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Les Busby Babes, génération désenchantée

Il est des générations qui marquent l’histoire de leur sport. Les Busby Babes de Manchester United en font indéniablement partie. Des décennies avant l’Ajax de Van Gaal ou le Barça de Guardiola, la bande de jeunes menée par Matt Busby était la terreur des terrains d’outre-Manche. Enthousiastes, effrontés, guidés par le talent insolent de Duncan Edwards et Bobby Charlton, les Busby Babes étaient promis à un avenir doré. Leur destin se révéla funeste. (image : the Mancunion)

Les pionniers du punk

55 kilomètres séparent Manchester de Liverpool. À la fin des années 1950, les Reds végètent en 2e division et l’intérêt de la cité réside davantage dans l’émergence d’une nouvelle scène musicale incarnée par les Beatles que dans les performances de ses clubs de football. Pendant ce temps-là, la ville industrielle de Manchester est sortie de sa grisaille par une jeune équipe dont l’impétuosité détonne autant qu’elle épate. Les Busby Babes, c’est un groupe de rock en short et en crampons.

Leur meilleur album ? Sans doute cette performance live à Old Trafford en 1956. Les Red Devils reçoivent Anderlecht en Coupe d’Europe des clubs champions. C’est le premier match de l’histoire de la compétition sur le sol anglais. United humilie le club belge : 10-0. Une domination sans partage, résumée en ces mots par Bobby Charlton, alors âgé de 18 ans : « Je me souviens d’y avoir assisté depuis les tribunes. C’était sensationnel. Nous étions les pionniers du football anglais en Europe. Il y avait énormément d’enthousiasme, aussi bien chez les joueurs que chez les supporters, car sur le terrain nous nous retrouvions contre des joueurs que nous n’avions jamais vus. »

Busby Babes
Les Busby Babes en 1957. Debout de gauche à droite : Eddie Colman, Bill Foulkes, Ray Wood, Roger Byrne, Mark Jones et Duncan Edwards. Accroupis de gauche à droite : Dennis Viollet, Johnny Berry, Tommy Taylor, Liam Whelan et David Pegg.

À l’heure où les compétitions nationales et internationales s’entremêlent inlassablement, cette réflexion paraît anachronique mais disputer la Coupe d’Europe, à l’époque, c’était l’aventure. Pour s’y qualifier, United avait réalisé une saison 1955/56 historique. Invaincus à domicile, les Mancuniens avaient terminé avec onze points d’avance ; à l’ère de la victoire à deux points ; avec une moyenne d’âge de 22 ans.

Parmi eux, Duncan Edwards. Le plus jeune international anglais de l’après-guerre, à 18 ans et 183 jours. « Le meilleur joueur que j’ai jamais vu sur un terrain. J’inclus là-dedans tous mes coéquipiers, mais aussi tous les adversaires qu’il m’a été donné de côtoyer. C’était le joueur complet par excellence : excellent du pied gauche, du pied droit, dans le jeu long, dans le jeu court. Aujourd’hui, il n’aurait pas de prix. Il était le seul joueur qui me faisait sentir inférieur », raconte Bobby Charlton, futur champion du monde et Ballon d’or 1966.

La fureur de vivre

Icônes du rock ou vedettes de cinéma ? Les Busby Babes sont au football ce que James Dean est au septième art. De jeunes rebelles fauchés aux prémices de leur gloire. En 1956/57, quelques mois après le décès tragique de l’acteur américain, MU parvient à conserver son titre de champion au terme d’un exercice achevé à 103 buts inscrits. Le 6 février 1958, les Diables Rouges se déplacent en Yougoslavie pour affronter l’Étoile Rouge de Belgrade en quart de finale de C1. Vainqueurs 2-1 à l’aller, les hommes de Matt Busby arrachent un nul 3-3 et célèbrent leur seconde accession consécutive au dernier carré. L’ambiance est à la fête dans l’avion qui doit les ramener à Manchester.

