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Dans la légende du hockey : Coupe Canada 1987 ou l’apogée du hockey international

On ne reverra pas de sitôt trois matchs d’un tel niveau ». Voici les mots du « Great One », Wayne Gretzky, au sujet de la série finale de Coupe Canada 1987. Sommet sportif de la rivalité canado-soviétique, des joueurs historiques, un scénario haletant… La finale URSS/Canada est tout simplement reconnue comme la plus belle expression du hockey de tous les temps. Retour sur un événement qui a écrit la légende du hockey sur glace en lettres capitales.

CONTEXTE SPORTIF

La Coupe Canada ou le rendez-vous de l’élite du hockey

La « Guerre Froide du hockey » entre les Soviétiques et les Canadiens est une histoire captivante pleine de rebondissements et d’événements marquants : affrontement idéologique entre les modèles occidentaux et orientaux, affrontement sportif entre deux écoles du hockey et affrontement institutionnel avec la Fédération International de Hockey. Il y a quelques temps, le CCS vous a proposé un dossier sur la « Série du Siècle » de 1972, point de départ d’une rivalité qui a duré presque deux décennies. Plus récemment, c’est une histoire plus sombre que nous avons abordé : le Punch-up de Piestany, ou le tournant violent de cette rivalité entre les équipes juniors des deux pays. Ce dernier événement se déroule au début d’une année cruciale pour le hockey international : 1987. Un tournoi junior qui précède de quelques jours le Rendez-vous 87’ et de quelques mois notre sujet du jour : la Coupe Canada 1987.

Les deux éditions de la « Série du Siècle » en 1972 et 1974 ont suscité un réel engouement de part et d’autre de l’Atlantique. Rappelons ici que l’idée était de donner aux athlètes professionnels de la NHL une chance d’affronter la « Big Red Machine », ultra-dominante dans les compétitions internationales. Interdits de participer aux tournois organisés par la Fédération Internationale de Hockey, les joueurs de NHL ont pu découvrir le hockey soviétique lors de ces joutes non-officielles. Pour perpétuer ces confrontations, Douglas Fischer de Hockey Canada et Alan Eagleson de l’Association des joueurs de NHL, décident d’organiser un tournoi où les meilleures équipes européennes pourront venir défier les États-Unis et le Canada sur leurs sols. La Coupe Canada est née. La première édition se déroule en 1976, quatre autres suivront jusqu’en 1991, année de l’effondrement du Mur de Berlin et par ricochet, du bloc soviétique. En 1996, la Coupe Canada est rebaptisée « Coupe du Monde de hockey ».

Chacune des éditions a produit un jeu passionnant. En 1976, les Canadiens ont battu la Tchécoslovaquie grâce une formidable chevauchée de l’attaquant des Maple Leafs, Darryl Sittler. En 1981, ce sont les Soviétiques qui s’imposent contre le Canada grâce aux précieuses prestations du légendaire gardien Vladislav Tretiak. En 1984, les Canadiens reprennent leur couronne, cette fois face aux Suédois, même si le fait marquant du tournoi reste le but en prolongation de Mike Bossy en demi-finale contre l’URSS. Nous sommes à présent en 1987. La bagarre à Prestiany entre les équipes juniors est toujours dans les têtes alors que le Rendez-vous 87’ se déroule en lieu et place du match des Étoiles de la NHL. Une double-confrontation entre l’équipe soviétique et les meilleurs joueurs de NHL à Québec qui se solde par une victoire partout. Un avant-goût pour l’événement que tout le monde attend : la Coupe Canada 1987.

La Coupe Canada réunie les six meilleures équipes du monde : le Canada, l’URSS, la Suède, les États-Unis, la Tchécoslovaquie et la Finlande. La compétition débute par un tournoi à la ronde qui permet d’identifier quatre têtes de série. Les demi-finales se règlent en un seul match et la finale est une série de trois rencontres. Plongeons ensemble dans l’un des plus grands tournois de l’histoire du hockey.

Les finales de la Coupe Canada 1987

« Gretzky pour Lemieux ! » pour l’éternité

Comme le veut la tradition, la Coupe Canada se déroule lors de la saison morte de NHL. En cette année 1987, le tournoi se déroule du 28 août au 15 septembre dans plusieurs haut-lieux du hockey canadien comme Calgary, Hartford ou Halifax. Lors de la première journée, les deux superpuissances du hockey sont mises à mal par leurs concurrents. Le Canada fait match nul contre la Tchécoslovaquie de Dusan Pasek et du jeune Dominik Hasek, alors que l’URSS est battue par la Suède, 5 buts à 3. À cet instant, difficile d’imaginer que les deux nations puissent dominer la compétition. Et pourtant, le Canada et l’URSS remportent leurs trois prochaines rencontres et se hissent en tête du classement du tournoi à la ronde. Lors de la dernière journée, les deux équipes se partagent les points du match nul. Les Canadiens terminent premiers, les Soviétiques deuxièmes alors que la Suède et la Tchécoslovaquie complètent la liste des qualifiés.

