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Tao Geoghegan Hart, l’héritier du royaume britannique

Ce dimanche 25 octobre s’est conclue une édition particulière du Tour d’Italie. Entre surprises et prise de pouvoir de la jeunesse, le Giro a vu l’avènement d’un prodige du cyclisme mondial en la personne de Tao Geoghegan Hart. A l’issue d’un contre-la-montre de 15 kilomètres qui l’a vu affronter le jeune Australien Jai Hindley, il est devenu le second Britannique à remporter le Giro, deux ans après Chris Froome.

Bernal ? Carapaz ? Froome ? Thomas ? Que nenni ! L’homme phare de cette saison du côté de l’armada Ineos, c’est l’inattendue Tao Geoghegan Hart ! On le savait, le jeune Tao a des qualités. Certes. Mais il était peu prévisible de l’attendre si tôt au sommet d’une course de trois semaines. Durant sa jeune carrière, il n’avait terminé que deux Vuelta, ne finissant pas mieux qu’une vingtième place sur l’édition 2019.

L’une des pépites d’Ineos Grenadiers

Tao Geoghegan Hart est l’un des nombreux jeunes talents sur lequel mise Ineos pour son futur au même titre que des coureurs comme Egan Bernal, Pavel Sivokov ou Ivan Sosa. Après avoir fait ses classes en amateur du côté des équipes américaines Bissell Development et Axeon-Hagens Berman, il a rejoint l’équipe professionnelle Sky – devenu par la suite Ineos – à toute juste 22 ans. Depuis des années et comme de nombreux coureurs de cette armada, il progresse dans l’ombre des superstars Froome, Thomas, Bernal, têtes d’affiches du cyclisme mondial. Cette année, sa plus grande performance était une troisième place du Tour de la Communauté valencienne derrière Jack Haig et Tadej Pogacar. A la reprise de la saison, on l’a aussi vu aider Egan Bernal lors de sa victoire sur la Route d’Occitanie.

Tao Geoghegan Hart au service de Geraint Thomas sous les couleurs de la Team Sky. (Photo : TDWSport.com)

Comme l’an dernier, Tao a axé sa saison sur le Giro. Cette fois-ci, il était prévu qu’il ait un rôle d’équipier de luxe auprès de Richard Carapaz. A la suite d’un chamboulement des programmes de course du côté de la formation Ineos, c’est finalement Geraint Thomas que le natif de Londres devait servir. 

L’abandon de Thomas : une opportunité de rêve pour le jeune Tao

Être coureur chez la formation Ineos Grenadiers, c’est savoir saisir les occasions qui se présentent pour jouer sa carte personnelle. Et c’est ce que Tao Geoghegan Hart a particulièrement bien fait. Dans cette équipe, les saisons sont toujours axées sur la quête de grands tours, mettant souvent un peu de côté les différentes classiques, même si Kwiatkowski reste une belle carte pour ce type de course. Pour l’édition 2020, les regards étaient tournés vers le trio Bernal – Froome – Thomas. On peut rajouter Richard Carapaz qui devait initialement défendre son titre sur ce Giro. Au final, c’est Thomas qui a été mis sur orbite pour parer de rose la tunique d’Ineos Grenadiers. Après une belle préparation, il a dû poser pied à terre après une chute – à cause d’un maudit bidon – lors de l’étape de l’Etna. Comme trois ans auparavant, le Gallois est malchanceux sur les routes italiennes et la malédiction de la formation britannique semble se confirmer sur cette course. Alors que le maillot rose Ganna reste au côté de Thomas lors de son coup dur du côté de l’Etna, Ineos Grenadiers décide alors de garder deux coureurs à l’avant : Jonathan Castroviejo.. Et Tao Geoghegan Hart.

