Petit retour hebdomadaire sur les acteurs et les évènements qui ont fait de chacune des décennies de l’histoire de la NFL des périodes uniques de son évolution. À commencer par les années 1920, véritable bouillon de football approximatif et de soucis financiers en tout genre.
Le 5 décembre 1920, il y a cent ans presque jour pour jour, la NFL voyait sa toute première saison historique se conclure par une myriade de shutouts ennuyeux devant des foules de quelques milliers de personnes seulement. Aujourd’hui, un siècle est passé et la modeste organisation fondée à Canton est devenue la ligue de sport la plus lucrative de l’histoire. Année après année, décennie après décennie, elle a su s’imposer comme le passe-temps favori des Américains et aura laissé une trace indélébile dans le paysage culturel du pays.
Les 1920s en résumé
Pour comprendre l’origine de la National Football League, il faut remonter quelques années en arrière. À l’aube du XXe siècle, le football professionnel commence à se démocratiser dans les États du Midwest, et particulièrement dans l’Ohio et dans l’Illinois où des équipes rémunérées voient le jour un peu partout. Au fil des années, l’engouement grandi autour de ces formations, toujours prêtes à mettre la main au portefeuille pour s’offrir les services des meilleurs joueurs du pays. Mais alors que la demande croît avec insistance, le nombre d’athlètes d’exception ayant choisi le ballon ovale plutôt que le baseball reste limité et les salaires augmentent ainsi exponentiellement sans réels moyens de les contrôler.
Le 20 aout 1920, ce sont quatre propriétaires de clubs au bord de la faillite qui vont initier le projet qui deviendra à terme l’une des plus grandes ligues de sport de tous les temps. Dans un petit garage de Canton, les représentants des Bulldogs locaux, des Dayton Triangles, des Cleveland Tigers et des Akron Pros imaginent une organisation professionnelle de football avec des règles clairement établies vis-à-vis des salaires, des mouvements de joueurs entre les différentes équipes et du recrutement universitaire.
Un mois plus tard, le 17 septembre, les quatre fondateurs seront rejoints dans leur projet par dix autres franchises en quête de stabilité financière :
- Les Decatur Staleys (futurs Chicago Bears)
- Les Detroit Heralds
- Les Buffalo All-Americans
- Les Rock Island Independents
- Les Chicago Cardinals
- Les Chicago Tigers
- Les Rochester Jeffersons
- Les Muncie Flyers
- Les Hammond Pros
- Les Columbus Panhandles

Le 26 septembre, l’association est prête à donner son coup d’envoi, la NFL est née.
Pour ses premières années, la ligue de football n’a d’« organisation » que le nom. Tous les membres se sont accordés sur des règles majeures, certes, mais pour le reste, c’est le chaos qui règne. Chaque franchise joue un nombre de matchs complètement aléatoire, les rencontres peuvent être disputées n’importe quel jour et contre n’importe quelle équipe du pays (pas forcément membre de la ligue), et le classement définitif est établi de manière subjective par les propriétaires à la fin de chaque saison. Ainsi, sans système de playoffs, il n’est pas rare de voir jusqu’à quatre clubs différents réclamer le titre en janvier, pour le plus grand malheur des fans qui n’y comprennent pas grand-chose.
Dans les bas-fonds des classements, la situation est tout aussi instable. Avec un nombre de spectateurs plus que limité (moins de 2 000 personnes en moyenne), la grande majorité des équipes s’effondre financièrement et quitte la ligue prématurément. Pendant huit saisons, la NFL verra ainsi ses membres se renouveler chaque année sans jamais trouver une base stable sur laquelle s’appuyer. Il faudra finalement attendre la fin de la décennie et un plan ingénieux du président Joseph Carr pour permettre à l’organisation d’y voir un peu plus clair. En excluant les plus petites villes (les plus fragiles financièrement) et en intégrant des franchises dans les métropoles de New York ou de Philadelphie, il donnera à l’association une véritable direction à suivre pour les années futures.
