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DOSSIER – Pauline Ferrand-Prévot, athlète absolue

Pauline Ferrand-Prévot est née le 10 février 1992 à Reims. Un simple coup d’œil à son palmarès provoque une sensation de vertige tant il est massif. Exceptionnel, dans le vélo comme au-delà. La Rémoise compte ainsi pas moins de neuf titres de championne du monde ou encore 27 titres de championne nationale. On pourrait légitimement trouver que sa notoriété ou sa médiatisation ne sont pas à la hauteur des accomplissements. Sans entrer dans ce débat, tentons humblement de jeter un regard sur la carrière, la championne, et la femme Pauline Ferrand-Prévot. Une coureuse cycliste extra-ordinaire, au sens littéral du terme.

UNE CHAMPIONNE HORS-NORME

Avant de commencer, posons une convention oratoire : dans cet article, nous appellerons Pauline Ferrand-Prévot, « PFP ». Car comme tous les grands champions, CR7 au football ou CP3 au basket pour ne citer qu’eux, Pauline a bien mérité d’avoir son acronyme.

PFP donc, est tout d’abord une championne hors-norme. Hors catégorie. Fuoriclasse. Larger than life. Enfin, une de ces créatures humaines à la destinée sportive exceptionnelle qui nous poussent à rapidement épuiser le réservoir des superlatifs. Et comme souvent, le génie n’a pas attendu le nombre des années.

Catégories jeunes

Le règne de PFP a ainsi commencé à s’asseoir bien avant ses titres chez les pros. En catégorie jeunes déjà, elle est dans un autre monde. En catégorie minimes-cadettes par exemple, sur 6 championnats nationaux disputés sur route (contre-la-montre et en-ligne), elle gagnera quatre fois et fera deux fois deuxième. Chez les juniors, la Rémoise ne faiblit pas, bien au contraire. Elle continue sa moisson nationale, en y adjoignant 3 titres de championne du monde : deux en VTT cross-country (Canberra 2009 et en 2010 à Mont-Sainte-Anne au Canada) et un en-ligne sur route (Offida 2010, Italie). Notons au passage que, la catégorie junior n’existant pas en cyclo-cross, elle a aussi la possibilité de se jauger en courant avec l’élite sur cette discipline. Elle décroche ainsi un top 10 (8ème) aux championnats du monde en 2010, 2 minutes derrière la légende néerlandaise Marianne Vos. L’écart n’est pas énorme. Elle est prête pour les pros.

Chez les professionnelles

Elle y arrive déjà avec une étiquette mais doit confirmer. Elle débute à ce niveau au sein de la Team Lapierre. Puis s’exportera rapidement, en 2012, aux Pays Bas, dans l’équipe Stichting Rabo Women (qui devient Rabo Women en 2013). Chez les pros, PFP joue d ‘abord placée. Sur des manches de coupe du monde en VTT, des championnats de cyclo-cross, ou par exemple sur la Flèche Wallonne 2011 où elle finit déjà septième. Mais la championne n’a pas vocation à finir deuxième, et elle reprendra vite le cours de sa carrière. Avec des victoires. Encore. Et encore. Pour arriver au palmarès évoqué en introduction. Et en ferraillant sur tous les fronts. 9 titres de championne du monde. 27 titres de championne de France. Une Flèche Wallonne. Un podium sur le Giro (2ème en 2014). PFP sait tout faire. Et fait tout. Avec une petite préférence pour les championnats qui lui vient sûrement de son background VTT, sa discipline de prédilection.

Ferrand-Prevot sur une coupe du monde UCI à Nommay – Élite Femmes. (© B. Hazen / Cyclocross Magazine)

UN MOT D’ORDRE : POLYVALENCE

Si on parle de discipline de prédilection, que cela ne fasse toutefois pas oublier un point fondamental chez PFP : elle a fait le choix, assumé et volontaire, dès le départ, de ne pas se fermer de portes. De ne pas réduire le champ des possibles. Ni le champ du plaisir. En s’adonnant à sa passion, le vélo, à travers toutes ses dimensions. S’il y a deux roues et des pédales, c’est pour PFP. Peu importe que ce soit sur bitume ou sur route. Montée en pneus fins, ou en pneus épais. Elle veut tout.