Des débuts discrets

C’est donc au début de l’ascension de l’Etna, théâtre de la troisième étape du Tour d’Italie 2020, que les ambitions personnelles de Tao Geoghegan Hart sont apparues. Pourtant, cette arrivée au sommet n’a pas du tout été une réussite pour le jeune Britannique. Au sommet de l’Etna, il finit à une anonyme vingt-quatrième place, bien loin des principaux favoris avec qui son coéquipier Castroviejo a terminé, anticipant la bataille entre les cadors. Il faut attendre la veille de la première journée de repos pour voir le Britannique à l’action. Dans l’ascension finale, Geoghegan Hart attaque et finit devant tous les autres prétendants à la victoire finale. Il reste néanmoins assez loin, 17e du général à 2min41 du leader Joao Almeida.

Lors du contre-la-montre individuel de la quatorzième étape, il réalise une belle performance, finissant à la 12e place. Cette prestation lui permet de se rapprocher du top 10, pointant à 11 secondes du dixième, un certain Jai Hindley.

Victoire d’étape à Piancavallo

C’est la veille du deuxième jour de repos que le Britannique pointe son museau dans la course au maillot rose. Lors d’une quinzième étape marquée par la confirmation des limites du maillot rose Joao Almeida, Geoghegan Hart est le seul coureur à suivre le train imposé par la puissance collective de la formation Sunweb. Dans cette étape qui a vu la défaillance de nombreux leaders (Majka, Bilbao, Fuglsang, Nibali, etc.), Tao Geoghegan Hart s’impose pour la première fois sur une étape de grand tour devant les deux Sunweb Hinley et Kelderman. Avant la dernière semaine, il pointe à la quatrième place du classement général. Une montée en puissance signe d’un Tao qui allait animer la troisième semaine du Giro.

Tao Geoghegan Hart vainqueur de la quinzième étape au sommet de Piancavallo. (Photo : RCSsport/LaPresse)

Ineos Grenadier, dynamiteur de fin de Giro

Jeudi 22 octobre, Pinzolo – Lacs de Cancano. L’étape reine de ce Tour d’Italie 2020. Plus de 5 400 mètres de dénivelé et quatre cols durant 207 kilomètres.  Au menu, un monument de l’histoire du Giro, le mythique Stelvio 25 kilomètres (!) d’ascension à 7.5 % et un sommet à 2 758 m, de quoi donner le vertige à tous les protagonistes de l’épreuve. L’étape se finit par une arrivée en montée (9 km à 7%). De quoi réaliser un exploit ? 

Retournons deux ans en arrière. 19e étape du Tour de l’Italie 2018. Alors leader de la Sky, Froome ne semble (n’est) pas être le plus fort sur ce Giro. Il profite de l’étape dantesque de cette édition et du difficile Col du Finestre pour renverser la vapeur, s’en va seul à 80 bornes de l’arrivée, et prend le maillot rose. Historique ! De quoi donner des idées ? Evidemment. Oui le Tour d’Italie s’est par la passé souvent gagné de loin, par des grandes manoeuvres et des coups de force collectifs.

Et bien cette étape 18 du Giro 2020 a aussi donné lieu à un spectacle hallucinant. Dans les terribles pentes du Stelvio, les favoris pètent un à un sous l’impulsion des Sunweb et des Ineos Grenadiers. A 9 kilomètres du sommet, ils ne sont plus que trois : Rohan Dennis, Tao Geoghegan Hart et Jai Hinley. Le rouleur Australien Rohan Dennis livre une performance exceptionnelle, passe en haut de la Cima Coppi (sommet le plus haut de chaque édition du Tour d’Italie) et emmène Geoghegan Hart sur un fauteuil au pied de la dernière difficulté du jour. Hindley est coincé dans une stratégie d’équipe à cause d’un Kelderman défaillant. Il ne peut attaquer. Au final, il gagne toutefois l’étape devant Tao. Hindley aurait-il pu faire mieux ? On ne le saura jamais. Mais avant une ultime étape de montagne la veille de l’arrivée, Kelderman prend le maillot rose, 12 secondes devant Hindley et 15 secondes devant Tao Geoghegan Hart. Le Britannique a le Giro en ligne de mire, et c’est en partie lors de cette étape qu’il l’a remporté !

