La team Ineos-Grenadiers vit une saison particulière. On l’attendait beaucoup. Forcément. Un peu par habitude. Également parce qu’elle regorge de talent dans ses rangs. Elle voulait régner sur cette saison condensée, frappée du sceau COVID. En juin, au moment d’enfin se projeter vers le calendrier remanié, on parlait beaucoup du trio infernal Bernal-Froome-Thomas. Pour s’attaquer au Tour de France, leur propriété exclusive depuis 2015, et 7 victoires sur 8 éditions depuis 2012. On imaginait les trois s’aligner sur le Tour. On ne parlait pas vraiment de Carapaz, un peu dans l’ombre. Quelques semaines plus tard, il est peut-être celui qui va sauver les meubles de la maison Ineos.
DÉBUT DE SAISON À RÉACTION
Dans le chemin qui menait au Tour de France, plusieurs courses étaient là pour étalonner les forces en présence. On observait tout cela à travers le prisme inévitable Bernal/Thomas/Froome, 6 Grandes Boucles à eux trois. Des doutes existaient bien-sûr, surtout concernant le quadruple vainqueur du Tour, Chris Froome, qui revenait d’une grave blessure. On entendait jauger les niveaux de forme, pour appréhender une montée en puissance supposée les mener tous trois jusqu’à Nice, grand départ du Tour de France 2020.
Pourtant après la Route d’Occitanie (01 au 04 Août), le Tour de l’Ain (07 au 09 Août) et le Dauphiné (12 au 16 Août), un constat s’impose : Geraint Thomas et Chris Froome ne sont pas dans les temps. Régulièrement lâchés. Et tôt dans la course. Pour Bernal, ça va. Il remporte la première (devant son coéquipier franco-russe Pavel Sivakov), est certes battu par Roglic sur le Tour de l’Ain, mais finit second à 18 secondes seulement. Sur le criterium du Dauphiné, alors qu’il fait une course au contact des meilleurs, il chute – comme Kruiswijk, Roglic ou Buchmann – et doit se retirer de la course à une étape du terme, se ressentant d’une douleur au dos.
Face à ces enseignements, Brailsford doit rebattre ses cartes. Il laisse le Gallois et le Kényan blanc à la maison. Emporte Sivakov, et surtout Richard Carapaz. Dans l’idée, pour accompagner le prodige colombien vers un nouveau sacre. On le sait maintenant, cela ne se passera pas comme prévu.
UN TOUR DE FRANCE EN DEUX TEMPS
Au départ de Nice, Bernal arrive logiquement dans un costume de leader. Débarrassé des présences encombrantes de Froome et Thomas, qui peuvent parfois nuire à la clarté de la hiérarchie et à la cohésion interne, il est même leader unique. Cependant, s’il semble d’abord dans le coup, aux prises avec les meilleurs, on réalise rapidement qu’il est un peu en dedans. Tout comme son équipe, inférieure à la Jumbo. Finalement, Bernal cédera de manière spectaculaire dans la montée vers le Grand Colombier. Et abandonnera deux jours plus tard. Avec la Vuelta dans le collimateur pour nouvel objectif.
Cela change radicalement la donne pour l’équipe anglaise qui doit réagir et repositionner ses pions. Carapaz, petit grimpeur équatorien, va alors voler une première fois au secours de son équipe. D’équipier de luxe, il se mue en pièce maîtresse pour viser une victoire d’étape. Libéré de ses obligations, il a désormais carte blanche et va se montrer omniprésent. L’étape suivant la débâcle de Bernal, vers Villars-de-Lans, il est déjà devant. Dans la bonne échappée, avec entre autres Alpahilippe, Barguil ou Benoot, il est très fort et les fait craquer pour se présenter dans le final avec le seul Kämna. Hélas pour lui, ce dernier s’emparera de l’étape. Peu importe, il repart le lendemain dans l’étape reine vers le col de la Loze. Auteur d’un grand numéro, il est le dernier survivant de l’échappée, et se fait reprendre à seulement 3km du sommet. Encore raté. Qu’à cela ne tienne, Carapaz repart à nouveau le jour suivant dans l’étape Méribel-La Roche sur Foron. Encore très fort, et profitant de la chute de Hirschi, ils terminent à deux avec son coéquipier Michal Kwiatkowski, auquel il laissera la victoire dans un geste altruiste et noble. Chou blanc ? Pas vraiment, Richard Carapaz se pare des pois. Avec l’espoir de les ramener à Paris. Il tombera sur un os slovène lors du dernier chrono. Un Pogacar supersonique qui dompte la Planche des Belles Filles et rafle tout, y compris le classement de la montagne.