Si la situation est compliquée en coulisse, elle n’est pas vraiment plus glorieuse sur les terrains. En 1920, le football ne fête que ses cinquante ans d’existence et les règles que l’on connait aujourd’hui ne sont pas encore appliquées sur les pelouses boueuses du Midwest. À l’époque, interdiction de lancer le cuir si l’on ne se situe pas à cinq yards derrière la ligne de scrimmage, une passe réceptionnée dans l’en-but rend le ballon à l’adversaire et chaque action reprend à l’endroit exact où le porteur de balle s’est fait plaquer (même si c’est à quelques centimètres de la ligne de touche). Avec des fautes allant jusqu’à 25 yards de pénalité et un ballon surdimensionné presque impossible à lancer, des pluies de punt s’abattent sur la plupart des matchs qui finissent en shutout, ou pire, en médiocres 0-0.
À l’arrivée, les années 1920 auront surtout servi de brouillon aux instances de la NFL. Marquées par un piètre spectacle sur les terrains et un chaos total dans les couloirs de l’association, elles auront vu l’émergence des Cardinals, Bears, Packers et Giants et auront permis de construire les fondations de l’organisation si populaire aujourd’hui.
Et si la première décennie du grand récit de la ligue a été relativement oubliable par rapport à ses successeuses, elle aura tout de même révélé au monde certains des acteurs les plus importants de l’histoire.
L’équipe de la décennie : Les Canton Bulldogs
Première franchise à avoir réalisé le back-to-back, les Canton Bulldogs ont également le mérite d’avoir été l’équipe la plus importante de la genèse NFL. En effet, c’est véritablement sa grande rivalité avec la commune voisine de Massillon qui a permis au football professionnel de construire un engouement certain dans le Midwest à l’aube du siècle dernier. Portée par le célébrissime coureur Jim Thorpe (deux fois médaillé d’or aux JO de 1912 et Hall of Famer), puis par le non moins talentueux Guy Chamberlin au début de la décennie, elle aura écrasé la concurrence en 1922 (10-0-2) avant de réitérer un an plus tard avec le bilan encore plus flatteur de 11-0-1. Malheureusement, dans les années 1920, le succès sportif n’est pas toujours synonyme de succès populaire, et 1924, un an seulement après son deuxième titre, la franchise sera vendue sous la contrainte financière et disparaitra au milieu de la décennie.
Aujourd’hui inconnue du grand public, la grande équipe de Canton aura tout de même marqué la NFL de son empreinte et son court triomphe aura été un argument de taille lors du choix de l’emplacement du Pro Football Hall of Fame.
Le joueur offensif de la décennie : Red Grange
Présent dans l’effectif des Chicago Bears en 1925 puis entre 1929 et 1934, le Galloping Ghost aura été le plus gros artisan du succès de la ligue lors de la décennie inaugurale. Véritable star au poste de Runningback dans la faculté de l’Illinois, il est le premier joueur universitaire majeur à rejoindre les professionnels en 1925.
Accompagné partout par son agent véreux, le détesté C.C. Pyle, il entamera sa carrière en NFL par une longue tournée de dix-sept rencontres en l’espace de deux mois à travers tout le pays. Si ses performances sur le terrain sont plutôt correctes, c’est surtout sa popularité qui profitera à la ligue lors de ces huit semaines de folie. Aux quatre coins des États-Unis, des dizaines de milliers de personnes se presseront dans les stades pour tenter d’apercevoir le Runningback aussi rapide qu’insaisissable.
À l’issue de sa grande tournée (et de sa carrière neuf ans plus tard), la NFL aura complètement changé de statut et sera reconnue dans tous les foyers américains pour la première fois de l’histoire.
Le joueur défensif de la décennie : Cal Hubbard
Il y a cent ans, les gabarits qui peuplaient la ligue de football n’avaient pas grand-chose à voir avec ceux des monstres physiques que l’on retrouve sur les rectangles verts aujourd’hui. À l’époque, le poids moyen d’un joueur de ligne est de 78kgs et celui d’un coureur est généralement proche des 65 unités. Alors quand Cal Hubbard (1m95 et 115 kg) rejoint les Giants en 1927, il a tout de suite un impact considérable sur les terrains NFL.
Avec sa vitesse exceptionnelle pour sa taille et sa capacité de lecture hors du commun, il est dévastateur contre les attaques adverses et mène New York à une saison défensive inégalée dès sa campagne rookie. Sur l’ensemble de l’année, vingt points seulement seront encaissés par les bleus et rouges qui courront vers leur premier titre historique.
