Omnisport Rugby

L’argent dans le rugby, un facteur de réussite ?

L’argent dans le sport, intrigant et épineux sujet. Ce thème dans le paysage sportif a toujours mené à des scissions manichéennes d’idées. En effet, certains préfèrent passer sous silence la question, d’autres n’hésitent pas à parler explicitement de monnaie, de flouze, de blé. Du côté des observateurs on retrouve des communautés qui voient d’un œil noir le fait que le sport fasse transiter autant d’argent, en opposition il existe des parties qui considèrent cela “normal” et comme une juste rétribution pour les athlètes.

Ce qui est sûr c’est que quand vous lisez les mots argent et sport dans la même phrase, il est fortement probable que la première image qui vous vienne en tête est celle des footballeurs millionnaires. Mais le Football n’est pas une entité marginale à part entière. Il faut bien comprendre que tous les sports dès lors qu’ils deviennent professionnels voient orbiter des sommes conséquentes d’argent autour d’eux. C’est bien évidemment le cas du rugby.

En France le rugby s’est professionnalisé en 1998. Même si cette professionnalisation n’est pas si vieille elle nous permet de regarder dans le rétroviseur avec aisance et de comprendre le rôle qu’a joué l’argent dans le monde du rugby lors de ses dernières années . Notamment lorsque l’on regarde les derniers champions du Top14 : Toulouse, Castres, Clermont, Racing, Stade Français, Toulon… Cet article est aucunement un jugement de valeur mais présente des faits relatables autour de l’argent et du rugby. Et surtout il visera à répondre à une question : L’argent est-il mère de bons résultats dans le rugby ?

Côté Club : Des entités bien ancrés, des figures montantes et des petits canards boiteux.

Avant d’étudier les budgets des clubs du Top14, il est important de comprendre comment un club est financièrement structuré. Quelles sont les revenus qui vont faire varier les prévisions budgétaires des clubs au fil des années.

En Top14 il existe une spécificité un peu particulière. En effet tous les clubs ont des gestions propres et uniques. Certains clubs seront plutôt gérés par un mécène capable d’insuffler beaucoup de monnaie, d’autres s’appuieront sur des collectivités. En bref, la diversité des structures budgétaires est très développée. Cependant on peut arriver à trouver des tendances qui se répètent dans la gestion budgétaire des clubs de rugby français.  La majeure partie des revenues des clubs se fait par le biais des sponsors. Ils représentent en général autour de 50% du budget entrant, une somme colossale (qui explique aussi la présence des nombreux sponsors sur la plupart des maillots en Top14, dédicace à Bigard pour Agen). Rajoutez à cela les recettes de billetteries qui selon les clubs varient de 20 à 25% des revenus annuels. Les clubs de Top14 s’appuient beaucoup sur leurs supporters pour remplir leurs caisses. Quand on sait que le taux de remplissage moyen d’un stade dans le championnat français de rugby est de 70% pour une affluence moyenne de 13 900 spectateurs avec des prix de places entre 20 et 40€ en moyenne pour la majorité des clubs, il n’y a rien d’étonnant. Pour compléter cet organigramme budgétaire, la dernière grosse part du gâteau est celle des droits TV. Ces droits permettent aux clubs de Top14 de remplir leur budget à hauteur de 20%. Les droits TV rugbystiques français appartiennent aujourd’hui et ce jusqu’en 2023 à Canal+ avec une enveloppe annuelle de 97M€. La répartition de cette enveloppe entre chaque équipe est gérée par la ligue nationale de rugby, elle se veut la plus homogène possible en ne prenant que très peu en compte les résultats de chaque club. A titre de comparaison au foot la moitié des revenues des équipes proviennent des droits TV. Les derniers revenus proviennent des dotations liées aux compétitions européennes ainsi qu’aux ventes en boutique.

A partir de cela il est possible de comprendre comment et pourquoi les équipes arrivent ou peuvent arriver à faire augmenter leur budget. Difficile de jouer sur la corde des actionnaires ou du mécène. C’est une variable aléatoire qui dépendra vraiment de comment le président du club va gérer son affaire, si il veut dépenser sans compter ou bien si il cherche simplement à faire du profit avec son « entreprise ». D’un autre côté la structuration du contrat des droits TV n’est pas réalisée annuellement (la prochaine sera en 2023). Le budget ne peut pas être gonflé chaque année par ce facteur. Reste l’affluence au stade. Il est possible pour les clubs d’augmenter ses revenus par plusieurs moyens. La délocalisation de certains matchs dans des stades de football généralement plus volumineux est une option viable à court terme. Cependant la solution à long terme est de construire son propre stade comme l’a fait le MHR ou encore le Racing. La construction d’un stade neuf appartenant au club et non pas à un tiers organisme supprime les dépenses de locations du stade et permet d’acquérir la majeure partie des revenus de billeterie. De plus il est possible de louer le stade pour des spectacles, concerts ou autres, comme le fait le Racing avec l’Arena 92.

Maintenant que les bases sont fixées je vous propose de nous pencher sur une étude statistique concoctée par mes soins qui permettra de répondre à notre question principale sur l’argent et les résultats. Cette étude se base sur les budgets des clubs de Top14 de 2010 à aujourd’hui les données ont été récupérés grâce à une bibliographie internet.

L’évolution des budgets au fur et à mesure des saisons :

Pour commencer, si l’on regarde l’évolution du budget moyen des clubs de Top14 sur la période d’étude, Le budget moyen d’un club de Top14 est passé de 16,04M€ en 2010 à 27,61 en 2020 soit une augmentation de 72% en 10 ans. L’augmentation du budget est continue d’année en année.

