Un quart de siècle, voici la durée que les fans des Nordiques attendent pour retrouver une franchise dans la ville de Québec. Vingt cinq années depuis ce « maudit » 25 mai 1995 où l’équipe est rachetée par des investisseurs américains qui déménageront la franchise à Denver pour devenir l’Avalanche du Colorado. Un coup de tonnerre dans la région de la Belle-Province. Certains partisans ne parleront pas ce jour là de déménagement mais plutôt d’enterrement. Retour sur cet évènement qui a marqué (et marque toujours) toute une génération de québécois.
LA DERNIERE SAISON
Le club des Nordiques de Québec est fondé en 1972 par un consortium de six membres composé de Léo-Paul Beausoleil, Marcel Bédard, Jean-Marc Bruneau, John Dacres, Marius Fortier et Jean-Claude Mathieu. Dès sa première année d’existence la franchise est intégrée dans une nouvelle ligue : l’AMH (Association Mondiale du Hockey), la WHA (World Hockey Association) pour les anglophones. A l’orée de la saison 1979/1980 les « Nonos » font partie des quatre franchises intégrées par l’expansion de la NHL. Un maillot bleu et blanc, des fleurs de lys, un ensemble prônant l’identité québécoise. Cette intégration est le début d’une rivalité avec les voisins montréalais, champions pour la quatrième fois de suite, mais aussi entre les propriétaires car ces derniers sont tous deux brasseurs! La « guerre de la bière » est lancée entre les Nordiques propriété de la brasserie O’Keefe et les Canadiens propriété de la brasserie Molson. Le premier affrontement se déroula la 13 octobre 1979. Victoire des Habs 3-1.
“Nous avions beaucoup de francophones, Montréal en avait beaucoup aussi. Deux compagnies de bières comme propriétaires, ainsi que d’autres paramètres. Mais cela a été une belle expérience. Surtout jouer au Forum, j’adorais ça.”
Alain Côté à Radio Canada
L’arrivée des frères Statsny à Québec en 1980 ne s’invente pas. En pleine Guerre Froide entre les Etats-Unis et le bloc communiste dont fait partie la Tchécoslovaquie, Peter Stastny et son frère Anton Stastny jouent au sein de l’équipe du Slovan Bratislava. A l’été 80 la formation slovaque part disputer la phase finale de la Coupe d’Europe à Innsbrück en Autriche. Les dirigeants québécois, dont le propriétaire Marcel Aubut, profite de cette occasion pour ramener dans ses valises les deux frères. Jusque là rien d’exceptionnel sauf que ces derniers ont dû fuir leur hôtel en douce, car surveillé par le KGB, et se réfugier dans l’ambassade canadienne à Vienne située à plus de 470 km ! Une autre époque… Les frères tchécoslovaques feront équipe avec des joueurs tels que Michel Goulet ou Dale Hunter. Cette formation arrive en finale de conférence deux fois, en 1982 contre les New York Islanders de Mike Bossy et en 1985 contre les Flyers de Philadelphie de Brian Propp.

Le 20 avril 1984, la rivalité avec les Canadiens de Montréal atteint son paroxysme lors de la bagarre générale au cours du match 6 de la finale de division. L’arbitre inflige 252 minutes de pénalité et 10 expulsions, rien que ça ! Cette rencontre se déroulant un vendredi, elle est surnommée depuis la « Bataille du Vendredi Saint ». Le parcours pour les Nordiques s’arrête néanmoins à ce stade de la compétition (série perdue 4-2).
L’année 1988 voit arriver le quinzième choix de repêchage Joe Sakic. Le centre canadien performe tout au long de ses années québécoises et permet, avec les arrivées du centre suédois Mats Sundin et de l’ailier d’origine nord-irlandaise Owen Nolan, une nouvelle qualification pour les séries éliminatoires 1993 (meilleur bilan de l’histoire de la franchise, 104 points, 47-27-10). Une énième fois les Canadiens leur barre la route. La saison suivante est une saison loupée qui a pour première conséquence le transfert de Sundin vers les Maple Leafs de Toronto en échange de Sylvain Lefebvre et Wendel Clark. Le propriétaire Marcel Aubut congédie Pierre Pagé et nomme au poste de Directeur Général Pierre Lacroix et au poste d’entraîneur-chef Marc Crawford. Un changement de mentalité, un changement d’alignement également et l’arrivée d’une jeune recrue suédoise Peter Forsberg sont les éléments d’un renouveau chez les Nordiques de Québec.

