Le championnat français de rugby est bien de retour, mais pas comme beaucoup l’auraient voulu. Sur les deux premières, journées un grain de sel est venu enrayer la machine. Les spectateurs et les acteurs du rugby ont pu observer un grand nombre de pénalités sifflées, hachant le jeu. Une constante ressort, ces nouvelles fautes répétitives sont engendrées dans les rucks, le plus souvent. Le problème est simple en apparence mais la solution pourrait être cependant beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Sur la première journée de Top14, en moyenne 32 pénalités ont été sifflées par match. Une somme énorme quand on sait que World Rugby a décrété qu’un bon match de rugby fluide et avec du jeu tourne autour d’une petite dizaine de pénalités seulement. De plus ce nombre est le plus haut jamais relevé pour une première journée de championnat. Un constat alarmant pour une reprise du Top14 tant attendue. Surtout que la deuxième journée du championnat a appuyé les faits. Une moyenne de plus de 29 pénalités par match a été mesurée lors de la deuxième semaine du championnat. La faute est due en grande partie aux nouvelles directives qu’ont reçue les arbitres, notamment l’arbitrage lors des rucks.
Ces directives, les voici :
- Le plaqueur doit désormais libérer immédiatement le porteur du ballon et rouler en direction de la ligne de touche
- Le porteur du ballon aura désormais le droit d’effectuer un mouvement dynamique après avoir été plaqué, soit pour présenter le ballon, soit pour le relâcher le plus vite possible.
- Le porteur du ballon aura désormais le temps de se mettre au sol après un plaquage debout : le plaquage sera uniquement marqué lorsque le joueur aura posé un genou au sol. Et une fois que les défenseurs auront stoppé l’élan du porteur du ballon et l’auront bloqué, il y aura un maul, dont les entrées par les côtés seront arbitrées sévèrement.
- Le premier joueur arrivant dans le ruck devra être sur ses appuis et poser ses mains sur le ballon pour pouvoir l’arracher.
- Les autres joueurs arrivant dans le ruck ne devront pas plonger et les entrées latérales seront sanctionnées.
Ces directives sont claires et évidentes et ne semblent pas à première vue poser de problèmes. Elles restent dans le sens de marche des nouvelles règles appliquées ces dernières années : faciliter le jeu et sa continuité. Pour se faire les arbitres n’hésitent plus à sanctionner durement et sévèrement ces zones de rucks avec des coups de sifflets rapides dès lors qu’une petite infraction est constatée.
Là où le bât blesse c’est l’application du 4ème point. En effet sitôt qu’un défenseur pose ses mains sur le ballon, le joueur au sol doit lâcher immédiatement la balle et la laisser libre au gratteur. Oui, mais cette règle était déjà appliquée telle qu’elle est écrite. Or avant le gratteur devait résister à un déblayage ou deux pour espérer récupérer une pénalité. Maintenant l’application est stricte, si le plaqué ne relâche pas la balle, le coup de sifflet est radical. C’est ce fait de jeu ou d’arbitrage, qui fait augmenter le nombre de pénalités en ce début de championnat.

Le ruck hache-t-il le jeu ?
Difficile de débattre sur ce point. En effet de prime abord on pourrait croire que effectivement, le ruck est un ralentisseur du jeu courant, une phase statique où les équipes patientent pour une sortie de balle plus ou moins propre et qui donc, coupe une certaine dynamique. D’ailleurs dans un rugby de contact toujours plus physique, où beaucoup de duels et de percussions deviennent monnaie courante, le nombre de ruck a considérablement augmenté au fur et à mesure des années passant de 144 rucks par match en moyenne en 2015 à 165 rucks par match en moyenne en 2020.
Si l’on émet une hypothèse simple, en se basant sur le fait que le ballon à 7 secondes pour sortir d’un ruck, en 2015 16,8 minutes d’un match en moyenne étaient passé dans les rucks contre 19,3 en 2020. Cette observation se renforçant chaque année sur la période.

