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[DOSSIER] MLS, la plus européenne des ligues fermées d’outre-Atlantique

David Beckham, Thierry Henry, Zlatan Ibrahimovic… Tous ont joué en Major League Soccer, mais jamais lors de leurs plus belles années. Il n’y a pas si longtemps, la MLS était vue comme un championnat de pré-retraite pour les joueurs européens. Mais depuis quelques années, les dirigeants de cette jeune ligue fermée sont bien décidés à en faire une entreprise rayonnante et une vitrine du soccer, un sport qui a mis du temps à s’implanter au pays du « vrai » football et du basket. Malgré un modèle économique opposé à ce que l’on connaît sur le Vieux Continent, la MLS croit en son développement.

Les origines du soccer américain

Aux États-Unis, le soccer est d’abord considéré comme réservé aux femmes. Il s’est développé fortement avec les équipes féminines grâce au « Title IX » de 1972, un amendement qui interdit toute forme de discrimination sur la base du sexe dans les programmes d’éducation soutenus par l’État. Cet amendement, promu par la représentante de l’État d’Hawaï Patsy Mink, a permis de développer des compétitions sportives féminines dans les universités américaines. Mais le soccer n’a pu se développer que dans les années 1980 avec la création de la NCAA en 1982 et celle de l’équipe féminine des États-Unis en 1985. Cette équipe a remporté 4 coupes du monde de football en 1991, 1999, 2015 et 2019. Très compétitive à l’international, elle participe au développement du soccer sur ses terres. La plus grosse affluence jamais enregistrée pour le sport féminin aux États-Unis l’a été lors de la coupe du monde de 1999: le Rose Bowl Stadium de 90 000 places était plein. Avec 1,7 millions de licenciées, le soccer est le sport féminin le plus représenté au États-Unis.

Il faudra un second déclic pour amorcer le développement du soccer aux USA avec la coupe du monde de 1996. La FIFA ne choisit pas ce pays hôte par hasard. Économiquement, les États-Unis sont un immense marché, et à part le soccer féminin (qui ne représente rien économiquement), le sport n’est pas ou peu développé. La FIFA voit une opportunité de conquérir un nouveau marché. Elle impose comme condition à l’organisation de cette coupe du monde qu’un championnat professionnel de soccer voit le jour ensuite. Avec deux ans de retard, la Major League Soccer, créée en 1993, lance en 1996 sa première saison.

Un sport européen, une ligue américaine

Les règles salariales sont très spécifiques pour le championnat de MLS : ce ne sont pas les franchises qui sont propriétaires des contrats de joueurs mais la ligue. La ligue impose un plafond salarial, la salary cap, à chaque franchise. Cette masse salariale imposée est très faible comparée aux masses salariales européennes. En comparaison, la Ligue 1, considérée comme le championnat le plus faible du top 5 européen, possède une masse salariale moyenne de 68,4 millions d’euros, soit environ 16,5 fois plus que la MLS. Toutefois, certains contrats présentent des spécificités permettant de contourner la règle du salary cap.

Accueillir David Beckham a entraîné un coup de projecteur immense sur la MLS (Image : Hesspress français)

Depuis 2008, chaque franchise peut avoir jusqu’à 8 joueurs internationaux dans son équipe. Le reste des joueurs doivent être américains, canadiens, ou formés par la franchise (homegrown player). Cette exception incite à investir dans la formation. Il existe aussi un partenariat entre la MLS et Adidas permettant à des jeunes joueurs, encore universitaires ou faisant partie de l’équipe nationale des États-Unis de pouvoir évoluer en milieu professionnel. Le salaire de ces joueurs n’est pas imputé au salary cap. Enfin, dernière spécificité américaine, les designated players :ce contrat permet d’attirer des superstars du championnat européen en MLS. Il a été créé en 2007 pour faire signer David Beckham au Los Angeles Galaxy. Le nombre de designated player est limité à trois par équipe et 530 000 dollars par joueur seulement seront imputés à la masse salariale du salary cap. Ce type de contrat existe aussi pour les jeunes joueurs. Peu importe le salaire du joueur, seuls 150 000 dollars seront comptabilisés dans le calcul du salary cap pour un joueur de 20 ans ou moins (200 000 dollars pour un joueur de 21 à 23 ans).

Une économie instable mais attractive…

La MLS n’est pas rentable mais cela n’effraie pas les investisseurs qui au contraire sont de plus en plus attirés par ce championnat. Toute la stratégie économique, marketing, sportive de la MLS est gérée par le commissaire. Depuis 1999 en MLS, c’est Don Garber qui est en charge de cette mission. Antoine Latran explique que « l’arrivée de Don Garber comme Commissaire a vraiment changé la donne, il a réussi à trouver de nouveaux investisseurs. Aux débuts des années 2000, trois gros groupes avaient la majorité des franchises. La ligue était incapable de trouver des repreneurs. Il s’est concentré sur des marchés d’expansion plus atteignables, plutôt que de viser des grosses villes difficilement atteignables en terme marketing. Il est allé implanter la ligue à Salt Lake City, Portland, Montréal, des villes où l’engouement des fans a vite pris. ». Premier choix fort du commissaire de la MLS : l’expansion rapide de la ligue.

