NBA

Du Process à la bulle, autopsie du naufrage des Philadelphia 76ers

Deux jeunes talents mercuriels, de la marge sous le plafond salarial et une kyrielle de choix de draft obtenus par Sam Hinkie… Il y a un peu plus de deux ans, aucune équipe ne semblait avoir un avenir aussi radieux que celui des Philadelphia 76ers.

Une saison après avoir terminé avec le quatrième plus mauvais bilan de la ligue et obtenu le premier choix de la draft, ils franchissaient le seuil symbolique des 50 victoires, bon pour la troisième place de la Conférence Est. Ils avaient ensuite disposé du Miami Heat au premier tour des playoffs, avant de tomber en cinq matches contre des Celtics plus expérimentés. “Nous avons un futur brillant”, avisait Joel Embiid à l’issue de la série, relatant une interaction où Ben Simmons lui assurait qu’ils remporteraient plusieurs bagues ensemble.

Dimanche dernier, Boston est de nouveau venu à bout de Philadelphie. Seulement cette fois, quatre matches ont suffi, et nous n’en étions qu’au stade inaugural des phases finales. L’absence de Ben Simmons, à bien des égards le Sixer le plus régulier cette saison, avait logiquement contrarié les espoirs de qualifications. L’aise avec laquelle les Celtics ont annihilé les Sixers n’en reste pas moins déconcertante. 

Deux ans plus tard, l’écart entre les deux franchises, qu’on pensait tendre au rapprochement, est devenu abyssal. Pour Philadelphie, l’heure n’est plus à l’exaltation devant un futur brillant ni aux bagues à venir, mais à la réalisation que la fenêtre de tir pour remporter un titre s’est peut-être refermée avant même qu’elle ne s’ouvre réellement.  

Les Sixers rémunèrent des joueurs ordinaires de manière extraordinaire, leur ôtant toute flexibilité salariale, l’effectif est aussi bancal que la tour de Pise, si elle avait construite sur les pentes du mont Ventoux, et le trésor de guerre laissé par Sam Hinkie dilapidé. Leurs deux meilleurs joueurs n’arrivent pas à coexister offensivement, sont presque aussi souvent l’un que l’autre en civil sur le banc plutôt qu’en maillot sur le parquet et n’ont montré que peu de signes de progrès ces dernières saisons. 

La question pour un champion : à qui la faute ? À Tobias Harris évoluant au niveau d’un joueur de rotation avec un contrat maximum ? À Al Horford recruté à prix d’or pour jouer à un poste qui n’est plus le sien depuis une demi-décennie ? À la direction incompétente, elle-même mise en place par un homme forcé à la démission après avoir fait fuiter des informations médicales et dénigré ses propres joueurs via de faux comptes Twitter ? À Brett Brown incapable de faire accepter ses choix et entendre raison aux leaders du vestiaire ?

Lorsqu’on lui a posé la question en conférence de presse dimanche, Joel Embiid l’a qualifiée de stupide : “Tout va bien, il n’y a pas de problèmes. Nous n’avons simplement pas gagné.” Les mots creux d’une personnalité attachante et affable, qui n’entend même plus résonner ses platitudes dénuées de sens. “On doit faire mieux. On doit juste se regarder dans la glace et faire mieux.”

S’il a peut-être été un bouclier pour ses coéquipiers décevants, son agacement a surtout trahi l’ampleur de la désillusion. Qu’il tire le rideau sur la saison vêtu d’un sweatshirt empreint de The Process est tout aussi symbolique. Du Magic de Shaquille O’Neal et Penny Hardaway au Thunder de Kevin Durant et Russell Westbrook, l’histoire de la NBA est remplie d’équipes aux ambitions dynastiques, stoppées en plein vol. Ce sont les trois saisons de tanking caractérisé des Sixers qui rendent leur naufrage encore plus douloureux.

À qui la faute ? La question n’a pas une seule et unique réponse. La victoire peut avoir cent pères, mais cet échec est loin d’être orphelin.

Brett Brown, la victime expiatoire

La personne la plus facile à tenir responsable de ce marasme est évidemment Brett Brown. Il n’a d’ailleurs pas fallu 24 heures après l’élimination aux propriétaires Josh Harris et David Blitzer pour se séparer de leur entraîneur de sept ans.

Sa réputation de tuteur et son aptitude inouïe à relativiser des circonstances adverses sont ce qui avait permis à Brown de décrocher le poste en 2013. Il vous sera difficile de trouver meilleur être humain dans l’univers de la NBA. Il a été le visage de la franchise quand elle n’en avait pas, le communicant de crise, sans jamais échapper à ses responsabilités. 

