Rugby

Œil de coach : l’Argentine entre jeunesse et efficacité

Depuis que Mario Ledesma a pris les rênes de la sélection argentine en 2018, un changement de philosophie est apparu chez les Pumas. Plus que cela, la mise en place d’un nouveau style de jeu permet aujourd’hui aux Argentins de jouer les premiers rôles sur la scène internationale. Avec une sélection intelligente mais aussi osée, les ciel et blancs viennent d’enchaîner deux prestations convaincantes dans le Tri-nations 2020. Simple coup de chaud ou éclosion d’un vrai nouveau système ?

Les fondamentaux au cœur du jeu

En cette année rugbystique 2020 perturbée par la COVID-19, le Rugby Championship opposant chaque année les 4 nations majeures du rugby de l’hémisphère sud est redevenu un temps le Tri-nations, les champions du monde sud-africains déclinant l’invitation pour la compétition. Et après la moitié des matchs joués, la surprise est là : l’Argentine a tenu la dragée haute aux Australiens sur leurs terres (15-15), mais surtout a terrassé les terribles All Blacks (15-25).

Pour arriver à de tels résultats le travail du sélectionneur Mario Ledesma fut long et laborieux. En effet, lors des éditions précédentes, et ce depuis sa prise de fonction en 2018, les Pumas finirent bon dernier de chaque édition du Rugby Championship. Mais surtout ils encaissèrent alors une moyenne de 33 (2018) et de 27,3 (2019) points par match. Une irrégularité défensive qui ne permettait pas à l’Albiceleste du rugby de prétendre à quoi que ce soit dans les compétitions internationales.

Pourtant, le système de jeu de Super Mario n’a pas bougé d’un iota depuis deux ans. On retrouve dans le style tactique du technicien argentin des traces de certains personnages du rugby qui l’ont marqué dans sa carrière de joueur puis d’entraîneur. À commencer par Vern Cotter, qui lui a surement inculqué sa manière de gérer un vestiaire ainsi qu’un goût certain pour les fondamentaux. De l’autre côté, on retrouve aussi un peu de Fabien Galthié dans le système Ledesma, notamment dans la manière de gérer un match. On retrouve beaucoup de similitudes entre le rugby pratiqué par l’équipe de France et son homologue argentine.

Cette combinaison d’idées donne un jeu inhabituel chez les Argentins, un jeu restrictif, qui n’hésite pas à abuser du pied, à laisser le ballon à l’adversaire et à proposer une défense linéaire et solidaire (15 points encaissés par match, après 2 matchs). L’Argentine, aujourd’hui, s’appuie sur une touche et une mêlée dominante. Une conquête qui permet aux Pumas de dicter le rythme dorénavant, assurément très lent. Plus que cela les fameux « fondamentaux » sont respectés, la conquête offensive donc, mais aussi celle défensive. Les Pumas sont devenus des experts dans le contre en touche et continue aussi d’embêter leurs adversaires en mêlées fermées comme ouvertes. Enfin la discipline est bien meilleure depuis ces dernières années, avec des joueurs qui respectent les règles et qui arrivent à faire déjouer l’opposition.

Le plan de jeu des Argentins devient donc très simple mais pas simpliste pour autant. Dans un premier temps, occuper le terrain le plus possible avec du jeu au pied. Deuxièmement, défendre la ligne d’avantage et avancer sur le terrain grâce à leur force défensive. Troisièmement, récupérer des pénalités ou bien des turnovers jouables par l’équipe. Les Pumas se permettent de déplacer le ballon à la main seulement dans les 30 derniers mètres de l’équipe adverse, généralement sur de nombreuses phases proche des zones de rucks, avec des groupements de trois joueurs. L’attaque ciel et blanche martèle alors les défenseurs jusqu’à obtenir un avantage. À partir de là, l’attaque se permet de s’émanciper un peu avec des passes extérieurs et des jeux au pied plus osés pour terminer les actions. Simple mais pas simpliste.

La loupe

Comme une image vaut mieux que mille mots, passons ensemble une action type des Pumas à la loupe.

