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Comment jouait-on au football en 1880 ?

A la fin du XIXème siècle, la majeure partie du globe est recouverte par l’empire britannique. De l’autre côté de la manche, le Royaume-Uni est en pleine période victorienne. Une ère de renouveau, de modernisation et de créations qui influeront le pays et le monde entier à l’avenir. Parmi cela, la popularisation du football. Descendant de la soule, il connaissait des règles très variables selon la ville où les parties avaient lieu. Ebenezer Cobb Morley, jeune avocat de 32 ans, invite en octobre 1863 des représentants de clubs à ériger des règles communes à tous, et à fonder la fédération anglaise (Football Association). Le point de départ de l’évolution du foot, qui s’est faite très lentement jusqu’à aujourd’hui.

Le football au XIXème siècle (source : BBC)

Fa Cup, édition 10/150

20 novembre 1880. Premier tour de la 10e édition de la FA Cup. Après un match aller soldé sur le score de 1-1 à Maidenhead, les Old Harrovians doivent accueillir le match retour au Kennington Oval, terrain de cricket l’été, de football l’hiver. Dans les vestiaires, Jim Milton, joueur offensif des locaux, enfile sa chemise en coton bleue. Les pauvres jouent en rouge, la teinture étant la moins chère, mais son équipe, issue de la prestigieuse école de Harrow, joue dans la couleur roi. Il voit certains de ses coéquipiers mettre des protège-tibias, mais lui juge qu’il n’en a pas besoin. Après tout, ce n’est pas encore obligatoire. Avec ses dix coéquipiers, il rentre sur la pelouse, sur ce terrain dont il connait les quatre coins, même s’il n’y a pas de coins puisque les démarcations sont absentes. Quelques centaines de personnes en tribunes. Thermomètre proche des 0°C. Pas besoin de serrer la main de l’homme au sifflet (ou au mouchoir blanc à l’époque), il n’y en a pas. A l’époque victorienne, on fait confiance au fair-play des deux équipes. Dans le pire des cas, le capitaine des Harrovians, Tacitus Kilgore, tranchera en accord avec son homologue d’en face.

Le début de la modernité

Les Harrovians sont disposés en 2-1-7. En face, Maidenhead joue plutôt défensif avec son système dit de la pyramide, en 2-3-5. Tout le monde est prêt, le coup d’envoi est donné. Le ballon en caoutchouc, arrive dans les pieds de Milton. Le jeune joueur préfère faire circuler en attendant de trouver une faille. En tribunes, son père enrage. De son temps, lors du vrai football, il lui aurait été inimaginable de faire des passes. Déjà, parce que jusqu’en 1866, la passe vers l’avant était interdite. Ensuite, parce que pour lui, de formation militaire (il a fait la guerre de Crimée), lâcher le ballon aurait été vu comme un acte de lâcheté par ses coéquipiers. Faire des passes, c’est beau, c’est bien, mais ça ne fait pas remporter de trophée. Insulte suprême, le ballon arrive même au gardien, qui s’en saisit des mains, puisqu’il est le seul sur le terrain à pouvoir les utiliser depuis dix ans. Les adversaires n’apprécient pas, le joueur étant situé à plus de 30 mètres de ses buts, c’est presque de l’antijeu. Mais c’est légal, les mains sont autorisées même hors de la surface de réparation, qui n’existe pas, et dans toute la moitié de terrain.

L’évolution du terrain de foot au fil des années (source : Teenage Kicks)

Les longs ballons fusent à direction des attaquants, les contacts sont rugueux. Parfois trop. Un joueur de Maidenhead met un coup de savate au tibia d’un Harrovian, Kilgore signale la faute et s’emporte : “Ici nous sommes civilisés, pas de brutalité. L’adresse l’emporte sur la force”. Les dirigeants du Rugby Football feraient plutôt remarquer que sans coup de savate, le sport perd toute notion de courage et de bravoure.