En sept saisons, il a vu 102 joueurs passer sous ses ordres, la plupart bien au courant qu’ils étaient de passage et n’avaient été recrutés que pour leur médiocrité. Pour autant, aucun n’a jamais eu le moindre reproche à lui faire. Pas un seul. C’est dire la qualité de l’homme et ce qui explique qu’il soit resté en poste aussi longtemps, malgré deux défauts rédhibitoires au plus haut niveau de la ligue.

D’abord, son incapacité à adapter ses plans de jeu sur le tas, au gré des oppositions et des séries. Sa dernière à la tête des Sixers en est, bien ironiquement, le parfait exemple. En quatre matches, il n’a jamais changé la couverture des pick-and-roll de Boston, laissant Jayson Tatum et Kemba Walker enchaîner les shoots ouverts, pendant que Horford et Embiid restaient dans la raquette.

Il est par ailleurs légitime de se demander pourquoi Philadelphie a semblé si peu préparé aux prises à deux sur Embiid poste bas. L’absence de Simmons aurait dû multiplier les possibilités offensives des Sixers, elle aura finalement rendue leur attaque prévisible au possible. 

Le deuxième pan de la faillite de Brown, peut-être le plus important, est le manque d’emprise sur ses stars et l’absence de responsabilité individuelle en découlant. Le retour de bâton de la gentillesse. Il n’a pas eu les joueurs les plus faciles à gérer et n’en est pas l’unique fautif, mais le problème est loin d’être récent.  

Après l’ultime défaite contre Boston, Josh Richardson a été le premier à souligner cette affection, source de tous les maux.

Jamais Embiid n’a commencé, ni terminé, une saison au pic de sa forme physique. Les kilos en trop qu’il jure, avec son incomparable charisme, avoir perdus à chaque intersaison sont toujours là. Jamais Simmons n’a daigné montrer la plus infime des propensions à prendre des tirs extérieurs, malgré les implorations publiques de son entraîneur.

“Vous pouvez passer le message à son agent, à sa famille, à ses amis, à lui : je veux un tir à trois points par match, minimum”, exclamait Brown en décembre dernier, après une victoire face aux Cleveland Cavaliers où Simmons avait inscrit le deuxième tir primé de sa carrière. Vexé de la remarque, l’Australien n’a pas tenté un seul tir à trois points les 25 matches suivants.

Brown était le bon entraîneur au bon moment pour Philadelphie. Il a été le porte-parole de la franchise quand ses supérieurs hiérarchiques se cachaient des médias, fait montre d’une infinie noblesse face aux innombrables accrocs du Process, des bagarres de rue de Jahlil Okafor aux bévues du staff médical. Il a supporté les critiques à peine voilées d’Embiid et Jimmy Butler sans jamais y répondre publiquement, la mise à l’écart par Adam Silver de l’homme qui lui avait offert son poste et l’effarante incompétence des Colangelo père et fils.

Il aura déjoué les pronostics en tenant aussi longtemps, mais la foi et conviction dont il a fait preuve au devant de multiples obstacles auront été les mêmes qui ont conduit à son licenciement, pick-and-roll après pick-and-roll.

Elton Brand, le sauveur sans la carrure

Mais la vérité est que la direction des Sixers a fait plus de mal à Brett Brown que l’inverse. Les erreurs sont pléthore mais la plus grosse du régime actuel est venue l’hiver dernier, lorsqu’ils ont échangé deux premiers tours de draft, deux seconds tours de draft, Wilson Chandler, Mike Muscala et Landry Shamet aux Los Angeles Clippers contre Boban Marjanović, Mike Scott et Tobias Harris. Ils ont opté de vider les dernières munitions du Process pour un joueur qui s’apprêtait à être agent libre et que les Clippers n’avaient de toute façon aucune intention de conserver.

Qu’y a-t-il de pire que de commettre une erreur, demandez-vous ? Refuser de l’admettre et doubler la mise. L’été suivant, les Sixers ont décidé de ne conserver ni Jimmy Butler, ni JJ Redick pour allouer 109 millions de dollars à Al Horford et 180 gargantuesques millions de dollars à Tobias Harris.

Ce n’est absolument pas de la faute de Horford et de Harris s’ils sont payés pour être des joueurs qu’ils sont incapables d’être. Mais au-delà des finances, ces playoffs étaient une opportunité pour eux de montrer, sans Ben Simmons, qu’ils pouvaient briller dans un contexte favorable. Avec plus de spacing, plus de ballons et plus de tirs, les deux ont été implacablement plus mauvais.