Hubbard ne s’arrêtera pas là. En 1929, il rejoindra les Green Bay Packers et deviendra le leader de la première équipe de l’histoire à être sacrée lors de trois saisons consécutives (1929-1931).
Le coach de la décennie : George Halas

Comment évoquer quelqu’un d’autre que Papa Bear pour cette distinction ? À la fois joueur, coach et propriétaire des Chicago Bears pendant l’ensemble de la décennie, il aura mené les siens au deuxième titre de l’histoire de la ligue en 1921 et les aura placés deuxièmes au classement général à six autres reprises.
Mais plus que pour son succès sur le terrain, c’est surtout pour ses nombreuses innovations que Mr Everything mérite d’être le coach de la décennie. Toujours en quête d’excellence, il aura été le premier à intégrer des tactiques révolutionnaires comme la T-Formation, à étudier les vidéos de matchs ou à placer des assistants dans les tribunes pour lui donner des retours sur son équipe en temps réel.
Tout cela sans même mentionner son incroyable influence en tant que décisionnaire majeur des opérations sportives de la NFL.
La tactique de la décennie : la Single-Wing Formation
Oubliez les Quaterbacks géniaux, les Receveurs dominants, ou les Tight-End athlétiques. Pour l’intégralité de la première décennie de la NFL, toutes les équipes utilisaient la Single-Wing comme base unique de leur jeu offensif.

Dans cette forme rudimentaire de football, la ligne offensive est composée de sept joueurs (deux du côté faible et quatre du côté fort) et le backfield est peuplé par quatre backs ayant pour objectif de porter le ballon ou de bloquer les défenseurs au point d’attaque.
À chaque action, le ballon est snapé directement dans les mains du Tailback qui a alors le choix de courir derrière ses dix coéquipiers ou de passer le ballon aux autres backs (avec plus ou moins de réussite).
Le match de la décennie : Giants — Bears 1925
En 1925, la NFL a beau exister depuis cinq années déjà, elle ne s’est pas pour autant débarrassée de la continuelle menace de faillite générale. Avec seulement quelques milliers de fans présents chaque semaine dans les tribunes et des clubs qui quittent le navire à un rythme insoutenable, le futur de la ligue de football ne tient plus qu’à un fil : une intégration réussie dans les gros marchés du pays. Seulement voilà, après deux petits mois de compétition, les Giants sont au bord de la faillite et doivent absolument combler leurs milliers de dollars de perte sous peine de mettre la clef sous la porte définitivement.
Le 6 décembre, c’est donc le match de la dernière chance qui oppose les Bears de Red Grange et George Halas aux hommes de Tim Mara dans le Polo Grounds new-yorkais. Par chance, le simple nom du Runningback de Chicago permet d’attirer une foule de 70 000 personnes dans l’enceinte du stade, la plus grande jamais recensée dans l’histoire du football professionnel à l’époque.
Grâce une performance complète de la part de la vedette (qui terminera la rencontre avec 53 yards à la course et un touchdown marqué sur interception), les Bears s’imposeront sur le score de 19-7 et les Giants réussiront à combler toutes leurs pertes financières avec une recette de billets vendus record. Plus que n’importe quel autre, c’est véritablement ce match qui aura sauvé la vie de la National Football League à ses débuts.
« L’aération du jeu grâce aux passes en avant a fait du football un beau spectacle qui peut désormais être mis à profit. Red Grange a permis d’attirer les spectateurs, mais c’est le match 1925 en lui-même qui a réussi à en faire des fans ». — The New York World
Le défi de la décennie : L’American Football League I
En 1926, quelques semaines seulement après la fin de la grande tournée de match des Bears, Red Grange se présente devant George Halas pour une nouvelle série de négociations. En deux mois, la vedette avait beau avoir gagné plusieurs centaines de milliers de dollars grâce à son contrat basé sur un pourcentage des billets vendus, mais pour son agent C.C. Pyle, ce n’était toujours pas assez.