Rohan Dennis, coéquipier clef de Tao Geoghegan Hart dans sa conquête du Giro 2020. (Photo : Velonews.com)

Deux jours plus tard dans une étape redessinée, le peloton gravit trois fois la montée de Sestrière. Une nouvelle fois, Ineos Grenadiers prend les reines de la course et Rohan Dennis fait un formidable boulot pour son leader. Encore une fois, Hindley est le seul coureur sur le bagage des deux coureurs de la formation britannique. Cette fois-ci, il ne doit pas faire que suivre, mais agir. Kelderman est une nouvelle fois distancé. Hindley, attaque plusieurs fois Geoghegan Hart. Sans succès. Le jeune Tao remporte sa deuxième victoire d’étape sur ce Giro et revient dans la même seconde que Hindley, nouveau maillot rose, cas inédit la veille de la dernière étape d’un grand tour dans l’histoire du cyclisme. Complètement fou !

Pour le dernier contre-la-montre, Tao Geoghegan Hart devance logiquement Jai Hindley de 39 secondes et remporte à 25 ans son premier grand tour.

Plus qu’une victoire, un symbole

Cette victoire de Tao Geoghegan Hart sonne comme un véritable symbole au sein de la Ineos, et du cyclisme britannique en général. Après des années Sky/Ineos fructueuses qui ont mis en lumière différents talents britanniques (Froome, Wiggins, Thomas), la formation de Dave Brailsford a établit un virage international, avec l’arrivée d’Egan Bernal et plus récemment de l’Equatorien Richard Carapaz, tous deux chargés de continuer la glorieuse histoire de cette équipe. A cela, on peut ajouter Ivan Sosa ou encore Pavel Sivakov. Ineos – Grenadier souhaite avec ses nouveaux profils écrire sa propre page, loin des exploits de Froomie et compagnie. Cependant, elle n’a pas toutefois renoncé à garder une identité, des racines britanniques. C’est dans ce sens que la formation a recruté pour la saison 2021 le jeune talent Tom Pidcock, 21 ans et plein de promesses. La victoire de Tao Geoghegan Hart sonne comme point de bascule entre deux générations de British chez Ineos Grenadiers. Elle matérialise un travail réalisé depuis maintenant plus d’une décennie par sa structure, qui se tourne souvent vers ses produits locaux. Tao Geoghegan Hart est désormais le porte-drapeau d’une nouvelle génération du cyclisme britannique et d’une nouvelle façon d’aborder les courses par sa formations.

Depuis quelques années, Ineos Grenadiers ne cherche pas à tout prix à contrôler la course, sait se faire discrète et attendre le moment opportun pour sortir les muscles. Sa science parfaite de la course l’amène à se dévoiler – individuellement ou collectivement – dans les derniers jours des grands tours, empochant souvent le gros lot (Giro 2018, TDF 2019 et désormais Giro 2020).

Et pour la suite ?

La victoire sur le Tour d’Italie 2020 de Tao Geoghegan Hart fait monter à 5 le nombre de vainqueurs de grands tours dans l’effectif pléthorique d’Ineos Grenadiers. Désormais, se pose la question de la place qu’aura le jeune Tao au sein de sa formation. Froome va s’en aller, Thomas est aussi sur la fin. Pour le reste, le duo Carapaz – Bernal a un coup d’avance pour un rôle de leadership sur une course de trois semaines. Tao Geoghegan Hart peut espérer une étiquette de leader sur un Giro ou une Vuelta, mais il semble difficile pour lui de faire du Tour de France son objectif. On peut imaginer que comme des Thomas, Porte ou Landa par le passé, le jeune coureur devra saisir sa chance sur le Giro, et pourra être amené à aider son leader sur les routes français.

En remportant le Tour d’Italie, Tao Geoghegan Hart entre dans la cours des grands. Son équipe, en plus de sept victoires d’étapes a su le mettre sur orbite pour décrocher la tunique rose. Dorénavant, le jeune grimpeur a acquis un nouveau statut au sein du peloton World Tour. Beaucoup de questions se posent sur son avenir et on a hâte de voir l’évolution de ce diamant brut du cyclisme britannique.

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