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Pourquoi Guardiola aime-t-il autant les joueurs ailiers-relayeurs ?

Pep Guardiola est à coup sûr l’entraîneur le plus marquant de sa génération. Si cela fait de nombreuses années qu’il subit les critiques de par ses échecs répétés en Ligue des Champions, il a pourtant eu une influence durable sur le football moderne, que ce soit par des révolutions qu’il a créées (les latéraux à l’intérieur du jeu) ou simplement popularisées (le faux n°9). Toujours positionnées plus ou moins en 4-3-3, ses équipes ont depuis quelques temps créé un nouveau rôle, une sorte de milieu relayeur mais en plus offensif, occupé par des joueurs avec un profil d’ailier. Mais pour quoi faire ?

De prime abord, on pourrait penser que ce poste s’est inspiré de celui des Inters, dans le fameux système en W-M des années 30 à 50. Si les équipes avant jouaient souvent en 2-3-5 avec une ligne droite devant, ce nouveau dispositif se composait plus ou moins de deux numéros 10 placés côte à côte, qui se trouvaient face aux deux milieux de terrain de l’équipe adverse. Pourtant, ce n’est pas par là que Guardiola a d’abord cherché l’inspiration. Du moins pour l’instant.

Crédit : Wikipedia

Le premier joueur guardiolen que l’on peut considérer comme ailier-relayeur n’est autre que « Don » Andrés Iniesta. En 2011, le FC Barcelone vient de remporter la Ligue des Champions, mais l’été qui suit est synonyme de grands changements. Ibrahimovic, Maxwell et Bojan quittent le club, tandis que Cesc Fabregas et Alexis Sanchez arrivent pour 55 millions d’euros. Malgré le trio du milieu de terrain Busquets-Xavi-Iniesta qui règne contre n’importe quel adversaire, le coach catalan va le briser pour la saison 2011-2012 et y intégrer le nouvel arrivé d’Arsenal, alors au sommet de son art. Pourquoi Iniesta ? Parce qu’il est alors le joueur situé le plus haut des trois. Or, il devient difficile pour lui d’organiser le jeu offensif si près des joueurs défensifs adverses, qui le pressent et l’empêchent de jouer à son aise. Comme il occupe l’axe gauche de l’entrejeu, il est placé plus haut, ailier. De là, il n’a alors plus qu’un seul adversaire direct, le latéral, qui doit défendre sur lui sur son mauvais pied. En repiquant intérieur, il joue comme un véritable meneur de jeu excentré, avec une vision plus large sur le reste du terrain, et plus de soutien avec les autres milieux de terrain en appui. Le jeu se base tellement sur lui lorsqu’il joue ailier, que toute l’équipe se déporte sur le côté gauche. Suite à une blessure de David Villa en décembre, Messi débute sa période en pointe. Petit bonus, tout ce décalage sur ce côté permet à Dani Alves d’amener le danger en déboulant dans le couloir opposé. Petite particularité, le latéral gauche d’alors est Eric Abidal, qui est plus défensif, mais cela lui permet de resserrer dans une défense à trois et d’avoir une couverture pour les nombreuses attaques barcelonaises. Pas de chance pour les Catalans, malgré le succès de cette invention, ils ne finissent que 2ème en Liga derrière un Real Madrid à 100 points, mais avec la meilleure défense, et échouent en demi-finale de Ligue des Champions contre le Chelsea de Mourinho. Cependant, individuellement, Iniesta réalise la seule saison de sa carrière avec 10 passes décisives en championnat, tandis que Messi termine Pichichi en Liga avec 50 réalisations, et meilleur buteur sur une édition de LDC avec 14 buts.

Après des années de succès et un retour à un système plus classique, Guardiola sort de sa zone de confort et part au Bayern Munich pour bouleverser le football allemand. S’il utilise toujours des relayeurs et s’amusent à utiliser leur polyvalence, les ailiers Robbery restent sur les côtés où ils sont intouchables. Pep développe cependant en Bavière un concept qui lui est désormais fondamental. Plutôt que de découper le terrain en trois parties, l’axe et les deux ailes, il le fait en cinq, créant deux « Half-spaces », des espaces-clés dans tout match de football. D’abord, ils sont positionnés d’un point de vue latéral entre les 4 défenseurs, rendant leur occupation plus difficile pour la défense. Si un défenseur central va l’occuper, il laisse alors l’avant-centre en un contre un avec l’autre axial. Le halfspace permet de nombreux avantages en tant que joueur offensif : on y a plus d’air que sur l’aile vu l’absence de ligne de touche, plus que dans l’axe car il y a moins de défenseurs, c’est donc une position opportune pour frapper, on y a le choix entre une combinaison courte dans l’axe ou écarter sur l’aile pour un centre, et en subissant une faute on peut amener le danger sur coup de pied arrêté. Thomas Muller se régale dans ce rôle où il peut se balader entre les lignes tout en restant dangereux. La dernière saison de Pep à Munich, il réalise son record sur une saison avec 32 buts en 49 matches.

Crédit : whoscored.com

Dès sa première saison à Manchester City, l’entraîneur catalan fait des half-spaces le centre de son projet. Les deux maîtres à jouer de l’équipe, Kevin De Bruyne et David Silva, vont en faire les frais. Jusqu’ici positionnés dans la ligne de trois offensifs dans un 4-2-3-1, ils vont vite se retrouver à deux dans l’axe, devant un milieu défensif qui les couvre et les fournit en ballons. Les deux joueurs sont recollés ici pour des raisons différentes. D’une part, le joueur belge est alors un diamant à polir, doté d’une bonne frappe de balle et d’une vision du jeu à parfaire. De l’autre, l’Espagnol a dépassé la trentaine et n’a plus le coup de rein suffisant pour faire des différences. Le positionné en numéro 10 est inconcevable, le poste n’existe presque plus, et face aux milieux défensifs, surtout ceux de Premier League, les duels seraient désavantageux. Le nouveau rôle de relayeur lui est donc tout destiné. Le duo doit en plus laisser les couloirs libres pour les explosions de Raheem Sterling et Leroy Sané, ailiers à la qualité technique moindre mais à la vitesse supersonique. En 2017, Bernardo Silva arrive pour faire doublon, lui l’ailier gaucher qui jouait sur le côté droit à Monaco alors.

Guardiola ne va pas simplement exploiter leur qualité technique, il va profiter de leur penchant offensif. Placés entre les lignes du milieu et de la défense adverse, ils peuvent recevoir le ballon libres d’un marquage individuel et organiser le jeu ou tirer au but, comme les Inters de l’époque du W-M. Placés en soutien direct des attaquants, ils sont ainsi 5 joueurs en confrontation directe avec la défense adverse. A une époque où les entraîneurs qui restent en un contre un derrière sont considérés comme fous, ce sous-nombre est une mort assurée. Sans surprise, sous Guardiola, les Citizens ont toujours inscrit entre 80 et 106 buts en Premier League. Kevin De Bruyne a terminé meilleur passeur de chaque championnat, sauf la saison où il était blessé.

Guardiola a connu des carences en termes de résultats ces dernières années, mais il reste un entraîneur passionné de football, toujours à la recherche de l’innovation tactique qui lui permettra de mettre à défaut l’adversaire, quitte à parfois défier la logique lorsque l’on voit ses dispositifs. S’il a souvent inspiré ses confrères et rendu courants certains rôles sur le rectangle vert, quels seront les prochains joueurs à reprendre et perpétuer ce rôle hybride d’ailier-relayeur ?

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