Sûr de lui, le manager demande au propriétaire de Chicago des parts financières dans la franchise pour que son client reste dans l’Illinois. Mais alors que George Halas refuse la proposition avec fermeté, Pyle est piqué dans son égo. Lui qui n’avait jamais été renié par quiconque repart de la réunion avec la rage au ventre.
« S’ils ne veulent pas de moi, tant pis, je vais leur montrer en formant ma propre franchise, pense-t-il. Non. Encore mieux. Je vais créer ma propre ligue. »

En septembre 1926, la NFL rencontre alors sa première grande rivale : l’American Football League. Portée par C.C. Pyle et, surtout, par l’incontournable Red Grange, elle compte neuf équipes dans ses rangs, dont les New York Yankees, club fondé par les deux renégats et concurrent direct des Giants dans la Grosse Pomme.
Dans un premier temps, la nouvelle association s’impose comme la plus grande menace de la jeune ligue. Grâce à la popularité du Runningback vedette, elle ne met pas longtemps avant d’attirer plus de spectateurs dans ses stades que l’organisation originelle et après quelques mois, plusieurs clubs NFL font faillite alors que les fans ont déserté les tribunes par centaines.
Heureusement, les difficultés rencontrées par les collègues de George Halas ne sont pas inconnues de Pyle et de son projet. Dans l’AFL aussi, les pertes se comptent en dizaines de milliers et les néo-propriétaires n’attendent pas longtemps avant de mettre la clef sous la porte. Au début du mois de décembre, seuls les Quakers de Philadelphie et les Yankees de Grange sont encore en vie.
Finalement, le coup fatal viendra des Giants qui, dans un match de gala, battront à plates coutures les Quakers, annihilant ainsi la crédibilité de l’AFL et tous ses espoirs de prospérités.
Résignés, Pyle et les Grange abandonneront finalement leur projet et reviendront en NFL la queue entre les jambes… après avoir couté des milliers de dollars à l’organisation, la menaçant ainsi d’extinction.
Le changement de règle de la décennie : Les trois règles fondatrices
Le 20 aout 1920, lorsque les représentants des quatre franchises fondatrices se rencontrent à Canton dans l’idée de créer une ligue de football, tous s’accordent directement sur un point majeur : «Il faut absolument réussir à contrôler la spirale infernale des transferts dans le monde du football ».
Depuis la première rémunération d’un joueur de football en 1892, les salaires n’avaient fait qu’augmenter exponentiellement aux États-Unis. À tel point que les meilleurs footballeurs changeaient d’équipe chaque année en demandant des sommes de plus en plus exorbitantes et, ainsi, empêchaient les clubs les plus modestes de s’imposer à long terme sous le feu des projecteurs.

Pour pallier ce problème majeur qui gangrenait la discipline depuis de trop longues années, les fondateurs imposent tout de suite trois règles qui dicteront la majeure partie de l’histoire du football moderne :
- Interdiction totale de signer des joueurs d’autres équipes membres de la ligue
- Instauration d’un maximum salarial pour les joueurs de l’organisation
- Interdiction de recruter des joueurs encore éligibles à jouer à l’université.
L’action de la décennie : Le George Sullivan Play
En cent ans, la NFL nous a offert un paquet d’actions plus mémorables les unes que les autres, mais aucune n’est aussi étonnante à découvrir que le touchdown inscrit par le joueur des Yellow Jackets George Sullivan contre les Packers en 1925.
Après avoir lancé une passe de cinq yards à son coéquipier Two Bits Hornan, le Tailback de Frankford court le long de la ligne de touche, et avant même que la défense de Green Bay puisse atteindre Hornan, ce dernier renvoie la balle en arrière vers Sullivan qui, désormais seul, peut continuer sa course jusqu’à la zone d’en-but.
Sur la feuille de statistique, on pourra lire : Passe de George Sullivan en direction de George Sullivan pour 45 yards et un touchdown.
Entre niveau de jeu approximatif et défection par dizaines, les années 1920 ont été particulièrement compliquées en NFL. Mais grâce à la détermination des propriétaires originels, et au plan sans faille du président Joseph Carr, la ligue de football est parvenue à en sortir indemne. En 1930, alors que le nombre de membre a été réduit à 10 franchises, elle aura un tout nouvel objectif en ligne de mire : celui de s’imposer définitivement dans le cœur des américains.