Quoi qu’il en soit, par ses coups d’éclat, sa présence à l’avant, ses numéros en montagne et sa contribution à la victoire de Kwiatko, Carapaz aura permis de sauver un peu la partie pour Ineos.

VUELTA : LA DERNIÈRE CHANCE
MALCHANCEUX SUR LE GIRO …
Sur le Tour, Ineos-Grenadiers n’a donc malgré tout pas été à la hauteur de son standing. Un Tour passé en retrait. Sans peser. Presque dans l’anonymat. On n’est plus habitué. Du coup, on lorgne d’abord sur le Giro pour garnir la galerie des trophées. Sans compter que Geraint Thomas a semble-t-il enfin trouvé la bonne carburation. Et son rythme de croisière. En vue lors du chrono du Championnat du monde (4ème), il lance son Giro de la meilleure des manières en terminant 4ème du prologue, reléguant l’essentiel de la concurrence au-delà de la minute. D’aucuns se demandent même à ce moment-là qui pourrait battre « G ». Et si les jeux ne sont pas déjà faits après seulement 15km de course. C’était bien sûr sans compter sur les facéties du destin et les petites vicissitudes qui accompagnent les pelotons cyclistes. Lors de la troisième étape, étape de montagne vers l’Etna, avant même le départ officiel, dans ce que l’on appelle le « départ fictif », G est tombe. A l’arrivée, il pointe à plus de 12 minutes de Caicedo, et plus de 11 minutes de ceux qui étaient jusque là ses adversaires. Il abandonne. Quand ça ne veut pas…

… LA VUELTA COMME DERNIÈRE CHANCE !
Comme on a du mal à voir en Castroviejo le futur vainqueur du Giro – même s’il ne faut jurer de rien – la Vuelta apparaît comme la dernière fenêtre de tir pour empocher un grand Tour pour la team de Brailsford. Hors, si Bernal a d’abord envisagé de s’y présenter, les dernières rumeurs iraient dans le sens d’un désistement. Saison terminée. Et qui appelle-t-on à la rescousse ? Notre ami Carapaz, bien-sûr. Et pas en équipier cette fois, mais en tête de gondole. Officiellement dans une configuration à deux têtes avec Froome… mais quand on voit le niveau de ce dernier – à nouveau lâché à 80km de l’arrivée à Liège – disons d’ores et déjà qu’il sera le leader.
Après une saison perturbée, pas à la hauteur de leurs attentes, les Anglais placeront donc tous leurs espoirs dans les coups de pédales du petit coureur originaire de Tulcán. Une chance de briller. Une occasion rêvée pour l’Équatorien. Il pourrait en effet profiter de ces rebondissements pour accrocher un second grand tour à son palmarès, après le Giro en 2019. Reste bien sûr à transformer l’essai, ce qui est loin d’être fait. Toutefois Carapaz, pourtant quatrième dans la hiérarchie d’équipe il y a encore quelques semaines, pourrait bien être celui qui sauve les joyaux de la couronne britannique. Et redonne le sourire à une équipe qui en a bien besoin.
Coureur confirmé et référencé, s’il n’a probablement pas la carrure pour inscrire son nom à la prestigieuse liste des vainqueurs du Tour, Carapaz peut toutefois briller sur de nombreux types de terrains. Il devient ainsi un client sérieux dès qu’on parle Giro ou Vuelta. Il savait aussi en signant dans sa nouvelle équipe que la concurrence y était une des plus élevées du plateau. Qu’il devrait savoir se muer en équipier, et souvent oublier ses ambitions individuelles. C’est précisément le lot de ces coureurs, dans un tel contexte, que d’apprendre à être opportuniste, à mettre à profit la moindre ouverture pour gagner. Cela tombe bien, une belle opportunité se présente justement à lui. Tout comme à son équipe ! « Il n’y a plus qu’à » … En espérant que ni la météo, ni le contexte sanitaire ne viennent entraver le déroulement de cette Vuelta 2020. Affaire à suivre.