On la retrouve ainsi sur toutes les disciplines, de la route au VTT en passant par le cyclo-cross. Il n’est certes pas rare, chez les jeunes, d’occuper la saison d’hiver avec le cyclo-cross. Pour entretenir la caisse. Et travailler d’autres « skills ». Gagner en aisance et en agilité. En revanche, ça l’est beaucoup plus de voire coupler avec le VTT. Et surtout, il est particulièrement rare de faire vivre ce choix au plus haut niveau. Le monde professionnel est souvent segmenté, cloisonné, et affaire de « spécialiste ». Pas pour PFP, qui veut vivre son métier et sa passion pleinement. Sans limite. Avec un appétit féroce. Cela l’amènera même, au cours de sa carrière, à se séparer de son coach Gérard Brocks, qui défendait lui la thèse de la spécialisation. Elle n’en veut pas. Désaccord de fond, quasi-philosophique, sur ce qu’est le vélo, fondamentalement. Ce que c’est pour elle, viscéralement. Quand on aime, on ne compte pas. Elle ne compte pas.

Au-delà de ce que cela pourrait dire de la personnalité de PFP, toute de caractère et de passion, il est intéressant d’analyser les apports de la démarche, d’un point de vue technique. On l’a dit, chaque discipline a ses caractéristiques. Ainsi, s’y consacrer, encore plus au haut niveau, permet de travailler des « spécifiques » propres à chacune. Mais qui serviront ensuite au-delà de leur environnement naturel.

Cas pratique : PFP fait du VTT cross-country et du cyclo-cross. Ces disciplines sont très différentes des épreuves sur route dans ce qu’elles requièrent. Pas vraiment de logique de peloton, ou d’aspiration. Un effort différent aussi, plus court, et plus continu. Un effort intense, constant et étalé. Il faut trouver une haute intensité. Un seuil. Sans se mettre dans le rouge. Et le tenir sur des temps et distances moyens. PFP a de fait beaucoup travaillé ces qualités, et a pu ensuite les transférer sur la route. Par exemple sur le contre-la-montre, exercice qu’on peut rapprocher en termes de nature de l’effort. Autre exemple sur la Flèche Wallonne, lors de sa victoire en 2014. Elle le confessait elle-même, le VTT qui confronte à ce type de pourcentages et permet de développer le bon mix intensité-vélocité, l’a servie dans la montée finale du Mur de Huy pour aller s’imposer.

Dans le même style, on parle beaucoup dernièrement sur le circuit masculin du phénomène Mathieu Van Der Poel (et à un degré moindre de Wout Van Aert, pas présent toutefois sur VTT). Comme elle, VDP – tiens, encore une star acronyme – cultive cet éclectisme et cette polyvalence. Rappelons qu’il n’invente rien et ne fait finalement qu’appliquer ce qu’on pourrait appeler la « Méthode PFP ». Plus sérieusement, soulignons, chez l’un comme chez l’autre, le caractère probant des résultats et le profil-cycliste séduisant ainsi créé. Intéressant.

Au-delà de l’aspect purement technique, c’est aussi pour PFP une manière de ne pas verser dans l’ennui et la lassitude, physique ou mentale. De garder du fun. Du plaisir. Cultiver la variété et le changement. Pour éviter l’érosion de motivation qui parfois guette et peut accompagner la pratique de haut niveau. Avec ses charges d’entraînement intenses et répétées. Pas exclu que tout cela fasse école pour le futur du cyclisme. PFP aurait ouvert une voie.

Victoire de Pauline Ferrand-Prévot lors du Championnat du Monde 2014 sur route devant Lisa Brennauer et Emma Johansson. 27 septembre 2014, Ponferrada, Espagne. (Crédit : AFP PHOTO / MIGUEL RIOPA)

SOMMETS, GALÈRES ET RENAISSANCE

Armée de son talent et de sa polyvalence, PFP a donc déboulé dans le peloton pro pour tout gagner. Et son palmarès parle pour elle. Pourtant, si on regarde de plus près, sa carrière ne dessine pas une trajectoire aussi rectiligne que cela pourrait laisser croire. Pauline a eu son lot de souffrance. De douleurs. Et de doutes. Comme souvent, chez les légendes du sport, le récit de vie semble suivre un théorème somme toute classique en forme de triptyque : grandeur, déchéance, renaissance. Il est très rare que ces destinées exceptionnelles suivent un fil calme et serein, sans soubresaut. Avec que des ups, et aucun down.

D’abord parce que la nature-même des choses l’exige. Sport ou pas, l’imprévu surgit et on doit faire face. Passer l’obstacle. C’est une réalité consubstantielle de l’existence. Ensuite, parce que justement, ces destinées sont « exceptionnelles». C’est là l’essence-même des légendes. Plus que leurs forces et leurs succès, ce sont les fêlures et les épreuves qui viennent nourrir le récit des exploits de nos héros, fussent-ils sportifs. Ces coups du destin qui obligent à trouver au plus profond de soi les ressources nécessaires à son propre salut. La force mentale. Le supplément d’âme. L’essence des champions, et des légendes.

PFP a connu cette séquence. Ce passage initiatique qui consacre les légendes.

