique quart de finale de Coupe du Monde 1990 en Italie. L’occasion, en raison d’un pari avec ses joueurs, de rencontrer le Pape. Ce dernier déclarera alors, en rencontrant le sélectionneur : “Vous, je vous connais : vous êtes le boss ! » Cette coupe du monde est aussi celle d’un match nul contre l’Angleterre, d’un second contre les Pays Bas durant la phase de groupe, contre deux des plus grandes équipes du monde à ce moment-là. Après un deuxième mondial aux Etats Unis en 1994, Jack Charlton est remercié en 1995, dix ans après sa nomination, après une défaite en play off de qualifications à l’Euro 1996 contre les Pays-Bas. Son immense héritage est souligné par un de ses anciens joueurs : “Il a tout changé dans le football Irlandais, a déclaré Ray Houghton. Son héritage est énorme“. “ Et surtout, il n’est pas que sportif.

Charlton et les siens ont été les grands investigateurs d’une histoire d’amour naissante des Irlandais envers le football, qui se créé alors une place aux côtés du rugby et des sports gaéliques. Surtout, il va changer les mentalités. Critiqué en raison de ses choix (Seuls 10 joueurs sur 26 sont nés au pays), il tord le cou à ses détracteurs : “Chaque joueur que je convoque se sent Irlandais. Ce sont les circonstances économiques qui ont poussé leurs parents et leurs grands parents à émigrer. Doit-on stigmatiser et renier leur héritage ? Je ne pense pas.” Et, comme un amoureux du foot l’est jusqu’au bout, Charlton vivra encore au rythme des pluvieux après midi de Stoke City, des chants d’Anfield et des terrains boueux de la Premier League comme commentateur/analyste. Nationalisé Irlandais en 1996, il est inscrit au Hall of Fame of The English Game en 2005. Une relation amoureuse avec deux patries qui ne jalouseront jamais ce que Charlton leur a offert.
« Jack Charlton, le manager qui a placé l’Irlande sur le devant de la scène mondiale avec fierté et passion et a permis à une nation de rêver » a récemment déclaré la fédération Irlandaise. Ce que son président a jugé bon d’ajouter : “Il a transformé notre sport. Il a changé non seulement notre manière de jouer au football, mais aussi le regard du pays sur le football irlandais. Il a donné à l’Irlande une équipe dont elle pouvait être fière, et en retour l’Irlande l’a porté dans son cœur. » Pouvait-on mieux conclure ?