Grâce au duo Vladimir Krutov/Sergei Makarov, l’URSS s’impose tranquillement 4-2 contre la Suède dans la première demi-finale au Copps Coliseum de Hamilton. Le lendemain, le Canada éprouve plus de difficulté contre la Tchécoslovaquie. Après la première période, les Canadiens sont menés 0-2 au Forum de Montréal et semblent ne trouver aucune solution face au futur triple vainqueur du Trophée Vézina, Dominik Hasek. Au milieu du second tiers, Dale Hawerchuck parvient à battre Hasek avant qu’un gamin de 21 ans, un certain Mario Lemieux, n’inscrive deux buts coup sur coup. Le Canada remporte le match 5-3 et se dirige vers la finale, celle que tout le monde attend.

Pour cette édition, le Canada présente une équipe tout simplement exceptionnelle. Parmi les 23 joueurs, 12 seront destinés au Temple de la Renommée. Surtout, deux noms retiennent l’attention : Wayne Gretzky et Mario Lemieux. Le premier est au sommet de son art. Avec les Oilers d’Edmonton, il vient de remporter trois Coupe Stanley consécutives et a compilé 215 points lors de la saison 1985-1986. Lorsqu’il arrive au camp de Hockey Canada en 1987, le « Great One » vient de remporter son 8ème Trophée Hart et son 7ème Trophée Art Ross. De son côté, Mario Lemieux commence à assoir sa domination sur la NHL. Repêché en 1984 par les Penguins, « Le Magnifique » a inscrit 141 points lors de sa deuxième saison en NHL et sort d’un exercice à 107 points en 63 matchs à seulement 21 ans…

Mais comme dans tous sports collectifs, il faut un adversaire digne de ce nom pour sublimer la meilleure équipe. Et c’est là tout le charme de cette finale. En face, les Soviétiques présentent également une équipe exceptionnelle. Gretzky déclare :

« J’ai beaucoup joué contre eux et, pour moi, c’était la meilleure équipe contre laquelle j’ai joué. La ligne KLM était dans la fleur de l’âge ».

Cette ligne composée de Krutov/Larionov/Makarov est la meilleure de l’histoire de l’URSS. Dans les deux ans qui suivent cette Coupe Canada 1987, la plupart des joueurs viendront sur les patinoires de la NHL. Il en va de même en défense, avec notamment la paire Slava Fetisov/Alexei Kasatonov. Le défenseur canadien Larry Murphy, vainqueur de quatre Coupe Stanley et membre du Temple de la Renommée, s’exprime dans une entrevue accordée à Sports Illustrated :

« Je pense à cette grande ligne et à la façon dont Krutov et Makarov ont utilisé toute la glace. Je pense à ces deux gars et je pense à eux qui descendent les ailes et je pense à eux qui changent de camp et chacun d’eux passe d’une planche à l’autre sur un 2 contre 2. Je me souviens avoir vu ça et je n’avais jamais vu ce genre de vitesse et de créativité. »

MATCH 1 : URSS 6-5 (OT) CANADA
Nous sommes le 11 septembre 1987 au Forum de Montréal pour le premier match des finales. Après seulement 1:49, Mike Gartner ouvre la marque pour le Canada devant près de 15 000 spectateurs. Mais l’URSS inverse rapidement la tendance grâce à la ligne KLM et son hockey fulgurant, technique et précis : quatre buts sans réponse pour les Soviétiques (Kastonov, Krutov, Makarov et Kamensky). La « Big Red Machine » mène 4-1 au milieu de la seconde période avant que Ray Bourque réduise le score à 4-2. Après un superbe arrêt de Grant Fuhr, le Canada revient dans la partie grâce à trois buts signés Doug Gilmour, Glenn Anderson et, 20 secondes plus tard, c’est Wayne Gretzky qui permet aux Canadiens de mener 5-4. Mais 30 secondes plus tard, c’est Andrei Khomutov qui égalise pour pousser les deux équipes en prolongations. Après 5 minutes très disputées, c’est Alexander Semak qui donne la victoire aux Soviétiques dans ce premier match déjà sensationnel. Wayne Gretzky déclare :

« Nous sommes sortis d’une défaite émotionnellement difficile dans le premier match. Nous avons perdu d’un but à Montréal et nous étions dos au mur lors du deuxième match. »

