Nous sommes le samedi 19 septembre dernier, Primoz Roglic attaque le Contre-la-Montre de la Planche des Belles Filles avec 57 secondes d’avance. Compte tenu de ses références sur l’exercice individuel, tous les observateurs s’attendent à le voir triompher sur le Tour de France 2020, course qu’il a maîtrisée sans l’écraser. Vainqueur au rabais du fait d’une équipe ultra dominante pour beaucoup, le Slovène est devenu le looser raillé en moins d’une heure. Battu par un coureur volant presque non identifié, Tadej Pogacar, auteur d’un numéro improbable. Cette défaite qui laisse une trace indélébile dans une carrière aurait pu anéantir Primoz mais le Champion s’est relevé. Avec son mental d’acier, il a terminé l’année 2020 de la plus belle des manières en remportant la Vuelta et finissant de nouveau numéro 1 mondial. Itinéraire d’un coureur atypique, secret, qui domine le cyclisme mondial.
Des tremplins au bitume
Primoz est né au pied des montagnes. Comme beaucoup de jeunes slovènes, il se tourne rapidement vers les sports d’hiver. Il commence le saut à ski à 8 ans et va essayer de faire carrière dans cette discipline. Il débute la coupe continentale en 2003 à 14 ans. En 2006, il est vice-champion du monde junior par équipe et glane le titre l’année d’après. Cette même année, il est victime d’une terrible chute sur le mythique tremplin de Planica qui lui occasionne une fracture du nez et un problème au genou. Cet accident va être un tournant, car même s’il récupère physiquement et mentalement, les résultats ne suivent plus. Il continue durant quatre années dans cette discipline avant de se résoudre à arrêter sa carrière de sauteur (5 podiums dont 2 victoires en circuit continental).
Après un bref essai du duathlon, il choisit le cyclisme qui ne demande pourtant pas les mêmes qualités physiques que le saut. L’endurance était jusqu’alors à proscrire sous peine de perdre en explosivité pour le saut. La musculation n’était également pas la même. Pourtant, même en commençant tardivement, Rogla a réussi à obtenir une VO2max impressionnante (qui est normalement développée jusqu’à l’adolescence et peu après) démontrant des capacités physiques hors du commun. Il a de l’or dans les jambes et c’est avec elles qu’il s’exprime désormais.
C’est donc en 2012 qu’il se met au cyclisme à l’âge où certains gagnent des Grands Tours. Il avait l’habitude d’escalader des cols autour de Maribor lors de la rééducation après sa chute. Auteur d’une belle saison amateur, il est repéré par l’équipe Adria Mobil de Milan Erzen avec laquelle il va passer deux ans. Après une première année encourageante qui le voit gagner sa première course d’un jour (la Croatie-Slovénie) et atteindre le podium de deux Tours mineurs, il connaît une vraie belle saison 2015 qui lui permet de se faire remarquer pour une équipe World Tour. Il gagne les Tour d’Azerbaïdjan et de Slovénie et finit 2ème du Tour de Croatie. Grâce à Bogdan Fink, créateur des courses en Slovénie, qui le conseille à Franz Maassen, il signe chez Lotto NL-Jumbo, fin 2015.
« Je n’avais aucune technique. La difficulté majeure fut d’apprendre à rouler en peloton. Au moins dans les chronos je pouvais choisir mes trajectoires. » (l’équipe 2019)
Une ascension fulgurante qui fait grincer des dents
Roglic ne tarde pas à faire parler de lui. Lors du CLM d’ouverture du Giro 2016, il termine à seulement 22 millièmes du vainqueur Tom Dumoulin. Au pays du soupçon permanent, il n’arrange pas son cas en remportant la 9ème étape. Un CLM de 40,5km, lors duquel il bat notamment Fabian Cancellara de 28 secondes. Un changement de vélo à la dernière minute lui permet d’échapper au détecteur de moteur. Cette “affaire” ainsi qu’une autre (un point de chaleur sur sa roue arrière filmé par une caméra thermique) lors des Strade Bianche en 2017 sont autant d’éléments qui alimentent la machine à suspicion. Lui, préfère en rire et répondre sur le vélo.
Il termine 10ème sur le CLM des JO de Rio, 7ème sur celui des Championnats d’Europe et 1er sur celui de son pays. Les bases sont posées, le Slovène est avant tout un rouleur.
