Hockey

Les Mighty Ducks d’Anaheim, la franchise de Disney

Au début des années 90 la NHL est en plein essor, nous sommes dans une phase d’expansion qui fait passer le nombre de franchise de 21 à 26 au sein de la ligue entre 1991 et 1993. Parmi ces nouvelles organisations la Californie en accueille deux, une en 1992 sur San José situé dans l’aire urbaine de la baie de San Francisco qui deviendra les Sharks, et une autre en 1993 dans la banlieue de Los Angeles à Anaheim qui s’appellera les Mighty Ducks. Cet engouement du hockey au début de la dernière décennie du XXème siècle est dû en forte partie à l’arrivée du « Great One » Wayne Gretky chez les Kings de Los Angeles en 1988. Le sujet ici est de découvrir comment une franchise s’est créée dans une banlieue industrielle avec pour propriétaire… Walt Disney !

UNE HISTOIRE DE MARKETING

Notre histoire débute en 1955 lorsque la société « Walt Disney Imagineering » fait construire le premier parc Disney sur l’aire urbaine d’Anaheim dans la banlieue de Los Angeles. Disneyland Park ouvre ses portes le 17 juillet. En 1966, le regretté Walt Disney décède. Son fils Roy Disney et Sid Bass élisent Michael Eisner à la tête de la société en tant que PDG. Son but, redonner un second souffle à la société, c’est le début de l’âge d’or de Disney qui dure jusqu’aux années 90, période d’expansion de la Ligue Nationale de Hockey. Eisner, originaire de Manhattan, est un féru de hockey, un supporter des Rangers de New York et se rend dès que possible au Forum d’Inglewood pour supporter les Kings de Los Angeles. Les rumeurs courent début des années 90 que la NHL souhaite s’agrandir dans l’ouest américain. Une idée germe dans le cerveau du businessman.

En 1991 une enceinte sportive subventionnée en partie par la Mairie est construite sur Anaheim. Son nom : la « Anaheim Arena ». Coût de l’investissement : 123 millions de $. L’arène est située non-loin du « Angel Stadium » le stade de baseball de l’équipe MLB des Angels de Los Angeles, mais également assez proche de Disneyland et des bureaux de Michael Eisner.

Le film “The Mighty Ducks” (1992) – Crédits: Disney Productions – IMDb

Une année plus tard, en 1992, d’après les conseils et les encouragements de sa femme, Eisner lance la production d’un film familial « The Mighty Ducks » (Les petits champions en France et Jeu de puissance au Québec) centré sur une équipe de jeunes hockeyeurs. Une vague d’engouement pour le hockey chez les plus jeunes se fait remarquer. Ce film à succès rapporte 50 millions de bénéfice en salle rien qu’aux Etats-Unis. 50 millions de $ ? Tiens, tiens… le prix d’entrée à verser à la NHL pour acquérir une place au sein de la ligue. C’est décidé Eisner se lance et présente son projet à Gilbert Stein commissaire de la ligue lors de la saison 1992/1993. Le dossier est accepté et le 10 décembre 1992, la Ligue Nationale de Hockey autorise Walt Disney à développer une franchise en Californie. Pour la NHL c’est un coup fumant car ramener un géant des médias et de l’industrie cinématographique au sein de la ligue ne peut être que bénéfique au hockey. Les répercussions en terme d’audience et de fans peuvent permettre de se faire une vraie place entre les trois sports majeurs que sont la NFL, la MLB et la NBA.

« Ce sont des experts en marketing ». « Si ils peuvent commencer à créer de l’intérêt aux gens pour le hockey, c’est un grand plus pour nous »

Fred Comrie, manager general en IHF (International Hockey League)

L’équipe des « Mighty Ducks of Anaheim » est née. Elle jouera dans l’enceinte sportive qui fut construite deux ans auparavant et renommée «The Pond of Anaheim» quelques années plus tard (traduction : l’étang d’Anaheim, référence aux canards, ndlr). La « Quack History » est en marche.