Voici les meilleurs moments du premier match :

MATCH 2 : URSS 5-6 (2OT) CANADA
La série part à Hamilton pour les deux derniers matchs. Pour beaucoup, ce match est tout simplement la meilleure partie de hockey disputée de tous les temps. Tout au long de la rencontre, l’action est exceptionnelle. Dans le premier tiers, les Canadiens mènent la danse grâce à un but rapide de Normand Rochefort après 43 secondes de jeu. Alexei Khomutov égalise avant que Doug Gilmour et Paul Coffey ne donnent une avance de deux buts à la fin de la première période. Mais les Soviétiques ont de la ressource et du talent. Après 12 minutes en seconde période, Fetisov réduit le score avant que, deux minutes plus tard, l’intenable Vladimir Krutov égalise en désavantage numérique. Mario Lemieux redonne un but d’avance au Canada avant la fin du deuxième tiers, 4-3. Après sept minutes de jeu, Vyacheslav Bykov égalise pour l’URSS. Mario Lemieux, étincelant ce soir-là, permet au Canada de reprendre la tête, 5-4. Il reste à peine une minute de jeu quand Valeri Kamensky traverse la patinoire seul, dans une chevauchée légendaire, pour s’en aller battre Fuhr et pousser la rencontre en prolongations. Ce but remporte les honneurs du plus beau du tournoi (VIDEO – à 5:10). Les gardiens Evgeni Beloshakin et Grant Fuhr ont maintenu leurs équipes en vie, poussant le match en seconde prolongation. Mario Lemieux complète son tour du chapeau et délivre le Canada ! Victoire 6-5, la série est à égalité. Les mots du « Great One » :

« Peut-être que l’un des matchs internationaux les plus excitants jamais joué a été le match 2. Mais cela s’est fait aux dépens de beaucoup de gars qui ont joué beaucoup de minutes parce que c’était une double prolongation. À ce moment-là, certains d’entre nous étaient épuisés physiquement et mentalement. »

Les buts de la deuxième rencontre ici :

MATCH 3 : URSS 5-6 CANADA
La fatigue semble toucher davantage les Canadiens que les Soviétiques sur ce début de match décisif. Après seulement 26 secondes, Sergei Makarov profite d’une erreur de concentration de la défense canadienne pour ouvrir le score. Le Canada cherche l’égalisation mais s’expose aux contre-attaques soviétiques. Alexei Gusarov conclu une situation de deux contre un et donne un double avantage à l’URSS. Une minute plus tard, Viacheslav Fetisov triple l’avance des Soviétiques. Le Canada est mené 3-0 après 8 minutes de jeu. Les 17 000 partisans du Copps Coliseum de Hamilton sont stupéfaits par la déchéance physique des Canadiens et la résilience des Soviétiques. À cet instant, l’entraîneur en chef Mike Keenan va effectuer des ajustements pour le moins insolites. Il décide de faire souffler ses étoiles offensives pour laisser la place aux joueurs de profondeurs.

Un choix payant puisque Rick Tocchet ouvre la marque pour les Canadiens sur avantage numérique seulement deux minutes après le but de Festisov. Son coéquipier chez les Flyers, Brian Propp l’imite pour réduire l’avance des Soviétiques à seulement un but alors qu’il reste à peine 5 minutes à jouer dans le premier tiers. Encore une fois, les Canadiens poussent pour égaliser mais se font surprendre sur un changement de Ray Bourque. Andrei Khomutov porte le score à 4-2 à la fin de la première période. En ouverture de seconde période, c’est le Canada qui part fort. Grâce à Larry Murphy, Brent Sutter et Dale Hawerchuk, les Canadiens inscrivent trois buts consécutifs en 6 minutes pour mener 5-4 à la fin de la période. Il reste 7 minutes à jouer quand Alexander Semak égalise pour l’URSS en troisième période. Tout porte à croire que le match prend la même tournure que les deux précédents. Mais voilà, la légende est en marche.

Il reste 1:36 à jouer. Hawerchuk remporte une mise en jeu dans la zone défensive canadienne. Lemieux parvient à hisser la rondelle dans la zone neutre avant de servir Wayne Gretzky. Le « Great One » sert Mario Lemieux en retrait qui tir dans le coin haut de Beloshakin. « Gretzky to Lemieux !!! » des mots qui raisonnent dans le patrimoine culturelle canadien encore aujourd’hui. Le Canada tient bon la dernière minute et remporte sa troisième Coupe Canada.