Menu du jour, au choix : l’ailier malmené en défense, en manque de confiance, dont les points marqués ont des calories aussi vides que des Monster Munch sans sel, ou l’intérieur en déclin, qui ne prend pas de rebond et considère qu’il est opportun de tenter des fadeaways à mi-distance lorsqu’un joueur plus petit défend sur lui.

Elton Brand a tout de même été malin l’été dernier en signant Trey Burke pour le salaire minimum. Le genre de recrues qui en touche une sans faire bouger l’autre à l’intersaison, mais peut rapporter des dividendes colossaux en playoffs. La malice de Brand, hélas, ne s’est avérée que temporaire, puisqu’il a décidé de couper Burke en février. Devinez qui remplit désormais à merveille le rôle de l’arrière créateur pour Dallas. Devinez quelle équipe a manqué d’un arrière créateur depuis le départ de Jimmy Butler.

Brett Brown est au chômage, mais son insuccès n’est que le fruit de l’impéritie de Brand qui, lui, reste bien aux commandes…

Le Process est mort…

Outre les Golden State Warriors et le Miami Heat, aucune autre équipe n’a autant captivé, intéressé et fasciné que les Sixers cette dernière décennie. Et pour toute autre raison que l’accumulation de titres de champions. 

Il y a sept ans, Sam Hinkie, nouveau General Manager de Philadelphie, échangeait Jrue Holiday aux New Orleans Pelicans contre deux choix de draft dans la loterie. Pendant deux saisons et demi, tous les autres joueurs à peu près compétents de l’effectif ont subi le même sort : Trust the Process. Hinkie n’a pas inventé le tanking, mais aucun dirigeant ne s’y était tenu de manière aussi extrême et éhontée. 

Un culot qui a provoqué l’ire, l’envie et la jalousie des autres propriétaires et dirigeants de la ligue, forçant Adam Silver à succomber à la pression et installer Jerry Colangelo à la tête de la franchise. Une action qui, avec le recul, aura causé plus de tort à Philadelphie que le veto du trade de Chris Paul aux Lakers par David Stern.

Pour la plupart des supporters des Sixers, Hinkie est un martyr. Pour d’autres, le Process était une insulte au jeu et à la ligue. Pour les pragmatistes, ce n’était qu’un GM jouant au mieux des règles avec les cartes dont il disposait. Les ressources accumulées par Hinkie sont, elles, indiscutables. En cinq drafts, les Sixers ont eu les sixième, onzième, troisième, dixième, troisième, premier et encore premier choix. Cela sans compter la presque comique collection de seconds tours de draft, ni les 24e et 26e choix de la draft 2016. Elton Brand dispose encore de quatre seconds tours de draft en 2020, les derniers vestiges du monument bâti par Hinkie.

Aujourd’hui, le Process n’est plus, tué à petit feu par Brand et les Colangelo.

Jerry Colangelo est, à raison, l’une des figures les plus respectées des annales du basket et du sport nord-américain. Ce qu’il a fait à Philadelphie est, par contre, à la limite de l’inexcusable. Après avoir acquis Ish Smith contre deux seconds tours de draft, il a conduit une recherche de quatre mois pour trouver le nouveau GM des Sixers et conclu que son fils Bryan était le meilleur candidat de tous. Une séquence pleine de népotisme, aussi honteuse pour lui que pour Adam Silver et les propriétaires de l’équipe.

La suite, des tweets malvenus, des cols de chemises trop grands et l’épisode le plus ridicule de l’histoire récente de la NBA. Les Colangelo sont partis, leurs hommes sont restés et ont détruit ce que trois années de tanking sans précédent avaient construit. La liste des erreurs de jugement est franchement incroyable pour une période aussi courte :

  • Deux seconds tours de draft pour une demi-saison d’Ish Smith
  • Deux seconds tours de draft pour une demi-saison de Trevor Booker
  • Un choix de loterie et le 3e choix de draft pour Markelle Fultz plutôt que Jayson Tatum
  • Richaun Holmes contre du cash
  • Jerami Grant et un second tour de draft contre 0 match d’Anzejs Pasecniks
  • Robert Covington et Dario Saric pour une saison de Jimmy Butler
  • Ne pas conserver JJ Redick
  • Mikal Bridges contre Zhaire Smith et un premier tour de draft
  • Le trade pour Tobias Harris mentionné plus tôt
  • Le contrat de Tobias Harris mentionné plus tôt
  • Le contrat d’Al Horford mentionné plus tôt 

Même après le fiasco Colangelo, les Sixers auraient pu avoir une équipe plus compétitive et avoir de l’argent en réserve… en ne faisant strictement rien d’autre que prolonger les joueurs déjà présents dans l’effectif.

