Après une saison de rêve qui restera à jamais inachevée, Bordeaux-Bègles va devoir gérer la frustration pour rapidement tourner la page et se concentrer vers les prochains défis. Pas une mince affaire…
Aucune équipe n’a eu face à elle le défi qui attend l’Union Bordeaux-Bègles à l’orée de la saison 2020-2021. Certes, on peut citer de nombreux exemples de clubs frustrés par une défaite cruelle en finale et qui ont passé leur été à ruminer cet échec. Mais les Girondins, auteurs d’un exercice 2019-2020 exceptionnel jusqu’à l’arrêt des matches début mars à cause de la pandémie mondiale, n’ont même pas eu l’occasion de bonifier leur travail lors de phases finales qu’ils n’ont toujours pas rejoints depuis leur remontée en 2011.
Comment l’UBB va-t-elle digérer l’arrêt d’une saison rêvée ? Parviendra-t-elle à repartir aussi forte ? Beau joueur, le président du club Laurent Marti n’a pas polémiqué autour de la décision de ne pas donner le titre à Bordeaux, solidement ancré à la première place avec huit points d’avance sur son dauphin lyonnais après dix-sept journées. « Le rugby n’est pas comme le foot, il y a une phase finale à jouer chaque saison et c’est elle qui forge le champion, argumente-t-il. Si le titre se jouait sur la saison régulière, soit jusqu’à la 26e journée, je pense que nous n’aurions pas été rattrapés. Mais avec une demie et une finale, nous aurions pu très bien être battus… En tous les cas, personne ne pourra nous enlever le bonheur ressenti et le sentiment du travail bien fait. »

À l’aube d’une saison forcément particulière, le groupe, touché par le Covid-19 (cinq joueurs ont été testés positifs au début de la crise sanitaire), a accepté une baisse des revenus allant jusqu’à 20% pour les salaires supérieurs à 5 000 euros par mois. Une preuve de plus de l’état d’esprit, à la fois irréprochable et décontracté, qui anime les Bordelais et qui a clairement pesé dans leur incroyable parcours de l’an dernier.
Comme à l’été 2019, membres du staff et joueurs ont organisé les fameux Bacchus à l’intersaison, ces épreuves ludiques et sportives, organisées par équipe dans une ambiance où la « déconne » règne. De quoi resserrer encore plus les liens au cours de défis hauts en couleurs. C’est à travers ce genre de moments que l’UBB avait su créer une dynamique sur laquelle elle espère encore surfer pour la reprise du championnat début septembre.
Des pertes compensées
Mais l’effectif 2020-2021 ne sera pas identique au précédent. Le surfer australien Blair Connor a remisé les crampons pour prendre le large. Adrien Pélissié et Peni Ravaï ont rejoint les plateaux auvergnats. Quant au phénoménal Semi Radradra, il a quitté la douceur girondine pour l’ouest de l’Angleterre, à Bristol. L’international fidjien (10 sélections), qui peut légitimement postuler au titre de meilleur joueur du monde, était un élément essentiel du collectif bordelais et l’attraction offensive numéro 1 du Top 14.
« On a une équipe qui s’accroche, qui ne lâche pas, on a une organisation précise sur le terrain. Et puis il y a du talent, on sait un peu jouer au rugby. »
Christophe Urios, entraîneur de l’UBB
Pour compenser ces pertes, l’UBB a misé sur un recrutement ciblé et malin. Joseph Dweba et Maxime Lamothe au talonnage, le droitier Ben Tameifuna, le deuxième-ligne des Pumas Guido Petti (53 sélections)… le pack pourra compter sur l’apport de joueurs confirmés et redoutés. Chez les trois-quarts, Ben Lam, transfuge des Hurricanes, aura la (trop) lourde tâche de faire oublier le départ de Radradra. Heureusement, il pourra compter sur les nombreux fers de lance que compte l’attaque bordelaise.
Parmi eux, ils sont nombreux à avoir récemment prolongé leur contrat : Maxime Lucu (2024), Geoffrey Cros (2023), Romain Buros (2024)… Chez les avants aussi, les leaders de jeu et de vestiaire ont signé pour un long bail avec le club, comme Cameron Woki (2023) ou Jandre Marais (2024). Le capitaine Jefferson Poirot s’est lui carrément engagé jusqu’en 2025. Le pilier gauche (27 ans), qui a pris de court tout le monde en annonçant sa retraite internationale au printemps dernier, sera donc un atout pleinement concentré sur son club dans les années à venir.
Une méthode Urios efficace
Parfaitement armé pour les échéances à venir, l’UBB va tenter de reproduire avec la même efficacité le jeu enthousiasmant pratiqué l’année dernière. Ces mouvements d’envergure, ces choix justes réalisés à la perfection dans le bon tempo, voilà ce qui a fait le succès du club et grandement participé à sa belle cote d’amour auprès du public. En arrivant sur la côte Atlantique avec la réputation d’un entraîneur apôtre du combat, Christophe Urios a prouvé qu’il savait aussi jouer avec la qualité de son effectif, sans complexe et avec beaucoup d’ambition. « On a une équipe qui s’accroche, qui ne lâche pas, on a une organisation précise sur le terrain, appuie-t-il. Et puis il y a du talent, on sait un peu jouer au rugby (sourire). »

Après des passages couronnés de succès à Oyonnax (2007-2015) et Castres (2015-2019), Urios développe une nouvelle méthode à Bordeaux. Et une fois de plus, le technicien, longtemps moqué, ne se trompe pas, et brille par sa capacité d’analyse. Une qualité que ne démentent pas ses joueurs. « Avec lui, on joue les matchs en fonction de l’adversaire », témoigne Alexandre Roumat. Autrement dit, l’adaptation est le maître mot du système de jeu bordelais. La preuve que l’intelligence tactique a toute sa place dans la méthode Urios.
La Challenge Cup en exutoire ?
Pourtant, il reste encore des points à améliorer pour que la formation girondine puisse atteindre la toute-puissance à laquelle elle aspire. L’an passé, la touche a fonctionné, surtout au contre, mais paradoxalement la qualité de lancer de ses talonneurs n’a pas été à la hauteur du niveau de ses sauteurs. L’équipe peut également se montrer encore plus impitoyable dans le jeu au près dans les zones de marque. Pour concentrer encore plus les défenses et offrir des espaces décisifs aux trois-quarts. Un détail, peut-être, mais qui a sans doute couté quelques victoires de plus au club l’an dernier (à Lyon [25-23], à Brive [30-9], à Toulouse [22-14]). « Les matchs que nous avons perdus l’an passé se sont presque tous joués sur l’agressivité », confirme Urios.
Le 4 septembre prochain, si l’épidémie épargne le Top 14 d’ici là, Bordeaux-Bègles entamera sa saison d’après sur la pelouse du Stade Français. Sans doute les joueurs auront alors l’impression de reprendre tout à zéro, de jeter à la poubelle un brouillon qui avait des allures de chef d’œuvre. Le temps et la routine d’un championnat-marathon feront passer ce goût amer, c’est une certitude.
Mais avant cela, l’UBB conserve une chance de donner à l’exercice passé un lustre et une portée historique mérités. Les phases finales de la Challenge Cup 2019-2020 débuteront mi-septembre avec le quart à domicile contre Edimbourg. Le premier match à élimination directe de cette jeune équipe. Une rencontre à jouer comme un exutoire avec la perspective réjouissante de décrocher un trophée continental. Pour tourner définitivement la page, dans les rires et la joie. À la bordelaise.