POSTÉRITÉ

La fin d’une ère

Le but de Lemieux est situé tout en haut du classement des buts les plus importants du hockey canadien avec celui de Paul Henderson en 1972 et plus récemment celui de Crosby en 2010. Plus encore, c’est l’action qui est dans l’histoire. La carrière des deux légendes que sont Gretzky et Lemieux peut se résumer à cette seule action. Sur le jeu de Gretzky, Paul Coffey déclare :

« Je décris toujours Wayne Gretzky comme étant le joueur le plus altruiste avec lequel j’ai jamais joué. Il passait toujours à un maillot, pas à un visage. Cela n’avait pas d’importance. Si vous étiez ouvert, vous avez la rondelle. »

Comme si souvent, Gretzky a laissé parler son altruisme et servit l’un des meilleurs finisseurs de l’histoire du hockey : Mario Lemieux. Comme si souvent, côté gant, coin supérieur, Super Mario a conclu l’action. Gretzky déclare :

ô Je pense que dans le match contre la Tchécoslovaquie, Mike Keenan a décidé de mettre Mario et moi ensemble. Nous n’avions pas vraiment joué ensemble jusqu’à ce moment-là. À mi-chemin de la deuxième période, nous avons eu un 2 contre 1. Je l’avais donné à Mario et il me l’a rendu. Je me souviens m’être assis sur le banc et avoir dit : « Mario, tu es un bien meilleur buteur que moi. Quand je prendrai ce temps, je vais m’assurer que tu es en position. Ne pensez pas à me le rendre. » Une fois que j’ai eu la rondelle, je savais quel allait être mon jeu. »

Une action aussi synonyme de passage de témoin entre les deux étoiles du hockey. Mario Lemieux déclare : « Souvenez-vous, je n’avais que 21 ans à l’époque. Être entouré de gars comme Wayne [Gretzky] et Mark Messier et Paul Coffey … était une formidable expérience d’apprentissage. » Le tournoi a réalisé le rêve de nombreux partisans avec l’occasion de voir une combinaison Gretzky/Lemieux. Ils n’ont pas déçu. Gretzky a mené le tournoi en assistances avec 18 et en points avec 21. Lemieux a mené le tournoi avec 11 buts et a terminé deuxième en points avec 18. Malheureusement pour les amateurs de hockey canadiens, c’était la seule fois que Gretzky et Lemieux ont joué ensemble pour le Canada.

Du côté de l’URSS, cette Coupe Canada représente aussi un tournant décisif. En 1987, la situation de l’Union Soviétique commence à se dégrader politiquement et, par ruissèlement, sportivement. Le sport institutionnalisé de l’URSS va de pair avec le rayonnement de l’idéologie soviétique. L’équipe présentée lors de cette Coupe Canada 1987 est assurément la plus forte de l’histoire du hockey soviétique. Larry Murphy le savait :

« C’était en quelque sorte le dernier match du Bon contre le Mal, faute d’un meilleur terme. Il y avait beaucoup d’histoires là-bas. Vous ne saviez pas s’il y aurait jamais une autre opportunité et comme il s’avère qu’il n’y en a jamais eu. C’était donc un peu comme: «Quel pays est le roi du hockey ? » C’était l’occasion parfaite pour les deux équipes d’être aussi géniales. »

En effet, lors de la Coupe Canada 1991, la chute de l’URSS entraîne la puissante « Big Red Machine » avec elle. Ainsi pour beaucoup, cet affrontement exceptionnel représente l’apogée du hockey international et de la rivalité sur glace entre le Canada et l’URSS. Comme après chaque apogée, la suite est beaucoup moins palpitante. En 1991, la fédération soviétique envoi une équipe faible, craignant le boycott de plusieurs joueurs influents. L’équipe ne parvient même pas à sortir du tournoi à la ronde. Le Canada remporte le dernière Coupe Canada en 1991 contre les États-Unis avant qu’elle ne soit remplacée par la Coupe du Monde de hockey en 1996. En cette année, la NHL compte de nombreux joueurs russes dans ses rangs. Le mystère entourant le hockey russe s’est envolé. Avec la disparition du communisme, la mentalité « nous contre eux » l’est également. 

Véritable moment d’anthologie, cette Coupe Canada 1987 est considérée comme le point culminant du hockey. Le sommet du hockey international, de la rivalité entre l’URSS et le Canada, le sommet du jeu avec probablement les meilleures équipes au monde réunies sur une patinoire et un sommet idéologique. Cette série met aussi en scène la révélation de Mario Lemieux dans une association idyllique avec le « Great One » et le dernier tour de piste d’un hockey soviétique à la vielle de sa chute. Un moment de légende en somme, à jamais graver dans l’histoire du hockey.

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