1. Essai de Nicolas Sanchez contre la Nouvelle-Zélande

Succession de jeux courts avec des cellules de trois joueurs, avants comme arrières. Les Pumas tapent sur la défense des All Blacks jusqu’à obtenir la faute. Alors le jeu s’écarte et Nicolas Sanchez analyse la défense néo-zélandaise. Le jeu au pied dans le dos est bon, dans une zone libre. Sanchez récupère le ballon et marque entre les poteaux.

2. Pénalité convertie par Nicolas Sanchez contre l’Australie

Malheureusement, le jeu argentin devient parfois stéréotypé. Ici les argentins récupèrent un avantage très rapidement. Le ballon est envoyé dans les mains du demi d’ouverture des Pumas qui automatiquement va déposer le cuir au pied dans le dos de la ligne défensive australienne. Cependant à 40m de la ligne d’en-but l’arrière australien veille au grain et viens tranquillement se coucher sur le ballon. Les Argentins se contenteront de 3 points.

Dans cette situation, les Pumas auraient possiblement mieux jouer le coup. Sanchez est en face d’un avant australien avec Santiago Carreras dans son intérieur. Avec les qualités techniques et physiques de Sanchez, il est facile d’imaginer que le demi d’ouverture du Stade Français aurait pu fixer deux joueurs avant de donner dans ce cas là. Les Argentins auraient alors eu un possible 4 contre 3 à négocier sur les extérieurs.

Les flèches roses correspondent à des courses et les flèches bleues à des passes. Les Argentins loupent ici un possible 4 contre 3 sur les extérieurs.

Un groupe homogène

Le vivier argentin n’est pas le plus profond du rugby mondial, néanmoins il reste assez important pour offrir le luxe au sélectionneur de construire un groupe qui répond au mieux au système mis en place. Ledesma a clairement identifié ses cadres depuis la prise de fonctions,  pour la plupart avec un historique déjà fourni en sélection nationale. Ces « anciens » on les retrouve sur les positions clés, ils servent évidemment de leaders pour une nouvelle génération qui pointe déjà le bout de son nez. Car d’un autre côté, le technicien argentin se permet d’apporter de la fraicheur sur les lignes arrière et sur les positions physiques chez les avants, un peu de dynamisme bienvenu dans un groupe qui par le passé a souvent été vieillissant.

Matera et Sanchez, taille patron…

Le noyau dur de la sélection argentine est incarné par une poignée de joueur, d’irréductibles, qui apportent une réelle plus-value dans un groupe. Cependant, ces vieux de la vieille ont du tout réapprendre du rugby qu’applique Ledesma aujourd’hui, aux antipodes de celui impulsé par l’ancien sélectionneur Daniel Hourcade. C’est aussi peut-être pour cela que l’Argentine a peiné à performer sur les deux premières années de l’ère Ledesma malgré des joueurs de fort tonnage.

Le groupe des avants argentins est composé de joueurs rompus aux joutes internationales. Ce choix est totalement réfléchi dans une équipe au style conquérant et basé sur sa défense, des hommes forts et expérimentés partent avec un avantage certain. Sur la première ligne, Nahuel Tetaz Chaparro (31 ans, 54 sélections) et Julian Montoya (27 ans, 55 sélections) répondent présent pour la sélection et constituent une première ligne solide et expérimentée. En 2nde ligne Guido Petti (26 ans) et Matias Alemanno (29 ans) avec respectivement 51 et 64 sélections sont les fers de lance de la conquête albiceleste.

Mais celui qui représente le mieux cette équipe aujourd’hui, c’est Pablo Matera (27 ans, 62 sélections). Le troisième ligne et capitaine de la sélection argentine entre parfaitement dans le moule de ce rugby de conquête, imposant son physique défensivement et sa voix dans les moments faibles de son équipe. Contre les All Blacks, Matera a récupéré 3 ballons dans les rucks néo-zélandais et a été d’une activité de tous les instants.

Pablo Matera, capitaine d’une équipe en pleine Revolución.

En terme d’expérience, la charnière n’est pas en reste puisque Tomas Cubelli (31 ans, 72 sélections) et Nicolas Sanchez (32 ans, 81 sélections) la compose ensemble par intermittence, depuis 2011. Une charnière capable de gérer les matchs quels que soient les conditions et le rythme de la partie, capable d’imposer le jeu argentin et surtout un demi d’ouverture capable d’allumer la mèche à n’importe quel instant pour embraser l’attaque des Pumas. Nicolas Sanchez est aussi un scoreur redoutable, en atteste les 40 points inscrits en deux matchs de Tri-nations 2020 pour son équipe, la totalité des points marqués par l’Argentine.