Lors de la saison 2017, après avoir remporté le Tour de l’Algarve et finit troisième du Tour de Romandie, il devient le premier Slovène à gagner sur le Tour de France. Favoris de la première étape, il chute et finit loin. Mais il se rattrape lors de la 17ème étape qui amène les coureurs à Serre-Chevalier. Primoz réussit à déposer Alberto Contador dans le Galibier avant de résister au retour des favoris, remportant sa première victoire de prestige. Il finit son année en se hissant sur la deuxième marche du podium lors des Championnats du Monde du CLM derrière Tom Dumoulin. Optant pour un changement de vélo au pied de l’ascension finale, il obtient le meilleur temps sur la montée. Il est finalement un vrai rouleur-grimpeur.
C’est en 2018 qu’il explose aux yeux des suiveurs du cyclisme. Il réussit un grand début de saison avec une victoire d’étape sur Tirreno-Adriatico, 1er du Tour du Pays Basque, 1er du Tour de Romandie (devant Bernal) et gain de son deuxième tour de Slovénie. Le Slovène se présente sur le Tour de France en parfait outsider et revendique le général. Malheureusement Roglic perd du temps dès le CLM par équipe de la troisième étape et va en perdre tout au long des trois semaines. Il prend finalement son destin en main lors de la 19ème étape en attaquant dans la descente de l’Aubisque tel un descendeur de ski. Cette victoire à Laruns lui permet de monter sur le podium mais il perdra sa troisième place au profit de Froome le lendemain sur le dernier chrono individuel. Il termine quatrième du Tour. Comme la suspicion semble être le fil rouge de sa carrière, il lui est reproché d’avoir cette fois-ci bénéficié de l’aspiration d’une moto dans la descente le menant à la victoire.
Après un nouveau podium (3ème) sur le Tour de Grande-Bretagne, il décide de faire l’impasse sur les Championnats du Monde de CLM à Innsbruck afin de viser la course en ligne mais il finit seulement 34ème.
Un apprentissage dans la défaite
Bien qu’il n’ait pas pu se hisser sur le podium d’un Grand Tour, Primoz s’est prouvé qu’il pouvait tenir tête aux meilleurs sur trois semaines. C’est dans cet esprit de conquête qu’il attaque la saison 2019. Objectif avoué, le doublé Giro-Vuelta !
Tel un ogre affamé, il remporte l’UAE Tour, Tirreno-Adriatico et le Tour de Romandie. Rien que ça ! Il arrive en pleine confiance au départ du Giro et assomme la concurrence dès la première semaine et creuse des écarts pharaoniques. Le show Roglic est lancé. Grâce à ses deux victoires dans les contre la montre, il dispose de plus de 1’30 d’avance sur ce que l’on croit être son plus sérieux rival : Vincenzo Nibali. Vont se poser alors deux problèmes pour le Slovène. Il est en forme trop tôt pour une course de trois semaines et les nombreux efforts consentis en début de saison vont peser. Primoz fait également l’erreur de trop se focaliser sur Nibali.
Résultat, il fait l’erreur de laisser partir Carapaz qui avant la 13ème étape est à plus de 3’. L’Equatorien ne laisse pas passer sa chance et renverse le Giro 2019 en quatre étapes (si si certaines tactiques Movistar fonctionnent !). De la 13ème à la 16ème il reprend plus de 5’ à Roglic. Ce dernier perd pied et n’est pas aidé par son équipe (son directeur sportif qui satisfait un besoin personnel au moment de devoir le dépanner sur la fameuse étape de Côme). Le chrono de la dernière étape permet au coureur de la Jumbo de reprendre place sur le podium mais il échoue à nouveau dans sa quête de victoire.
Après un repos mérité en altitude pour refaire des globules rouges, il arrive frais et revanchard sur la Vuelta. Plutôt discret jusqu’à la journée de repos à cause de deux chutes, il se contente de suivre Alejandro Valverde. Mais tel une formule 1, il écrase la concurrence lors du premier chrono individuel et prend la tête du classement général avec une confortable avance. Il gère celle-ci jusqu’à la dernière étape (l’écart au soir de la 10ème étape est quasiment le même qu’au classement final) et devient le premier Slovène a remporter un Grand Tour faisant de lui une rock-star dans son pays. Même les ultra, plus habitués aux stades de Football, se déplacent pour le voir sur le bord des routes.