Entre amateurisme et archaïsme

L’adresse, c’est justement ce dont manquent les joueurs en cette première période. Milton est démarqué sur le côté gauche. Un coéquipier tente de le trouver, mais un rebond mal apprécié et il rate son contrôle. Le ballon sort, mais pas de panique. Le premier arrivé sur le ballon peut jouer la touche, et les adversaires sont assez loin pour lui laisser le temps de le prendre. A lui de le lancer et le jeu reprend. Quelques minutes plus tard, Jim Milton attaque dans l’axe. Il voit Kilgore et le lance en profondeur. Par chance, il y a trois joueurs entre lui et le but, et non deux, il n’y a donc pas hors-jeu. Malgré la situation avantageuse, Kilgore tire au-dessus de la transversale. De la corde transversale. La barre est autorisée, mais n’est pas généralisée et ne sera obligatoire qu’à partir de 1882. Le gardien va péniblement chercher le ballon pour jouer le goal kick, en plaçant le ballon aléatoirement au sol, en l’absence de marquage. Peu de temps après, c’est la mi-temps.

Gravure de la finale de 1872. On voit la mêlée de joueurs et l’embryon de cage de but (source : BBC)

Les deux équipes échangent les côtés à la pause . La deuxième période est toujours aussi stérile, et l’on commence à craindre un deuxième match nul, synonyme d’un nouveau match pour enfin désigner un vainqueur. Il n’y en aura pas besoin. Une offensive de Maidenhead sème la panique dans la défense des anciens élèves d’Harrow, et un défenseur fauche l’attaquant adverse, alors qu’il s’apprêtait à tirer à 8 yards des cages. Pas d’expulsion de prévue dans ce cas de figure, ni de penalty, forcément. C’est donc un coup-franc direct à quelques mètres à peine des cages. Tous les joueurs Harrovians sont forcés de rester sur leur ligne de but. XIXe siècle oblige, les joueurs de font que 1,70m, et l’attaquant Magpie choisit la frappe en force, qui passe au-dessus des joueurs mais sous la corde, et termine au fond … des tribunes. Les filets n’existent pas encore. 1-0 pour Maidenhead. Comme le veut le règlement, après chaque but, les deux équipes échangent leur camp.

Sorry, good game

Les visiteurs, devant au score, se contente désormais de défendre dans les airs, avec succès. Jim Milton n’a pas les armes pour faire la différence. Alors que le chrono égrène les dernières secondes, il tente de passer par du dribbling, mais le défenseur remporte le duel. Sans solution, ce dernier choisit de dégager le ballon loin, par delà les limites du stade. Milton est forcé d’aller chercher le seul ballon du match. Avant qu’il revienne, les 90 minutes sont écoulées. Sans temps additionnel, le match s’achève. Les Old Harrovians sont éliminées dès leur entrée dans la compétition.

La déception prime du côté de Milton, qui aurait bien aimé aller plus loin dans la seule compétition qui existe à ce moment. Encore à chaud, ses coéquipiers enragent de voir que malgré toutes les évolutions dans le règlement de ces dernières années, la triche et le manque de fair-play sont encore possibles. Il faudra en discuter lors de la prochaine assemblée de la FA. A ce rythme, autant d’ailleurs créer une instance pour décider des règles du jeu. Pour obtenir une revanche à la loyale sur Maidenhead, il faudra attendre au moins l’année prochaine pour croiser leur route lors d’une Cup. D’ici là, le football aura bien changé …

Même si le sport a conservé le même nom, et que de nombreux clubs modernes étaient déjà créés à l’époque, le Football de l’époque n’a que très peu de points communs avec ce que l’on connait. Les équipements et l’organisation des rencontres étaient radicalement différentes, sans parler du jeu en lui-même, qui rendrait certains des meilleurs footballeurs actuels hors de niveau. Les choses évoluent dans un futur proche, avec la création d’un instance arbitrale (IFAB) dès 1882 pour édicter les règles, et la professionnalisation dans la décennie et le championnat en 1888. Rien qu’en 1891, l’arbitre et les filets sont rendus obligatoires, la surface de réparation, le penalty et le temps additionnel créés. Les éléments d’un long cheminement qui, comme le prouve l’instauration récente du VAR, ne s’achèvera jamais réellement.

(*) Inutile de chercher la trace de Jim Milton et de Tacitus Kilgore, ils ont été inventés pour les besoins du récit. Tout comme le déroulé du match (mais pas son résultat).

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