La saison régulière donne raison aux divers remaniements effectués par Aubut. En raison d’un lock-out le premier match se déroule seulement le 21 janvier 1995 contre Philadelphie (victoire 3-1). Sur les 48 matchs prévus les québécois n’en perdront que 13 et finissent avec un bilan de 65 points (30-13-5) et la première place de la division Adams. Ils ne perdront qu’un seul match à domicile ! La défense solide de Lefebvre et de l’allemand Uwe Krupp est performante, les autres également à l’instar d’Adam Foote. Au niveau de l’attaque le meilleur pointeur est Sakic (62 points, 19 buts et 43 assistances) suivi de Forsberg (50 points, 15 et 35) et de Nolan (49 points, 30 et 19). Le jeune Forsberg remporte cette année là le Trophée Calder qui récompense la meilleure recrue de la saison, l’équivalent du trophée de Rookie of the Year en NBA. Les pions se mettent en place sereinement.
Le premier tour des séries éliminatoires offre un cadeau empoisonné aux Nordiques : les New York Rangers, champions en titre. Durant la régulière Québec remporte les trois confrontations sur les scores de 2-0, 2-1 et 5-4. Mais voilà, la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain et malgré des Rangers irréguliers en saison (47 points, 22-23-3), ils rencontrent une équipe expérimentée et composée de Mark Messier, Brian Leetch, Alexei Kovalev, Sergei Zubov etc…
Le premier match de la série est remporté sur le score de 5-4 au Colisée, le second est lui une victoire écrasante des new-yorkais 8-3 en terre québécoise. Les Nordiques ont pour obligation de remporter un des deux prochains matchs au Madison Square Garden afin de rester en course. Ce n’est pas le cas, deux défaites 4-3 et 3-2 après prolongations propulsent les Rangers en tête de la série 3 victoires à 1. La franchise fleurdelysée se retrouve dos au mur et remporte le match 5 à la maison sur le score de 4-2. Le sixième match de cette série ne commence pas bien pour Québec avant même le coup d’envoi. En effet Uwe Krupp et Bob Bassen ne sont pas disponibles pour cette rencontre capitale. Le match débute de la pire des manières avec un avantage de 3 buts à zéro à la fin de la première période pour les Rangers, puis en seconde période les new-yorkais ajoutent un quatrième but par Kovalev. Joe Sakic redonne espoir quelques minutes plus tard pour ramener le score à 4-1 puis Forsberg marque le but du 4-2 en troisième période. Malheureusement pour les québecois le match en reste là, nous sommes au Madison Square Garden le 16 mai 1995 et sans que personne ne sache, les Nordiques de Québec viennent de jouer le dernier match de leur histoire.

«Je me souviens très bien que, quand on est partis à New York, on était dans le crunch avant la décision finale sur l’avenir de l’équipe. On espérait encore tous que le gouvernement donne un coup de main à l’entreprise»
Jean Martineau, vice-président de la communication
L’ AVENEMENT DU SPORT BUSINESS
Les années 90 sont l’avènement des nouvelles structures de fonctionnement au sein des franchises et des ligues privées nord-américaines. La NBA s’exporte au Canada vers Vancouver et Toronto en 1995, elle est présente dans les plus gros marchés américains possibles, Los Angeles, New York, Chicago, Dallas, Houston, Miami, Philadelphie, la région de la baie de San Francisco… Elle s’internationalise en Europe et en Asie, l’icône Michael Jordan en tête d’affiche. La NFL et la MLB, les deux sports les plus populaires aux USA, tournent à plein régime en cette sortie des années 80 également.
En NHL le début de la décennie enregistre l’intégration de plusieurs organisations : les Sharks et les Ducks arrivent en Californie à partir respectivement de 1991 et 1993. Le Lightning et les Panthers s’installent en Floride dès 1992 et 1993. Les Sénateurs se posent à Ottawa en 1992 et le propriétaire Norman Green envoie ses Minnesota North Stars au Texas pour devenir les Dallas Stars . Ce plan d’expansion dans trois des états les plus riches et peuplés des Etats-Unis donne des idées d’investissement aux plus grosses fortunes du marché nord-américain.

