Dans son maillot taille M beaucoup trop rempli par ses muscles “travaillés au poids de corps”, Adama Traoré a disputé ses premières minutes sous le maillot de l’Espagne. Alors qu’il a longtemps été convoité par le Mali, le joueur des Wolves a fait son choix. Souhaitons-lui un meilleur destin que celui de Munir El-Haddadi, qui a récemment été convoqué par le Maroc. Problème : l’ailier de Séville avait disputé 13 minutes d’un match avec la sélection Espagnole, en 2014.
Ce changement de nationalité sportive mets la lumière sur un phénomène constant depuis des dizaines d’années. En effet, la question de la binationalité est au coeur des débats. Que ce soit quand des pays “offrent” la binationalité (cf. la Chine) ou lorsque des joueurs laissent planer le doute sur leur choix, les discussions restent ouvertes. Et ces discussions ne cesseront pas tout de suite, la FIFA ayant décidé d’alléger sa règlementation sur les binationaux.
La réforme Munir El Haddadi
Sous la pression de la fédération marocaine (et pas que), la FIFA a pris la décision de changer ses règles. Désormais, si un joueur a connu une sélection sous les critères ci-dessous, il peut désormais décider de changer de cap et de sélection. Pour Munir, qui avait joué à 19 ans, 1 seul match, en 2014, il remplit toutes les cases.
- Avoir débuté en équipe nationale A avant l’âge de 21 ans ;
- Avoir joué 3 matchs au maximum avec l’équipe nationale A concernée ;
- Ne pas avoir pris part à la phase finale d’un grand tournoi (Coupe du monde, Euro, etc.) avec l’équipe nationale A concernée ;
- Ne plus avoir été appelé en sélection depuis au moins 3 ans.
Cette réforme va permettre de lever certaines pratiques douteuses de fédérations puissantes tentant d’entériner la sélection de certains joueurs uniquement chez eux. L’Espagne en est le premier exemple : entre Munir, Ansu Fati, Jeffren il y a quelques années, la fédération Espagnole cherche à s’assurer que ses joueurs jouent pour eux. L’exemple d’Ansu Fati est aussi l’exemple de la puissance du football. Alors que le jeune joueur perce au Barca, la fédération espagnole mets la pression sur le gouvernement afin que le joueur d’origine Bissaoguinéenne puisse obtenir sa nationalité. Preuve que la volonté de s’attacher les services du joueur ont été poussées.
Le choix du cœur ?
Se pose alors la question du choix du joueur. Comment juger ce choix ? Doit-il être celui du coeur, ou celui de la raison, celui qui permet une plus grande exposition internationale ? Les motivations personnelles d’un joueur peuvent être diverses : logique sportive, choix du pays de coeur, manque d’intérêt de la part d’un pays en particulier, ou volonté de découvrir son pays d’origine via la sélection, comme Cédric Bakambu, qui ne s’était jamais rendu en République Démocratique du Congo avant d’y être sélectionné. Grand débat que celui-ci, où les réponses sont complexes et multiples. Quoi qu’il soit, le miminum requis est celui d’un discours unique, et non d’un opportunisme dissimulé sous des faux airs.
Comment, dans ce cas, justifier un changement de sélection ? Puisque Munir n’est pas un cas isolé, et les exemples de Kondogbia, Anwar el Ghazi, Zakkaria Bakkali existent aussi. Sélectionnés dans leurs pays de formation (France, Pays-Bas et Belgique), ils ont finalement décidé de changer de sélection. Peut-on jeter la pierre à des joueurs qui, sportivement, ne pourront plus accéder à leur sélection “première”, et décident de changer ? La question reste ouverte et touche surtout à la sensibilité de tout un chacun. Accepter qu’un joueur ne se reconnaisse dans une certaine sélection que si l’autre ne s’intéresse pas à lui, puisqu’elle lui offre un degré de compétition internationale. Ou refuser que ces “transferts” de sélection existent, adopter une vision romantique de l’amour que l’on porte à son pays.
Chine, Qatar : comment limiter les abus ?
Depuis quelques mois, la Chine a adopté une nouvelle stratégie concernant son équipe nationale. En acceptant que des joueurs de sa diaspora jouent pour l’équipe nationale d’abord, mais aussi en naturalisant certains joueurs étrangers évoluant en SPL. Toutefois, la Chine impose que ces joueurs soient désormais chinois, ne reconnaissant pas la binationalité. Alors, comment jauger cette question ? Evoluant depuis plusieurs années dans le championnat, les étrangers sont à même de remplir les critères de sélection et sont pleinement intégrés au pays. De même que les jeunes joueurs formés à l’étranger, d’origines chinoises, qui peuvent prétendre, naturellement, à une naturalisation. Est-ce un réel problème, encore aujourd’hui, alors que l’on sait que l’Algérie prospecte en Europe afin de négocier la sélection de certains joueurs chez les Fennecs ?
Même si cela s’est calmé, le Qatar a aussi mené une politique agressive de naturalisation, en allant chercher très jeunes des joueurs sur le continent africain, afin qu’ils grandissent à Doha et choisissent de représenter le Qatar. Sans vouloir encadrer de manière injuste et bête ces naturalisations, le mot d’ordre reste l’éthique. Qu’un joueur soit naturalisé n’est en rien dérangeant, et chaque année, des millions de personnes demandent une nouvelle nationalité dans un nouveau pays. Mais la question de l’éthique reste principale : ne pas s’attaquer à des joueurs mineurs, ne pas tomber dans des jeux d’agents ou d’argent, et encore une fois, pour les joueurs, ne pas faire preuve d’opportunisme.
Toutes ces problématiques nous questionnent aujourd’hui sur le rapport que l’on a à la sélection. Peut-on reprocher à certaines sélections de pouvoir progresser avec des binationaux ? Peut-on reprocher au Mali de faire la cour à Adama Traoré, Abdoulaye Doucouré, Sikou Niakhaté, même si cela reste vain pour le moment ? Ces questionnements complexes ramènent aux sujets de l’identification nationale, du sentiment patriotiste, et pour les fédérations, elles sont bien plus que ça. Un objectif sportif, un objectif de progression, quitte à tordre le cou au préconçu du “choix du cœur.”