Au lieu de cela, les propriétaires ont fait de Brett Brown le GM intérimaire l’été où ils ont tenté de recruter LeBron James et donné les clés du camion à un novice, deux ans après la fin de sa carrière de joueur. Voilà comment une organisation pense que Markelle Fultz et Jimmy Butler sont les pièces manquantes pour aller chercher le titre, puis donne le PIB de certains pays à un pivot pour qu’il joue ailier fort et à un ailier fort pour qu’il joue ailier, avant de finalement faire de leur meneur l’ailier fort. Vous aussi vous êtes perdus ?

… Vive le Process

Néanmoins, dire que le Process n’a pas fonctionné au vu de l’état actuel des Sixers ne pourrait pas être plus erroné. Au contraire, le fait que les Sixers soient encore une équipe de playoffs – que certains idiots avaient choisie pour être championne – malgré toutes ces erreurs, prouve le bien-fondé du projet initial. Les ressources accumulées pendant les années Hinkie ont tant pipé les dés en faveur de Philadelphie que personne, peu importe leur nullité, ne pouvait vraiment en faire une mauvaise équipe.

Le Process est la seule raison pour laquelle les mauvais choix, certains des fautes professionnelles, n’ont pas abouti en cataclysme dont il faut des années pour se relever. L’abondance de choix de draft était telle qu’ils ont pu en gâcher une partie non-négligeable et quand même survivre. 

Ils ont pu n’avoir aucun retour sur investissement pour Markelle Fultz et Jahlil Okafor et rester compétitifs. Ils ont pu surpayer pour des demi-saisons de role players et avoir assez de ressources pour acquérir Jimmy Butler et Tobias Harris. Ils ont pu se retrouver perdant sur la quasi-totalité des trades post-Hinkie, se débarrasser de l’enfant du pays Mikal Brides le soir même de la draft, et tout de même avoir de quoi sélectionner Matisse Thybulle et Shake Milton.

La prémisse du Process est l’acceptation que la draft est une science inexacte, que même les meilleurs scouts, évaluateurs et dirigeants ne parviennent à maîtriser. L’ironie est que ceux qui érigent les busts comme preuve irréfutable de la faillite du projet, montrent en fait toute sa pertinence.

Embiid et Simmons au pied du mur

En dépit des sorties prématurées lors des trois dernières phases finales, du licenciement de Brett Brown et de ceux à venir d’une grande partie de l’équipe dirigeante, les Sixers ont toujours deux des 20 meilleurs joueurs du monde, âgés de 26 et 24 ans. La sempiternelle question de la compatibilité de Joel Embiid et Ben Simmons demeure et beaucoup militeront pour leur séparation, tant la balance comptable restreint le champs des possibles.

En l’état actuel et avant la draft, l’effectif des Sixers sera le deuxième plus onéreux de la saison 2020-21 – derrière Golden State – avec 148 millions de dollars en salaires, 16 millions au-dessus du seuil de la luxury tax. Simmons, Embiid, Harris et Horford représentent à eux seuls 80,4 % de ce total. 

Elton Brand tentera à coup sûr d’échanger Al Horford, mais un éventuel trade ne pourrait être qu’à perte. À cause de la situation financière, les cinq choix de draft dont il dispose (21, 34, 36, 49, 59) ne résulteront pas en cinq nouveaux joueurs. Au mieux, les rookies n’amélioreront de toute façon l’équipe qu’à la marge. Idem pour les 5,7 millions de dollars de mid-level exception.

Cette intersaison ne sera toutefois sans doute pas celle de la rupture pour Embiid et Simmons. Acquérir une troisième star est impossible. Trouver preneur pour les contrats d’Horford et Harris, alors que les propriétaires n’ont aucune perspective de retrouver les recettes de billetterie la saison prochaine, l’est presque tout autant. Les Sixers sont au point de non-retour et le futur de la franchise repose en fait plus que jamais sur les épaules de leurs deux leaders.

Ils doivent pour cela faire ce qu’ils n’ont jamais fait jusqu’à présent. Arriver en forme au camp d’entraînement, rester en bonne santé et être le meilleur joueur sur le parquet match après match pour l’un. Embrasser sa polyvalence, partager la mène sans frustration et tenter des tirs extérieurs pour l’autre. La NBA est une ligue de joueurs, aux grands joueurs de montrer l’exemple.

Ce n’est pas un trade, un dirigeant, un joueur ou un coach qui a mis les Sixers dans la position qui est la leur aujourd’hui. C’est la somme d’une faillite organisationnelle de haut en bas, sans aucune exception. Il conviendra à tous de prendre leurs responsabilités, se regarder dans la glace et faire mieux.

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