Le dollar américain décolle par rapport au dollar canadien en cette fin de siècle, les contrats télé et les salaires suivent la tendance économique. Les petits marchés canadiens sont financièrement mis à mal car ne pouvant pas assumer l’augmentation des coûts de fonctionnement et des coûts salariaux. Le début du marketing et du merchandising est là , il faut absolument prendre le bon wagon. Chez les Nordiques, le Colisée Pepsi est une enceinte vieillissante, le public n’est pas tout le temps au rendez-vous, les matchs ne sont pas à guichets fermés même en séries. Ces faits ne permettent pas de compenser les dépenses du propriétaire Marcel Aubut.
« Les Nordiques sont voués à une mort certaine dans les cinq prochaines années s’ils n’obtiennent pas bientôt l’assurance de la construction d’un nouvel édifice. […] [Ils] sont à Québec pour y rester à la condition d’avoir un nouvel amphithéâtre »
Claude Larochelle, Le Soleil, 1989
Aubut s’est fixé comme objectif de faire construire une nouvelle patinoire de 20.000 places pour l’été 1993. Cet enceinte devait contenir des centaines de loges privées pour les grosses compagnies commerciales, les sponsors… Elle suit le modèle des gros marchés américains où l’on atteindra plus de 21.000 places au Centre Bell de Montréal en 1996 ou 20.000 places au United Center de Chicago en 1995.
Il faut savoir que, ce qui fait la différence entre une organisation sportive canadienne et américaine, ce sont les versements importants de fonds publics. Un état américain finance sa ou ses franchise(s) et université(s) en ce qui concerne les infrastructures sportives et s’engagent même quelques fois à effacer les dettes. Ce n’est pas le cas dans la ville de Québec. En effet les relations entre le propriétaire Marcel Aubut, le maire de la ville Jean-Paul L’Allier et le Premier Ministre Jacques Parizeau sont compliquées. L’Allier souhaite tout d’abord des preuves formelles au projet du propriétaire, il ne souhaite pas précipiter les choses alors que Paraizeau, pro-souverainiste, souhaite faire bonne figure envers le gouvernement face à la situation politique de l’époque et ne priorise pas le maintien des Nordiques à Québec. Cette inaction politique provoque des tensions entre les entités qui mèneront à une impasse en 1995.
« Avant l’étude de faisabilité, la ville veut une étude d’opportunité »
Jean-Paul L’Allier, maire de Québec

Le 25 mai 1995, exactement neuf jours après l’élimination en série contre les Rangers, le rachat des Nordiques est officialisé. Aubut vend ses droits pour 75 millions de $ à un groupe d’investisseurs, déjà propriétaires des Denver Nuggets en NBA, représenté par Charlie Lyons (Comsat Entertainment Group). Le déménagement dans l’ouest américain est acté. Les Nordiques de Québec deviennent le Colorado Avalanche, une onde de choc pour le Canada francophone. Pour enfoncer le clou, l’année qui suit voit plusieurs anciens Nordiques soulever la Coupe Stanley sous les couleurs de l’Avalanche. Un crève-coeur…
“Certains étaient contents de partir, mais pas les québécois ni nos vedettes. Joe Sakic et Peter Forsberg étaient bien à Québec. Leurs femmes adoraient Québec. La femme de Craig Wolanin est québécoise. Uwe Krupp avait un attelage de chiens de traineaux. La plupart aimaient jouer à Québec.”
Stéphane Fiset, gardien de but
L’année 1995 est également l’année du référendum pour l’indépendance du Québec, la Belle-Province est tiraillée. Pour certains partisans du « Oui », la victoire du « Non » (à 54.288 voix près !) s’est jouée à Québec et Montréal. Une raison de la défaite du du “Oui” s’explique sur l’impuissance du Parti Québécois qui laisse partir les Nordiques à Denver. Sachant que le hockey est le sport national, voir même la fierté et l’identité de toute une région, ne pas tout mettre en œuvre pour retenir l’équipe de la Capitale est ressenti comme un affront et une erreur politique majeure par de nombreux partisans.

UNE PLAIE OUVERTE BIENTOT SOIGNEE ?
Depuis le début des années 2010, un espoir renaît au sein des anciens partisans des Nordiques. En effet la ligue a mis en place, entre autres, un plafond salarial (salary cap) qui permet à des plus petits marchés de se faire une place parmi les plus grosses organisations. Les Jets de Winnipeg sont revenus dans la NHL pour la saison 2011/2012 en lieu et place des Thrashers d’Atlanta. L’espoir est là !

En 2015 Québec s’est positionné pour accueillir une nouvelle franchise mais le commissaire Gary Bettman en décide autrement et préfère choisir les Golden Knights de Las Vegas. Prix d’entrée : 500 millions de $ ! Sa logique étant de développer le hockey dans l’ouest américain afin d’avoir une balance effective entre les clubs de l’est et de l’ouest. La dernière franchise admise en 2018 se situe dans l’état de Washington, le Kraken de Seattle est né, prix d’entrée cette fois ci : 650 millions de $ !

Pour Gary Bettman, un retour en terre québécoise n’est pas dans ses intérêts premiers mais la création d’une arène toute neuve, le Centre Vidéotron (coût de construction : 400 millions de $) et le soutien de Pierre-Karl Péladeau, propriétaire de Québecor, géant des médias et communications, ferait pencher la balance en la faveur d’un retour dans les années à venir ? Les affluences très moyennes chez les Panthers de Floride, les Coyotes de l’Arizona, les Carolina Hurricanes et les Sénateurs d’Ottawa maintiennent un espoir de pouvoir déménager une de ces organisations dans la Belle-Province et retrouver le « grand hockey » des années 70-80. Deux grosses ombres au tableau cependant, le prix d’entrée voulu par Gary Bettman avoisinerait le milliard de $ et son regard se pencherait sur la ville de Houston… Affaire à suivre !