Le logo mythique des Mighty Ducks – Crédits: Wiki-Fandom

« Le hockey est génial pour Disney Compagnie ». « Il est possible que les Ducks soient retransmis sur Channel 9 (détenue par Disney), nous auront des produits dérivés des Mighty Ducks dans nos magasins à Disneyland, et des shows télés en lien avec le hockey sur Disney Channel. Et je suis sûr qu’il y aura des parades le long de Main Street après que nous ayons gagné 39 matchs dès notre première saison »

Michael Eisner, 1993, L.A. Times

Michael Eisner et ses acolytes Minnie et Mickey – Crédits: BBC

LE MONDE DU HOCKEY EST ACCROC AUX « PUISSANTS CANARDS »

La première saison des Mighty Ducks est plutôt concluante pour une nouvelle équipe dans le ligue avec un bilan de 71 points (33-46-5). Un nouvel effectif n’étant pas si évident à mettre en place en l’espace d’un été. La Anaheim Arena voit 27 des matchs qu’elle accueille être à guichets fermés soit un total de remplissage de 98,9 %. La saison suivante voit arriver l’ailier Paul Kariya en provenance des Black Bears du Maine, l’équipe NCAA où il décida de jouer une saison de plus lorsqu’il est repêché en 1993. Cette saison 1994/1995 enregistre également la venue du gardien Guy Hebert et le centre Steve Rucchin. En cette année de lock-out les résultats ne suivent pas et ils n’arrivent pas encore à se qualifier pour les séries.

Paul Kariya – Crédits: Sports Illustrated

Pendant cette troisième saison d’existence la suite du film « The Mighty Ducks » sort sur grand écran (un autre sortira en 1996). Des stars du hockey tels que Wayne Gretzky, Chris Chelios et le capitaine Paul Kariya font une apparence dans les films. Une promotion rondement menée permettant une exposition nationale voir mondiale du hockey encore une fois. Dans le même temps un dessin animé sort sur la chaîne ABC, propriété de Disney, qui met en scène des canards hockeyeurs se battant contre des aliens venus d’un portail multi-dimensionnel à Anaheim. La jeunesse est fan de cette équipe des Mighty Ducks, elle peut les voir le soir à la télévision avec les parents lors des matchs de la NHL, en rentrant de l’école en dessin animé, en film au cinéma et même dans les parcs d’attraction. Cela devient un tel succès commercial que les ventes de marchandises NHL au milieu des années 90 sont à 80 % des produits dérivés de l’équipe d’Anaheim (sur un total d’environ un milliard de $!). Une véritable « poule aux œufs d’or ».

Le cartoon des Mighty Ducks – Crédits: Disney Productions

Parallèlement au succès commercial, au niveau sportif, la franchise enregistre pendant la saison 1995/1996 l’arrivée de l’ailier finlandais Teemu Selänne en provenance des Jets de Winnipeg (devenus les Coyotes de Phoenix la même saison). Son duo avec Paul Kariya (108 points – 50 buts et 58 assistances en régulière) enflamme les foules et permet surtout d’accéder enfin, lors de la saison 1996/1997, aux séries éliminatoires. Selänne fini avec 109 points (51 buts – 58 assistances) et Kariya avec 99 points (44 buts et 55 assistances). Le premier tour sera un succès en sept matchs face aux Coyotes de Phoenix puis une défaite sèche en quatre matchs face aux futurs champions les Red Wings de Detroit. Une équipe composée, entre autres, de Steve Yzerman, Brendan Shanahan, Nicklas Lidström, Chris Osgood, Sergeï Fedorov, Igor Larionov, Vyacheslav Kozlov etc… (rien que ça!).

Le finlandais Teemu Selänne – Crédits: Pinterest

La saison suivante est une saison loupée, la blessure de Paul Kariya étant irrémédiable pour le jeu de la Quack Nation (il ne jouera que 22 matchs). Selänne esseulé et en manque de soutien ne pourra rien y faire. Les Mighty Ducks rebondissent lors de l’exercice 1998/1999 et parviennent une nouvelle fois à se qualifier aux séries. De nouveau, le duo d’attaque finno-canadien réalise une saison complète, Selänne enregistre un bilan de 107 points (47 buts – 60 assistances) et Kariya de 101 points (39 buts et 62 assistances). Malheureusement l’adversaire au premier tour est encore une fois les Red Wings de Detroit, champions en titre et en route pour essayer de réaliser un triplé. La défaite est également amère, un coup de balai en quatre matchs. Mêmes équipes, même scénario, mêmes maux de tête pour la direction.

Les deux exercices suivants sont décevants, le capitaine Paul Kariya et son ami Teemu Selänne sont trop seuls pour espérer accéder aux séries régulièrement. Puis, au milieu de la saison 2000/2001, le 5 mars 2001, le finlandais est échangé aux Sharks de San Jose contre Jeff Friesen, Steve Shields et des compensations financières ultérieures.