Premier contretemps. L’ailier droit John Berry a perdu son passeport. L’avion décolle avec une heure de retard. Il se pose à Munich où un ravitaillement est prévu. La météo y est épouvantable, le vent souffle aussi fort que la neige tombe. Les passagers remontent à bord pour la dernière partie du voyage. L’engin s’élance une fois, puis deux, en vain. Certains joueurs, dirigeants, journalistes et supporters présents dans l’avion proposent de passer la nuit à Munich en attendant la fin du déluge. Les pilotes reçoivent l’accord des contrôleurs aériens pour une troisième tentative. Elle sera fatale. Lancé à pleine vitesse, l’avion est ralenti par une plaque de neige sur le tarmac et ne parvient pas à prendre de l’altitude. Il continue sa course au-delà du périmètre de l’aéroport et vient s’écraser sur une maison puis sur un entrepôt de carburant. L’horloge affiche 15h04 mais le temps est suspendu.

Busby Babes
Commémoration des 60 ans du crash de Munich à Old Trafford, le 3 février 2018 (image : Paul Ellis. AFP)

Le crash du vol British European Airways 609 fait 23 victimes. 21 meurent sur le coup, dont sept joueurs (Tommy Taylor, David Pegg, Liam Whelan, Mark Jones, le capitaine Roger Byrne et Geoff Bent, venu pour faire le nombre), le président du club, deux adjoints de Busby, huit journalistes, deux supporters qui accompagnaient l’équipe et un membre du personnel de la compagnie. Dans les semaines qui suivent l’accident, deux nouvelles victimes viennent s’ajouter au macabre bilan. Le co-pilote succombe à ses blessures, à l’instar de l’idole Duncan Edwards.

We’ll never die

Wilf McGuinness apprend la terrible nouvelle dans sa chambre d’hôpital, lui qui se remettait d’une opération et n’a pu faire le voyage. « Nous aurions été la meilleure équipe de United de tous les temps. En fait, nous avons été la meilleure équipe. Nous aurions tout gagné », assure-t-il. Charlton abonde dans son sens : « L’année précédente, nous avions joué contre le Real Madrid, qui était champion en titre. Nous avions beaucoup appris à cette occasion. Je suis convaincu qu’en 1958, nous aurions pu gagner la Coupe d’Europe. »

En plus de ceux qui ont ont péri dans la catastrophe, Johnny Berry et Jackie Blanchflower n’ont jamais pu rejouer au football en raison de graves séquelles. Matt Busby a frôlé la mort et a été hospitalisé durant deux mois. Après quoi il a fait son retour sur le banc pour diriger une finale de FA Cup face à Bolton. MU, forcément décimé, s’inclina 2-0. Bill Foulkes, Harry Gregg, Dennis Viollet et Bobby Charlton sont les quatre survivants du crash a avoir disputé la rencontre.

En 1963, les Red Devils remportent la FA Cup, leur premier trophée depuis le drame. Le club continue à faire confiance en son centre de formation et permet l’éclosion de talents comme George Best. En 1968, Manchester United étrille Benfica 4-1 en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, devenant le premier club anglais champion d’Europe. Toujours présents, Bill Foulkes et Bobby Charlton soulèvent le trophée dans le ciel de Wembley. Dix ans après.

« Quand nous avons finalement gagné la coupe d’Europe, en 1968, les gens étaient très heureux pour Matt Busby. Il considérait les joueurs décédés à Munich comme sa propre famille. Il se sentait responsable, au sens où c’est lui qui avait incité les parents à laisser leur fils venir jouer dans son équipe. Matt était plus atteint que quiconque par ce qui était arrivé à Munich. C’est pour cela que la victoire de Wembley a été magnifique pour lui. »

Bobby Charlton

On dit que les légendes ne meurent jamais. Plus de 60 ans après la catastrophe, l’héritage des Busby Babes est toujours présent à Manchester. Comme si le destin funeste de cette génération ne suffisait pas à l’ancrer dans la mémoire collective, il a fallu qu’elle marque les esprits de tout le monde, qu’elle soit brisée en pleine ascension, qu’elle survive et fasse renaître un club de ses cendres. Il a fallu qu’elle représente un idéal d’insouciance et de résilience. À Old Trafford et partout ailleurs, la flamme des Busby Babes n’est pas près de s’éteindre.

(1 commentaire)

  1. L’histoire de Manchester est liée à beaucoup de domaine !
    Cette ville est riche, mais je ne connaissais pas cette histoire.
    Bel article

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