Il termine l’année en remportant deux classiques Italiennes en plus d’un top 10 au Tour de Lombardie ce qui lui permet de finir l’année 1er au classement l’UCI.
Dominer n’est pas gagner
Fort de son année incroyable, Rogla revendique le leadership à son équipe pour le TdF 2020. La Jumbo-Visma, qui vient de recruter Tom Dumoulin, lui accorde en lui allouant une dream team (Van Aert, Dumoulin, Kruiswijk, Bennett, Kuss, Martin, Gesink). Dans une année tronquée par la pandémie, il devient Champion de Slovénie devant Tadej Pogacar mais s’incline sur l’exercice individuel face à son jeune cadet. Il est contraint d’abandonner le Critérium du Dauphiné à cause d’une chute alors qu’il occupe la première place du général. Il arrive malgré ça en forme pour l’objectif de sa saison : le Tour de France.
Son équipe montre très vite qu’elle est forte, qu’elle peut et va cadenasser la course façon Sky des grandes années. Les ascensions de ce Tour 2020 se feront à la vitesse du train jaune. L’adversaire désigné est Egan Bernal, le vainqueur sortant, et le Team Ineos. A la manière du Giro 2019, Roglic va alors calquer sa course sur celle du Colombien. Mais celui-ci n’est pas en grande forme à cause de problèmes aux dos et il finit par abandonner dans les Alpes après avoir limité la casse dans les Pyrénées. Le Slovène c’est à nouveau trompé d’adversaire. A l’image de Carapaz l’année d’avant, Tadej Pogacar, malgré presque 2′ perdues dans la bordure de Lavaur et une équipe décimée par les abandons, va refaire son retard petit à petit en attaquant dès qu’il en a l’occasion. Même lorsqu’il lâche du temps dans la terrible montée de la Loze, il reste proche au classement.
Le matin du chrono de la Planche des Belles Filles, Roglic dispose de 57 secondes d’avance sur son compatriote. Son exercice favori sur les GT depuis 2 ans ce profil devant lui. 36,2km d’effort solitaire au cours duquel il “doit” conforter son avance. Mais l’impensable se produit. Pogacar se transforme en Roglic des grandes heures et écrase littéralement cette étape. 1’21 d’avance sur Tom Dumoulin, le deuxième de l’étape. 1’56 d’avance sur Roglic qui arrive hagard, livide, casque de travers et qui peine à comprendre ce qu’il vient de lui arriver. Tadej devient le plus jeune vainqueur du Tour de France au terme d’une performance qui restera dans les annales. Il brise le rêve de Primoz. Improbable, à la fois cruel et beau. La dure loi du sport de haut niveau vient à nouveau de frapper devant nos yeux ébahis
Après un 6ème place au Championnat du Monde, le Slovène se relève en remportant son 1er monument, Liège-Bastogne-Liège, au sprint, dans une fin de course rocambolesque. Une belle victoire, peut être la plus dure de sa carrière quand on voit la densité des coureurs présents sur cette course mythique. Gagner un monument est quelque chose d’important dans une carrière surtout pour un coureur spécialisé dans les courses à étapes. Contador n’a par exemple jamais gagné de monument.
Primoz arrive sur la Vuelta avec le même esprit de revanche que l’année précédente. Le Slovène gagne quatre étapes mais continue de traîner un problème récurrent : il n’arrive pas à creuser suffisamment d’écart en montagne. Malgré ses victoires d’étape et une présence impressionnante aux avant-postes (50% d’arrivées dans le top 5 !), il va se faire une frayeur jusqu’à la veille de l’arrivée. Carapaz, encore lui, l’attaque dans l’ultime ascension du Tour d’Espagne et Rogla ne doit son salut qu’à la formation Movistar qui roule sur l’Equatorien. Le Slovène parvient à sauver son maillot rouge pour 24 secondes et gagne sa deuxième Vuelta. Il devient au passage le seul à avoir remporté le maillot rouge et le maillot vert deux ans de suite sur le Vuelta. Doublé monument et GT dans la même année est également un exploit qui n’a été fait que trois fois depuis Jalabert en 1995
Fort de 12 victoires sur l’année, 1 monument, la Vuelta, une 2ème place sur le Tour de France, il finit à nouveau numéro 1 mondial, prouvant qu’il est au sommet de son art malgré sa grosse désillusion en France.