Cette expansion a deux objectifs, conquérir de nouveaux marchés et injecter des revenus au sein de la ligue. Avec 26 franchises au lancement de la saison 2020, la MLS se rapproche du nombre moyen de franchises des ligues majeures (une trentaine de franchises). En 1996, seulement 10 franchises étaient installées sur le continent américain. Chaque phase d’expansion est annoncée à l’avance par le commissaire de la ligue, cela permet aux investisseurs de présenter des dossiers de franchises potentielles solides, étudiés par le commissaire de la ligue qui choisit les franchises qui intégreront la ligue. Don Garber a pour projet d’atteindre 30 franchises en MLS avant de stabiliser le championnat.

Don Garber, véritable homme fort de la MLS (Image : Philadelphia Inquirer)

Le cahier des charges pour un dossier d’expansion par Don Garber comprend les plans définitifs du stade, l’engagement d’entreprises privées, les détails économiques du financement, les plans stratégiques de développement des supporters, la composition du groupe d’investisseurs, les engagements en matière de formation des joueurs et des détails sur les programmes communautaires. David Beckham tentait depuis 2014 de fonder sa franchise à Miami mais ce n’est qu’en 2020 avec le projet de création d’un nouveau stade dédié à la pratique du soccer que la MLS a approuvé son projet lors d’une énième phase d’expansion. « Les villes sans franchise MLS ne regardent pas la ligue » explique Antoine Latran. Il poursuit avec le second avantage de l’expansion des franchises MLS : « Elle fait venir des groupes d’investisseurs ambitieux (Atlanta ou le LAFC récemment dépensent sans compter) et des gros noms (Matthew McConaughey est notamment investisseur à Austin) ».

grâce à des franchises en développement

Financièrement, le développement économique de la MLS est visible en premier par la valorisation des franchises. De nombreuses franchises dépassent la barre des 200 millions de dollars de valorisation, trois d’entre elles dépassent même la barre des 300 millions. Ce montant est expliqué par les infrastructures ultra-modernes, notamment les nouveaux stades dit « soccer-specific », des enceintes dédiées uniquement à la pratique du soccer. Lors de la création de la MLS, de nombreuses franchises utilisaient les infrastructures de la NFL pour jouer. Au fil des années, de plus en plus de franchises ont construit leur propre stade, des enceintes ultra-modernes, à la pointe de la technologie pour faire vivre la meilleure expérience de match possible à ses supporters. Même si l’affluence moyenne en MLS est sensiblement la même que celle de Ligue 1, le montant des droits TV étant beaucoup plus faible en MLS, la billetterie est essentielle dans les revenus de la MLS. En 2015, les revenus générés par la billetterie et le sponsoring représentaient 50% du chiffre d’affaires des franchises.

La valorisation des franchises est aussi un indicateur du développement rapide de la MLS. En 2008, la valorisation moyenne des franchises était de 37 millions de dollars, en 2018, elle était de 240 millions de dollars, soit une augmentation de 649% en dix ans. Durant cette même période, les revenus globaux des franchises sont passés de 166 millions de dollars à 763 millions de dollars, soit une augmentation de 460%. Avec cette forte augmentation, les franchises de MLS affichent un chiffre d’affaires proche des équipes moyennes de Ligue 1. Ce qui est encore plus intéressant, c’est que la plupart des franchises ont été créées il y a moins de dix ans, donc les nouveaux entrants dans la ligue poussent les franchises vers un développement économique rapide.

Les deux armes de Don Garber : revaloriser les droits TV et former des jeunes joueurs

Avec un contrat de 90 millions de dollars par an, sur la période 2015-2022, soit un contrat de 720 millions de dollars, les droits TV ne représentaient que 15% des revenus de la MLS en 2015. Ce montant reste infime comparé aux championnats européens et aux ligues majeures. La Premier League touche 2,7 milliards d’euros par saison et la Ligue 1 touche 1,153 milliard d’euros par saison. Aux Etats-Unis, la NBA empoche 2,7 milliards de dollars par saison et la NFL 7 milliards de dollars. Dans le cas de la MLS, une revalorisation des droits TV est primordiale. Aussi bien pour stabiliser économiquement les revenus de la ligue mais aussi pour augmenter le salary cap. Ce qui entraînera une hausse des salaires et permettra de proposer des contrats plus attractifs aux joueurs. Les négociations sont en cours entre la ligue et les diffuseurs des droits TV (ESPN, Fox Sports et Univision) pour une revalorisation record.

Le second point, en cours de développement du coté de Don Garber, est la formation de jeunes joueurs. « La MLS s’est tournée, et se tourne encore, vers la recrue de pépites et jeunes joueurs sud-américains afin de les développer et de les vendre en Europe, nous dit Arnaud, de « MLS en français ». Ça permet de se développer sportivement par l’intermédiaire des jeunes mais aussi économiquement. Maintenant la formation est mise en avant et se développe beaucoup dans le but de revendre au prix fort en Europe. C’est un peu du trading ». Antoine Latran va plus loin dans ses propos : « Plus récemment, la MLS a commencé à vouloir se donner une image de « selling league » dixit Don Garber, avec les ventes récentes de Davies et Almiron en Europe. Elle a compris qu’il valait mieux exporter ses jeunes pour exister médiatiquement, pour faire des rentrées d’argent et pour permettre à certains clubs d’exister ».

