Le championnat de France est censé reprendre ce vendredi 4 septembre, mais les cas de coronavirus qui se multiplient dans les clubs risquent de chambouler ces espoirs de relance. Au point de mettre en danger l’économie des acteurs du rugby français.
Vous la sentez, vous aussi, cette grande fébrilité qui accompagne le retour du rugby pro dans ce pays ? Le Top 14 et la Pro D2 reprennent cette semaine après six mois d’absence et déjà les ennuis s’accumulent. La rencontre entre le Stade Français et Bordeaux-Bègles, qui devait ouvrir la nouvelle saison 2020-2021 sous les lumières de Jean-Bouin, a été reporté par la Ligue Nationale de Rugby après que le club parisien ait contracté de nombreux cas de coronavirus durant l’intersaison.
A tel point que l’entraîneur Gonzalo Quesada était dans l’impossibilité d’aligner le minimum de joueurs requis en première-ligne, neuf d’entre eux n’ayant repris l’entraînement que lundi après avoir subi des lésions pulmonaires et observé un repos de trois semaines… « Sauvegarder l’intégrité physique de nos joueurs doit rester une priorité et pouvoir délivrer un spectacle sportif avec des joueurs en possession de leurs moyens est quelque chose de très important pour nous », a déclaré le DG parisien, Thomas Lombard.
Déjà des frictions entre clubs
Un point de vue pas vraiment partagé par le club bordelais et son président Laurent Marti, qui voit dans la décision de la Ligue une forme de complaisance envers le Stade Français : « La raison médicale est fausse, a-t-il exprimé dans Sud Ouest. Je savais qu’à partir du moment où on évoquerait l’intégrité physique des joueurs, les parapluies allaient s’ouvrir de partout. C’est une décision qui arrange le Stade Français, parce qu’ils n’ont pas pu avoir la préparation physique et rugbystique idéale, et qui nous dérange, parce qu’on se dirige vers un problème de calendrier ! » Ambiance…
Alors, bien sûr, la raison invoquée par le Stade Français, qui n’a pas pu disputer un seul match amical cet été à cause de ce fichu virus, est loin d’être dénuée de sens. Le manque de rythme et d’entraînement des joueurs présente un vrai risque pour leur santé et une propagation du Covid-19 entre différentes équipes lors d’un match de championnat serait une catastrophe, tant sanitaire que sportive.

Tandis que certaines voix se prononçaient en faveur d’un match perdu pour toute formation ne pouvant s’aligner lors d’une rencontre à cause de cas positifs au coronavirus dans l’effectif, la LNR a décidé de conserver une politique moins radicale en optant pour le report des matches. Ce choix a le mérite de ne pas punir des clubs déjà victimes d’une situation difficilement maîtrisable, mais elle pose la question du calendrier. Parce qu’entre les phases finales de coupes d’Europe fin septembre-début octobre, les phases de poules de la prochaine saison continentale et la tournée internationale d’automne aux contours encore très flous, le calendrier ne laissera que très peu de case disponible…
La jauge des 5 000 spectateurs : une impasse économique
Mais tout l’enjeu de cette reprise se situe avant tout dans la survie des acteurs du rugby professionnel français, ni plus ni moins. Alors que 60% du budget des clubs de Top 14 et Pro D2 est basé sur les revenus des jours de match (billetterie, hospitalité, partenariats…), les stades sont restés fermés pendant 180 jours. Une éternité. Et la situation ne va pas en s’arrangeant puisque la jauge maximale de 5 000 spectateurs pour les événements sportifs ne représente pas un modèle viable pour de nombreux clubs et constitue un manque à gagner monumental.
« Sans aides financières de l’Etat, on ne tiendra pas 3 mois. »
Didier Lacroix, président du Stade Toulousain
« Pour l’ensemble des clubs professionnels, on parle d’un manque à gagner de 30 millions d’euros, évalue le président du Stade Toulousain, Didier Lacroix. Si l’on conserve cette jauge de 5 000 spectateurs et que l’on n’obtient pas d’aides financières de l’Etat, on ne tiendra pas 3 mois. » Ce constat glaçant illustre l’urgence du moment et la nécessité pour le rugby français d’être accompagné.
Ce mardi, plusieurs représentants de la LNR (dont son président Paul Goze) et des clubs du Top 14 (le président de Toulouse Didier Lacroix, le président de Pau Bernard Pontneau, le président de La Rochelle Vincent Merling et le DG du Stade Français Thomas Lombard) ont été reçus à Matignon pour échanger sur d’éventuelles solutions, comme l’exonération des charges sociales. Des décisions devraient être prises dans les prochains jours.

La solution des dérogations ?
Mais déjà des dérogations ont été accordées pour dépasser légèrement la jauge des 5 000 spectateurs dans certains stades, hors département en zone rouge à forte vulnérabilité. En Auvergne, le préfet du Puy-de-Dôme Philippe Chopin s’est montré favorable pour que Clermont accueille plus de monde à Marcel-Michelin : « Il faut que les gens aient un peu de joie, affirmait-il dans L’Equipe, lundi. Si tout est fermé, qu’est-ce qu’on relance ? On nous a dit qu’on avait un pouvoir, et qu’il fallait l’exercer. Quand je vois un bon dossier, comme celui de l’ASM, on y va. Je vois un stade sérieux, un travail sérieux, des gens sérieux. »
Comme Brive et La Rochelle, qui ont obtenu des dérogations pour accueillir respectivement Bayonne devant 9 000 personnes et Toulon devant 8 000 spectateurs lors de la 1e journée ce week-end, Clermont pourra jouer devant 10 000 supporters face à Toulouse dimanche… à condition que le match ne soit pas reporté, des cas de coronavirus ayant été décelés dans l’effectif des champions de France 2019 en début de semaine…
Ailleurs sur la planète ovale, les différentes fédérations et ligues s’organisent comme elle peuvent. Le Super Rugby Aotearoa en Nouvelle-Zélande a quasiment pu aller à son terme cet été devant des tribunes garnies, dans un pays où la crise sanitaire a été moins violente et mieux gérée qu’ailleurs. L’Angleterre a elle aussi repris sa saison 2019-2020 de Premiership il y a maintenant trois semaines, sans public et sans contamination inter-équipe pour le moment.
De ce côté de la Manche, les championnats n’ont pas encore redémarré mais déjà trois affiches ont été reportées (en plus de Stade Français-UBB, les rencontres de Pro D2, Rouen-Carcassonne et Mont-de-Marsan-Béziers ne se joueront pas cette semaine). C’est désormais une évidence, le rugby français est en sursis. Ça passe ou ça casse.