La méthode Roglic et ses failles
Pour un homme qui est devenu professionnel à 23 ans, Elite à 26 ans, ses statistiques sont impressionnantes. Au rayon des chiffres qui donnent le vertige, il est celui qui a le plus de victoires depuis 2018 avec 33 victoires devant son coéquipier Groenewegen (32). Il a remporté une étape sur chaque GT qu’il a disputé et celui qui a acquis le plus de victoires d’étape de GT (11 victoires en 7 GT) depuis 2016 devant Peter Sagan. Il vient de passer devant Froome (46) aux nombres de victoires en carrière avec 47. Devant lui, il a Nibali et ses 15 ans de carrière à 52 victoires et loin devant, l’inatteignable Valverde avec 127 victoires.
Depuis sa victoire d’étape sur Tirreno-Adriatico 2018, voici les classements obtenus sur des courses à étapes :
Course | Résultat |
Tour du Pays Basque 2018 | 1er |
Tour de Romandie 2018 | 1er |
Tour de France 2018 | 4e |
UAE Tour 2019 | 1er |
Tirreno-Adriatico 2019 | 1er |
Tour de Romandie 2019 | 1er |
Giro 2019 | 3e |
Vuelta 2019 | 1er |
Tour de France 2020 | 2e |
Vuelta 2020 | 1er |
A 31 ans, Primoz est à son climax. Etant depuis peu dans le cyclisme professionnel, il ne ressent pas la lassitude ou le poids des années. Son style rouleur, qui lui permet de créer des écarts importants sur CLM, est particulièrement intéressant sur des courses d’une semaine ou l’écart créé est suffisant pour obtenir la victoire au classement général. C’est sur les courses de trois semaines qu’il doit encore progresser tactiquement et peut-être changer son approche de la course. Lui-même a déclaré après le Tour de France qu’il n’avait peut-être pas assez fini le travail avant ce fatidique chrono de l’avant dernière étape. Etre plus tueur et moins suiveur.
En effet, jamais Roglic n’a repris plus de 13 secondes à un adversaire en montagne. C’est un coureur complet qui grappille des secondes (merci les bonifications) dès qu’il le peut mais hormis sur l’effort individuel, il ne peut ou ne veut pas reprendre du temps à ses adversaires en montagne. Pour pallier cette “lacune”, il peut s’appuyer sur une armada impressionnante, qui impose des montées au train infernales, empêchant toute velléité adverse. Cette tactique, qui colle parfaitement aux qualités du Slovène a pour but d’empêcher les changements de rythme. La montagne est donc son talon d’Achille. Pogacar l’a montré sur le Tour de France, Carapaz sur le Giro 2019 et la Vuelta 2020. Primoz est humain, a des défaillances et lâche du temps en montagne.
Le Slovène de la Jumbo n’est peut être pas le plus talentueux, mais il est appliqué, discipliné, ultra professionnel et se comporte en véritable leader. Pour autant cette tactique du petit gain de secondes a des contreparties et il l’a payé au Tour de France cette année. A force de ne pas réussir à se mettre à l’abri, la moindre défaillance se paye cash. A trop contrôler, il finit par perdre du panache et il faudra sûrement qu’il évolue à l’avenir afin de ne pas connaître d’autres déconvenues.
Enfin pour les sceptiques qui pensent que c’est son équipe qui fait tout, aucun autre coureur de la Jumbo n’a remporté de classement général sur la période de règne du Slovène. Il a donc peut être la meilleure équipe du plateau actuel, mais il est également un parfait chef de file et la meilleure chance de figurer au général d’un GT pour le moment.
Si Primoz Roglic avait remporté le Tour de France, ça aurait été la victoire de son équipe. Il l’a perdu de façon incroyable, c’est de sa faute. Ce coureur, qui est une véritable idole dans son pays, est la parfaite tête de Turc : il n’est pas issu du sérail du cyclisme, vient d’un pays inconnu sur la carte du cyclisme mondial, dispose d’une équipe trop forte et donc impopulaire. Et pourtant ce coureur est un immense champion qui a su relever la tête à chaque fois qu’il a subi des échecs. Beaucoup se seraient écroulés, lui a relevé la tête en accrochant un monument et une deuxième Vuelta. Le Vélo d’Or qu’il a remporté cette semaine vient logiquement récompenser le coureur le plus complet et dominant des deux dernières années. Nous n’avons pas fini de le voir gagner sur les épreuves du World Tour. Bravo in se vidimo prihodnje leto Primoz Roglic