L’exemple d’Alphonso Davies est caractéristique de cette nouvelle stratégie mise en place. Le jeune joueur de nationalité libérienne et canadienne a fait toutes ses classes sportives au Canada, il a joué 81 matchs pour la franchise de MLS des Vancouver Whitecaps, avant d’être transféré au Bayern de Munich pour un montant de 10 millions d’euros et 8,5 millions d’euros en bonus. Ce montant entre directement dans les caisses de la MLS, c’est une formidable plus-value car le joueur issu de la formation canadienne n’a quasiment rien coûté à la ligue. Pour son développement sportif et son attractivité, la MLS peut aussi compter sur son championnat secondaire l’United Soccer League. Cette antichambre de la MLS permet de voir en action des potentielles franchises qui pourront intégrer la ligue mère. Des clubs comme les Seattle Sounders, les Portland Timbers ou l’Impact de Montréal sont passés par l’USL Pro avant d’intégrer la MLS. Cela limite les risques pour Don Garber lors du choix de nouvelles franchises.

Le prodige Alphonso Davies, sous les couleurs des Whitecaps de Vancouver (Image : The New York Times)

Une ligue fermée mais mondialisée

Autre atout que développe la ligue : la relation sportive étroite qu’elle entretient avec l’Allemagne, depuis la fin de la guerre froide. De nombreux facteurs font que les joueurs américains préfèrent jouer dans les différentes divisions allemandes plutôt que dans les autres championnats du monde. Jermaine Jones est le parfait exemple. Son père était un soldat américain et sa mère une allemande. Il a passé une grande partie de sa carrière a joué dans les championnats allemands, il a même été sélectionné dans l’équipe nationale allemande pour des matchs amicaux avant de choisir la sélection américaine avec laquelle il jouera 69 fois. Aujourd’hui la tendance s’inverse, ce sont les jeunes joueurs nés sur le sol américain qui s’exportent dans les championnats allemands. Le championnat allemand est réputé pour donner sa chance aux jeunes joueurs grâce à ses centres de formation parmi les plus performants au monde. L’un des derniers exemples en date est Christian Pulisic. Cette collaboration unique entre les deux pays n’en est qu’à ses débuts et pourtant nous pouvons déjà voir des résultats très prometteurs.

La MLS se distingue également par sa flexibilité. Une fois la phase d’expansion terminée par la MLS, la ligue n’aura plus de revenu lié au droit d’entrée dans la ligue. Cependant si les franchises ne parviennent pas à être rentables après cette phase, il reste une autre option à la ligue : la relocalisation. Dans les ligues majeures américaines, les relocalisations sont courantes. Lorsque qu’une ville ou un marché ne montre des bons signes (pas d’achat de billets, de merchandising, peu d’audience télé), elle perd alors sa franchise. Une relocalisation de franchise permet de rester compétitif et de s’adapter à des meilleurs marchés. En MLS, il n’y a eu qu’un seul cas de relocalisation, en 2005, les San José Earthquakes n’avaient toujours pas de stade dédié au soccer et ont été déplacé à Houston.

En rouge, la conférence Ouest. En bleu, la conférence Est

Enfin le dernier atout pour la MLS est l’organisation de la Coupe du monde 2026 sur le continent nord-américain. Alors que c’est la coupe du monde 1994 aux États-Unis qui a lancé la MLS, Don Garber compte sur cet événement pour faire passer un cap au championnat. Cet événement sera un gain de visibilité énorme pour la MLS. Comme le dit Hady Raphael « Cette édition du plus grand évènement planétaire est, jusqu’à maintenant, celle qui a attiré le plus de spectateurs dans l’histoire ». Cette compétition sera organisée en collaboration entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, ce qui signifie que ces trois pays participeront à la compétition. « Le Mexique a toujours été une bonne sélection à l’échelle mondiale et le sera encore en 2026, poursuit Hady Raphael, l’émergence récente et future des pépites étatsuniennes (Pulisic, McKennie, Dest, Adams etc.) et canadiennes (Davies, David, Millar, Larin etc.) démontrent l’énorme talent encore inexploité de ces deux pays ».

En 2017, le soccer devient le quatrième sport le plus populaire du pays. Le football américain reste de très loin le sport le plus populaire avec 37% des votes, le soccer est à 7%. Il n’est qu’à 2 points du baseball (9%) et peut donc rapidement prétendre au podium des sports favoris des Américains. En regardant en détail les chiffres, on voit que le soccer est le deuxième sport le plus apprécié par les 18-34 ans avec 11% d’américains (à égalité avec le basket-ball). Les efforts de la MLS commencent à payer et l’engouement du soccer américain va grandir avec le renouvellement générationnel du pays. Suffisant pour se hisser au niveau des européens ?

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