…Kremer et Chocobares, baby-boomers…

Pour tenir tout un match physiquement et exploser dans les 30 derniers mètres, il ne suffit pas de faire confiance à l’EHPAD de Buenos Aires. Il faut injecter du sang neuf sur des postes « cardio », sur la troisième ligne ou la ligne d’arrières.

Encore une fois la case est bien noircie dans l’effectif argentin. Pour épauler Matera, Ledesma fait confiance à ses jeunes peut-être moins doué techniquement mais avec un impact physique certain. Marcos Kremer (23 ans, 24 sélections) est l’exemple parfait, du haut de ses 2m01, il est le joueur le plus grand de sa sélection. Et le jeune 3ème ligne, s’il ne performe pas beaucoup dans le jeu courant, s’applique à découper tout adversaire passant à portée, les All Blacks en ont fait les frais, ses 28 placages ont grandement participé à la victoire de l’albiceleste. Il symbolise cette nouvelle défense de fer des Pumas.

La jeunesse et l’insouciance on les retrouve aussi sur des postes plus éloignés du front. Notamment avec la doublette de Santiago, Chocobares au centre et Carreras à l’arrière. Les deux jeunes se sont vus propulser titulaire chez les Pumas. Apprentissage vitesse grand V, mais apprentissage gagnant pour des joueurs qui rentrent encore une fois parfaitement dans le système Ledesma. Si Santiago Chocobares (21 ans, 2 sélections) ne brille pas (encore) par son apport offensif, il ne manque pas de choco-latter les attaquants adverses avec des placages puissants et maitrisés. Santiago Carreras (22 ans, 5 sélections) s’est imposé à l’arrière pour ses qualités certaines de vitesse, de relance et d’aisance sous les ballons hauts. Des aptitudes recherchées dans ce style de jeu restrictif, qui permettent des accélérations sur des erreurs de jeu au pied adverse.

Santiago Chocobares, première titularisation en équipe nationale et première victoire le tout face aux All Blacks. C’est ce qu’on appelle bien débuter sa carrière.

…Et des revenants en forme

Enfin, si amener un groupe sur la continuité sur 4 ans est une obligation, il ne faut pas oublier que parfois la méforme et les blessures de certains cadres existent. Et c’est à ce moment-là qu’il faut faire appel aux hommes en forme, qui au départ ne rentraient pas dans les plans du staff.

Ainsi certains « revenants » ont apporté leur pierre à l’édifice dans cette éclosion argentine. On pense notamment à Francisco Gomez Kodela qui a connu seulement sa 5ème cape contre les australiens à 35 ans. Le pilier droit a tordu ses adversaires en mêlée fermée sur les deux matchs des Pumas.

Au poste de 8, Rodrigo Bruni a su saisir sa chance à 27 ans. C’est lui le véritable liant entre les avants et les arrières. Il s’est imposé dans ce rôle, rendant des prestations abouties à chaque apparence.

Et à l’aile on retrouve un joueur bien connu des terrains du Top14 : Juan Imhoff. Le serial marqueur n’avait plus été appelé en sélection depuis la Coupe du monde 2015. Et pourtant à 32 ans, Imhoff est encore un des tous meilleurs finisseurs argentins, véloce et puissant, ses qualités physiques font de lui un ailier complet. La vraie bonne pioche des Pumas.

Les Pumas ont la côte

On avait laissé les Argentins la tête basse, abattus après la coupe du monde 2019 où il n’avait pas su se défaire de la France et de l’Angleterre pour goûter aux matchs à élimination direct. Une grande défaite pour une sélection albiceleste qui avait toujours su performer dans la quête de la coupe Webb Ellis.

Mais l’année 2020 n’est pas l’année 2019 et les Pumas ont bien rebondi, rugbystiquement comme dans le cœur de leurs supporters. La victoire contre les terribles All Black leur a bien servi et la presse nationale s’est montrée unanime : Les Pumas ont réussi un exploit retentissant, “en tête de liste des exploits du sport argentin” pour le journal Clarin.

Sur le terrain, en dehors ou dans les journaux les Argentins remplissent de bonheur le cœur de leurs supporters.

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