« Nous avons vécu une situation unique ensemble à Anaheim. On se complétait tellement bien. On va se manquer énormément l’un et l’autre. »

Teemu Selänne sur sa relation avec Paul Kariya, 2001, RDS

Pour les experts, cet échange est une preuve des difficultés financières que rencontre Disney au début des années 2000. L’acquisition en 1996 de l’équipe de baseball MLB des Angels de Los Angeles par Disney Compagnie et le déclin de l’engouement des fans pour le hockey à cause de la « Dead Puck Era » se ressent dans les comptes de la franchise. Le départ de Selänne à San Jose est un mal pour un bien diront certains. Pas sur le plan sportif diront d’autres…

« La transaction n’a pas du tout été réalisée pour des raisons financières », « Je pense que les amateurs, une fois qu’ils auront vu les joueurs que nous avons acquis sur la glace, seront heureux de voir la nouvelle orientation prise par notre équipe. Il s’agit d’un changement important, mais nous en avions besoin. Le temps est venu de regarder vers l’avant, et non vers le passé. » 

Pierre Gauthier, Directeur Général des Mighty Ducks d’Anaheim

La saison 2002/2003 se révèle comme la meilleure sportivement parlant depuis la création de l’organisation. Amputée de l’ailier finlandais depuis déjà deux saisons, les hommes de Paul Kariya parviennent jusqu’à la finale de la Coupe Stanley. Un parcours solide orchestré par Mike Babcock au poste d’entraîneur depuis cette saison qui les voit éliminer à tour de rôle les Red Wings de Detroit (4-0), les Stars de Dallas (4-2) et le Wild du Minnesota (4-0). La finale se joue face aux Devils du New Jersey de Martin Brodeur, Scott Stevens, Patric Elias, Scott Niedermayer. Elle voit l’équipe des « Diables Rouges » l’emporter au bout du septième match malgré un Jean-Sébastien Giguère chaud bouillant tout au long des séries. Kariya quitte la franchise pour le Colorado Avalanche à l’inter-saison, une grande page se tourne dans l’histoire des Mighty Ducks.

Le gardien québécois Jean-Sébastien “Giggy” Giguère – Crédits: Toronto Star

LE DECLIN, LE LOCK-OUT ET LA VENTE

Au début des années 2000, la Ligue Nationale de Hockey rencontre des difficultés : les scores sont les plus bas enregistrés depuis la création de la ligue, moins de buts, moins d’enthousiasme donc moins de fans dans les patinoires et les finances des franchises se prennent de plein fouet cette ère que les américains nommèrent la « Dead Puck Era » (traduction : l’ère du palet mort). Ces problèmes aboutissent à un lock-out lors de la saison 2005/2006, aucun match ne sera joué cette saison là. Un crève-coeur pour les fans, une attente interminable. C’est lors de cette « saison morte » que les Mighty Ducks sont vendus à Henry et Susan Samueli. Les tensions en interne entre Roy Disney et Michael Eisner, les résultats en dents-de-scie depuis 1993 (4 qualifications en séries sur 11 saisons) et des finances dans le rouge eurent raison des Mighty Ducks d’Anaheim.

« Michael Eisner a transformé cette compagnie en un conglomérat avide et sans âme »

Roy E. Disney

La saison après le lock-out est la dernière sous le nom des Mighty Ducks d’Anaheim. L’organisation voit arriver dans ses rangs deux jeunes joueurs sortis des repêchages : Ryan Getzlaf et Corey Perry. Elle enregistre également le retour de Teemu Selänne et la signature de Scott Nierdermayer, futur capitaine. Les nouveaux propriétaires mettent en place leur projet solide et ambitieux. Les Oilers d’Edmonton leur barreront la route en finale de conférence.

La saison 2006/2007 voit le couple Samueli abandonner le nom des « Mighty Ducks » pour le simplifier en « Ducks » et, avec une nouvelle vision, les couleurs du club et les designs sur les maillots verront le jour. La salle surnommée « The Pond » depuis 1996 deviendra le “Honda Center”. Cette saison sera couronnée de succès car les Ducks d’Anaheim remporteront leur première (et unique) Coupe Stanley, comme un coup du destin pour la Disney Compagnie. Elle est la première franchise californienne de l’histoire à remporter le précieux Graal tellement convoité.

Teemu Selänne, un retour concluant chez les Ducks – Crédits: Anaheim Calling

L’histoire des Mighty Ducks d’Anaheim est la résultante d’un projet ambitieux mené par Michael Eisner mélangeant l’industrie cinématographique, le sport professionnel, le marketing et le merchandising. Une expérience qui trouvera son apogée au beau milieu des années 90. Disney Compagnie et Eisner ont réussi à marquer leur empreinte sur le monde du hockey et le monde du sport. Cette vision du marketing que toutes les équipes et marques professionnelles utilisent de nos jours, que ce soit dans le sport, dans l’industrie, dans les réseaux sociaux peuvent dire un grand merci à Disney, précurseur en son temps. Et comme on disait dans l’arène des Mighty Ducks : « Rock The Pond » !

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