Comme expliqué précédemment la restructuration des droits TV rugby permet de justifier cette augmentation faible mais constante. 2007-2011 : 27,8M€ ; 2011-2015 : 31,8M€ ; 2015-2019 : 74M€ et 2019-2023 : 97M€. Ainsi il est possible de voir de petites marches lors des années correspondantes aux différents changements de contrat des droits TV. L’émergence de nouveaux groupes audiovisuels sportifs (comme les groupes Altice ou Bein Sport) participent à l’augmentation des montants des droits TV à chaque nouveau contrat. C’est une certitude, le prochain contrat qui permettra d’acquérir la diffusion du championnat de rugby français sur le petit écran dépassera les 100M€.

 On remarque aussi une augmentation de la variance sur les 4 dernières saisons. Cette augmentation marque la croissance forte de l’écart de budget entre les petites équipes du championnat et les mastodontes pécuniaires du Top14. Le possible début d’un effet « Foot » avec un enrichissement exponentiel des « gros » du championnat pendant que les « petits » continuent de se débattre pour survivre ?

Quel club est le plus riche :

De 2010 à 2020, le club avec le budget le plus élevé en moyenne est le Stade toulousain avec 32,93M€. Aux antipodes on retrouve le Stade Montois qui n’a passé qu’une seule saison dans l’élite sur notre période d’étude, lors de la saison 2012-2013 l’équipe landaise avait alors un budget de 6.2M€, le plus faible total.

A noter que de 2011 à 2020, Toulouse, Clermont, le Stade Français, Toulon, le Racing, Montpellier et Castres sont les seuls clubs à avoir été présents en Top14 en continue. On retrouve 6 équipes de cette liste dans les 7 plus gros budgets moyens du championnat. La continuité semble être un facteur prépondérant pour arriver à un budget élevé.

Quel club a le plus évolué :

Pour mettre en évidence les clubs qui ont le plus évolué financièrement dans notre championnat français il faut regarder la variance de leurs budgets. Plus la variance est élevée plus une équipe a eu de fortes fluctuations dans son budget.

A ce petit jeu-là 5 équipes sortent du lot : l’UBB, le Stade Rochelais, le MHR, le LOU et le SF. On note des similarités entre ces clubs. Tous ont orchestré des changements majeurs sur leur stade. Lyon et Bordeaux ont récupéré les anciens stades de football de Gerland et Chaban-Delmas avec des capacités d’accueil bien plus grandes que pour leur précédent stade.  Montpellier a vu son nouveau terrain sortir de Terre en 2007. Et le Stade Français et la Rochelle ont réalisé des travaux sur leur écrin respectif agrandissant leur capacité d’accueil. De plus les présidents de ses clubs n’hésitent pas à dépenser de l’argent dans le rugby, que ce soit des figures connus comme Altrad ou Merling pour le MHR et le SR, des groupes puissants comme GL Events pour le LOU ou des investisseurs fortunés tout neufs comme Hans-Peter Wild pour le SF. Reste Laurent Marti, président un peu à part qui a gérer l’UBB comme une entreprise d’une bien belle manière.

L’argent fait-il gagner :

Pour enfin répondre à notre question il suffit maintenant de mettre en évidence l’existence d’une corrélation entre le classement moyen de 2010 à 2020 pour chaque équipe du top 14 avec leur budget moyen respectif.

Réponse :

Oui, le budget des équipes de Top14 est corrélé avec le résultat final de chaque équipe. Les données sont exactement corrélées à 81%. La droite que vous voyez ici correspond à la régression linéaire du classement final moyen en fonction du budget moyen, en soit cela correspond à la place que devrait occuper chaque club selon leur budget. A titre d’exemple, un club avec un budget de 10M€ à une chance élevée de finir à la 13ème place du championnat. Les clubs qui se trouvent en dessous de la droite de régression ont eu un classement moyen inférieur à ce qu’ils auraient dû avoir au vu de leur budget. Inversement les clubs dans la partie supérieure ont fait mieux que ce qui était prévu. On peut donc en déduire que le Stade Français, le LOU, la Section Paloise et le FCGrenoble n’ont pas été à la hauteur malgré des investissements budgétaires conséquents. A contrario le CO, le MHR, le Racing, le RCT et l’ASM ont eu des résultats plus que satisfaisants.

En conclusion :

Pour espérer remporter le championnat, les clubs de Top14 sont obligés d’atteindre une masse budgétaire conséquente, supérieure à 25M€ pour être dans le top 6 du championnat. En dessous d’un tel budget les chances sont très maigres. Avec l’augmentation régulière annuelle des finances de chaque club en Top14, les clubs qui n’arriveront pas à suivre la mouvance (les clubs avec une variance de budget faible) pourraient connaître d’amers surprises dans les années à venir avec des résultats peu glorieux si la tendance se confirme. La corrélation entre le classement et le budget d’un œil extérieur paraît logique. En effet, un club avec plus de moyens peut se permettre de payer plus chers ses joueurs et par vase communiquant de prendre les meilleurs joueurs à leur poste. La prochaine étape consisterait donc à étudier les effectifs de chaque équipe ainsi que le salaire de leurs joueurs. Une hypothèse probable serait que les équipes avec des budgets élevés et qui augmentent beaucoup chaque année auraient des rotations d’effectifs plus courtes avec des joueurs allant et venant selon leur niveau chaque année sur des contrats à faible durée. A contrario les équipes avec un budget faible et peu variable auraient tout intérêt à signer leurs joueurs sur du long terme à des prix raisonnables en espérant de bons développements de ces derniers pour pouvoir espérer, à termes, avoir un jour un rôle à jouer dans les premières places du Top14.

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