2014-2015, le « climax »

D’abord, le sommet. Un sommet en trois étapes, à cheval sur les saisons 2014 et 2015. Pour commencer, du 21 au 28 septembre 2014 se tiennent les championnats du monde sur route à Ponferrada, en Espagne. Sept tours de 18km. PFP s’impose au sprint devant un groupe de 15 concurrentes. Championne du monde sur route ! 4 mois plus tard, 31 janvier 2015 : Championnats du monde du cyclo-cross à Tabor, en République Tchèque. Démonstration de Pauline Ferrand-Prévot qui gagne devant notamment l’immense Marianne Vos, 3ème. Championne du Monde de cyclo-cross ! Et enfin, du 01 au 06 septembre 2015 ont lieu à Vallnord, en Andorre, les mondiaux de VTT. Sur les épreuves de cross-country, PFP l’emporte. Championne du monde encore ! Ferrand-Prévot vient d’unifier les ceintures de la catégorie vélo, pour emprunter au langage de la boxe. À tout juste 23 ans, elle détient simultanément les titres arc-en-ciel sur route, cyclo-cross et VTT. Un exploit retentissant qu’elle est la seule, dans la grande Histoire du cyclisme, à avoir jamais réalisé. Époustouflant !

2016-2018, le désert

La magie de ces moments ne se prolonge toutefois que rarement, on l’a dit. Sur les saisons 2016, 2017, et 2018, PFP va traverser son désert. Rattrapée par des pépins physiques elle va, pour la première fois de sa vie, être confrontée à quelque chose qu’elle ne connaît pas : l’échec. La désillusion. La déconvenue. L’objectif qu’on n’atteint pas. Douloureuse rencontre pour une telle championne, qui gagne depuis toujours. Pour qui la victoire est comme partie d’elle-même. Comme un membre. Un organe. Soudain on lui retire, et cela fait mal. Perte de repères. Sa saison 2016 est ainsi contrariée par une sciatique. En 2017 et 2018, elle devra faire face à un problème de pression artérielle dans la jambe gauche, doublée d’une endofibrose iliaque. Sous le maillot de la CANYON-SRAM-RACING, PFP continue à courir, elle ne lâche pas. Étant donné sa supériorité, elle gagne même des courses, des titres nationaux. Mais elle n’est pas à son niveau. Elle vivote sur le circuit international et est destituée de ses trois tuniques arc-en-ciel. Son moteur. Elle se lasse, son moral s’érode, elle doute. Elle pense même à tout arrêter. C’est pourtant bien dans ces moments-là, acculés, dos au mûr, dans l’obscurité du désespoir, qu’on reconnaît les grands champions. Bob Marley disait « on ne sait pas à quel point on est fort avant qu’être fort soit la seule option ». PFP n’avait plus le choix, elle a été forte et elle a tenu.

2019, la renaissance

Début 2019, après avoir enfin réussi à poser un diagnostic sur ses souffrances, elle subit une opération chirurgicale qui règle tout. Elle sort du tunnel. Première étape : elle devient championne de France de VTT cross-country en Juillet, battant Lucie Urruty et Julie Bresset (une de ses principales rivales sur le territoire national, et championne Olympique à Londres en 2012). Un peu après, début Août, elle gagne une manche de coupe du monde à Val di Sole, en Italie. Sa première victoire internationale depuis 2015 ! Un déclic. Soulagement et nouveau souffle. Le physique revient, le moral aussi. Le cercle vicieux de l’échec peut maintenant laisser place à celui, vertueux, de la victoire. Ainsi redevient-elle, le 31 Août 2019, championne du monde en VTT cross-country. Sa discipline favorite. Elle est resplendissante, a repris son vol. Partie 18ème, elle rattrape ses concurrentes les unes après les autres. Anne Terpstra. Rebecca McConnell. Puis la championne d’Europe, la Suissesse Jolanda Neff, qu’elle devancera de 43 secondes sur la ligne d’arrivée. Elle récupère son bien. « Son » maillot arc-en-ciel qu’elle avait perdu depuis 2015. Dans son jardin, à Mont Sainte-Anne, Canada, où elle fut déjà titrée chez les juniors en 2010. Clin d’œil de l’histoire. Passerelle jetée vers un passé glorieux qui reprend vie.

Pauline Ferrand-Prévot a donc tenu bon. Même si ce ne fut pas simple. Rétrospectivement, elle déclarera : « Je ne comprenais pas pourquoi ça n’allait plus, Toute la saison 2016 aura été un véritable calvaire. » Ou encore, dans un entretien au magazine américain, Velonews : « Durant ces années, je sentais que quelque chose fonctionnait mal, que mes jambes ne pouvaient fournir leur puissance habituelle, mais personne ne parvenait à trouver ce qui se passait. C’était difficile à gérer pour moi car à un moment, j’ai commencé à penser que ce n’était peut-être que dans ma tête. Que j’étais peut-être paresseuse, des choses comme ça… ». Quand on a enfin su mettre des mots, un diagnostic, sur ses problèmes, on a pu élaborer les solutions. Résultat : Pauline est revenue, et la page est tournée.