Sur les deux premières journées du Top14 édition 2020-2021, on remarque une baisse drastique du nombre de ruck, 128 pour la 1ère journée et 138 pour la 2ème journée. On pourrait se réjouir donc de cette diminution qui selon l’hypothèse précédente réduirait le temps passé dans ces phases de jeu. Mais la finalité n’est pas là. World Rugby ne cherche pas à réduire le nombre de ruck mais bien à accélérer la libération du ballon et donc la vitesse du jeu. On ne joue pas sur le nombre d’échantillons mais bien sur le facteur (ici de 7sec) qui multiplie le temps dans le jeu au sol. De manière pragmatique, oui on passe moins de temps dans les rucks mais la causalité n’est pas bonne.
Le jeu est-il donc plus fluide ?
Il ne faut pas nier cependant que cette régression du nombre de phase au sol est une conséquence de ce nouvel arbitrage, mais pas forcément une bonne conséquence. En effet comme nous le livre le collectif d’arbitre de rugby l’Esprit de la Règle (@EspritdelaRegle sur twitter) : « Ces règles empêchent les porteurs de ballon de se couper de leurs soutiens, ce qui peut freiner la prise d’initiative et dans certains cas nuire à la continuité du jeu. » Une première observation peu reluisante donc. Sans prises d’initiatives personnelles, on rend le jeu fade et prive le spectateur d’actions de classe. Effectivement un joueur qui se coupe de son soutien et un joueur qui rend le ballon facile à gratter et qui peut donc se faire pénaliser plus facilement pour ne pas avoir relâché le ballon. Les nouvelles règles diminuent le nombre de ruck en rendant le jeu frileux et augmentent le nombre de pénalités dans ces phases au sol, les joueurs étant encore habitués à l’arbitrage de l’an dernier notamment vis-à-vis du grattage. Un temps d’adaptation est indéniable. Ces nouvelles règles ne fluidifient plus le jeu donc, puisque trop de pénalités sont sifflées dans le jeu au sol.
L’Esprit de la Règle témoigne :
« Le fait d’être de plus en plus exigeant à l’égard des plaqueurs et des plaqués ne peut que conduire à une augmentation du nombre de pénalités, au moins le temps que les joueurs s’adaptent. On demande aux joueurs des attitudes parfaites, que ce soit au niveau des postures (rester debout et supporter le poids de leur corps) ou au niveau des obligations (sortir sur les côtés quand on est plaqueur et lâcher le ballon immédiatement quand on est plaqué). Fatalement, davantage de situations deviennent sanctionnables. L’évolution de l’arbitrage des contests est un bon exemple : maintenant, on n’a plus à évaluer la qualité du déblayage, on doit récompenser immédiatement le gratteur. Ça mène à un certain nombre de pénalités qui n’auraient jamais été sifflées l’an dernier. »
@EspritdelaRegle

Statistiquement ces phénomènes peuvent-être visibles grâce aux nombres de rucks perdus par les équipes. Elles ont en effet fait un bond sur les deux premières journées de notre championnat. En moyenne 7,16 rucks ont été perdus par match sur la 1ère journée et 9,42 (!) sur la 2ème. Bien loin du 5,38 de l’an dernier.
Comment régler le problème ?
La solution doit venir des joueurs. Les arbitres continueront d’arbitrer les rucks comme les nouvelles directives le conseillent. Reste à savoir combien de temps va-t-il être nécessaire pour que les joueurs s’habituent. Car cet arbitrage change radicalement le rugby. Comme explicité auparavant le porteur du ballon n’a plus le droit de se couper de ses soutiens s’il veut que son équipe conserve la balle après un placage.
Les joueurs doivent donc (re)travailler leurs attitudes. Le porteur du ballon si il n’a pas de soutien doit accepter de rendre le ballon au gratteur si celui-ci est dans de bonnes dispositions. Le soutien lui doit être toujours plus proche et plus rapide, coller au ballon, pour une conservation et libération rapide. Et bien sur le plaqueur aussi doit faire plus d’efforts pour faciliter le travail du plaqué, du gratteur et des soutiens offensifs et défensifs. Une fois que tout cela sera assimilé par les joueurs alors le jeu sera effectivement moins pénalisé, avec des sorties propres et rapides et donc beaucoup plus fluide.

Aujourd’hui on demande beaucoup aux acteurs du rugby qui sont sur le terrain, avec chaque année de nouvelles façons d’arbitrer, souvent avec de bonnes intentions mais souvent aussi sans continuité d’une année sur l’autre, qui frustrent les observateurs du rugby, les joueurs, mais aussi les arbitres. L’Esprit de la Règle appuie ce propos : « En ce qui concerne le phénomène des changements de règle, j’en ai marre. On n’arrive plus à jouer deux ans de suite au même sport : on nous pond des modifications majeures à chaque intersaison, parfois avec une communication calamiteuse, et on rétropédale quelques temps après parce qu’on se rend compte que les modifications n’apportent rien. Ça devient l’enfer pour tout le monde. Il ne faut pas s’étonner que les gens se plaignent de ne pas comprendre. » Les équipes qui arriveront donc à dompter ces nouvelles règles en premier prendront un avantage décisif en ce début de championnat, que ce soit pour la lutte au maintien ou pour les places qualificatives en phase finales.