Pauline Ferrand-Prévot devant la Norvégienne Gunn Rita Dahle Flesjaa sur les épreuves de VTT cross-country F aux JO de Rio en 2016 – 20 Août 2016 (Crédit : AFP / Pascal GUYOT)

RECENTRAGE VTT & QUÊTE OLYMPIQUE

PFP peut désormais se tourner vers le futur avec appétit et ambition. Après des déconvenues à Londres en 2012 (26ème – médaille d’or pour Julie Bresset) et à Rio en 2016 (abandon), une chose manque à son palmarès : un titre olympique. Ou a minima, une médaille. Elle en fait donc son objectif absolu. « C’est un peu le rêve de ma carrière. Si je termine sans médaille olympique, j’aurais le sentiment d’une carrière inachevée » déclare-t-elle. On appréciera au passage son incroyable niveau d’exigence, autre marqueur de champions. Dans ce sens, elle a finalement fait le choix de se recentrer sur sa discipline de prédilection, celle où elle est le plus titrée : le VTT cross-country. Depuis 2019, elle a oublié la route – au moins temporairement. Peut-être un peu contre nature, mais pour mieux tirer les enseignements du passé et capitaliser sur ses forces. « À Londres et à Rio j’ai voulu faire les deux. J’ai été super déçue les deux fois. Je ne veux plus commettre les erreurs du passé. Maintenant je vais me concentrer sur une discipline et donc mettre le paquet sur le VTT ! ». La deuxième vie de PFP s’écrira sur cette surface.

Le choix de la maturité ? En tout cas, Pauline est désormais projetée vers son rêve, entièrement tournée vers lui et mobilisée à 100%. Ainsi a-t-elle vu d’un bon œil le report des Jeux Olympiques de Tokyo 2020, dans le contexte de pandémie Covid et de confinement : « Je savais que les autres filles s’entraînaient et moi je ne pouvais pas sortir. […] Quand j’ai appris le report, j’étais soulagée. Je me suis dit que tout le monde aura du coup les mêmes chances pour se préparer ».

Entre temps, elle a su confirmer son retour au premier plan. Après un nouveau passage sur le billard pour son histoire d’endrofibrose iliaque l’hiver dernier, elle a conservé son titre de championne du monde en VTT, dans la boue autrichienne des championnats de Leogang. Laissant la concurrence, l’Italienne Eva Lechner et l’Australienne Rebecca McConnell, à plus de 3 minutes. Étourdissant. Pas rassasiée, une semaine plus tard, à Monteceneri en Suisse, elle enfonce le clou en devenant championne d’Europe de la discipline, maillot arc-en-ciel sur le dos. Les deux fois, elle ne fait pas que gagner, elle est en démonstration. Tout de suite devant. Seule. Créant un écart. Et le faisant croître ensuite de manière constante. Comme seule au monde. Un monde qui lui appartient de nouveau et sur lequel elle n’entend pas relâcher son étreinte avant le podium de Tokyo l’été prochain.

Pauline Ferrand-Prévot est donc une championne majuscule. Une athlète lumineuse de son sport, reine de domination et de polyvalence. Dotée de qualités innées hors du commun, elle a aussi une éthique de travail, une volonté, une force mentale et une capacité de rebond qui font d’elle quelqu’un à part. Avec un palmarès qui l’est tout autant. Comme Jeannie Longo avant elle, à coup d’exploits, elle arrive à sortir sa discipline, et le sport féminin, de la confidentialité. Déjà un exploit en soi. On se souvient qu’en 2015, malgré un triple titre mondial, elle ne s’est pas vue attribuer le Vélo d’Or français (2ème derrière Thibaut Pinot – vainqueur d’étape à l’Alpe d’Huez sur le Tour). On ne voit pas bien ce qu’elle peut faire de plus, mais peu importe. Sa carrière et son retour fracassant depuis 2019 valent toutes les distinctions mondaines. Pauline est une femme, et une cycliste, accomplie, reconnue de manière organique par son milieu,. Avant de penser à la retraite, après Paris 2024, à 28 ans, elle est en route vers son rêve olympique. Après avoir su vaincre toutes les adversités, elle a retrouvé le sourire et le plaisir de pédaler. Elle s’est donné le droit et les moyens de croire à ce rêve. Pour boucler la boucle. On attend ça avec impatience.

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