Ligue 1

Ruffier & l’ASSE : chronique d’une idylle brisée

La nouvelle n’a étonné personne. Depuis de longs mois maintenant, le divorce entre l’AS Saint-Etienne et son historique gardien de but Stéphane Ruffier est consommé. Ce déchirement est la conséquence de plusieurs facteurs, tant sportifs qu’économiques, et ne laissait plus aucune place à la réconciliation. Mais plutôt que de régler les désaccords présents par un transfert simple, les deux parties se sont engagées dans un bras de fer dévastateur pour l’image de chacun. Alors que le portier international était il y a peu considéré comme un taulier du club, il était mis au placard cette année, humilié dans la presse, désavoué par les fans… Récit d’une rupture aussi brutale que logique, dont le dénouement devrait avoir lieu le 15 décembre.

Ruffier au panthéon de l’ASSE

Arrivé à l’été 2011 en provenance de Monaco, Stéphane Ruffier n’a pas tardé à conquérir le Chaudron. Successeur de l’icône Jérémie Janot, il s’impose naturellement comme le numéro un dans les cages stéphanoises. Il vit huit ans de règne indiscuté à l’ASSE. Taulier de la défense avec Loïc Perrin devant lui, le gardien de but international va permettre aux Verts de se hisser dans le haut du tableau français, qualifiant le club pour plusieurs campagnes européennes. Plus encore, il joue un rôle primordial dans le titre stéphanois en Coupe de la Ligue 2013. Après trois rencontres consécutives départagées aux tirs au but (Lorient, PSG, Lille), il maintient sa cage inviolée en finale face au Stade Rennais. Les Verts s’imposent 1-0 grâce au but de Brandao. Avec plus de 380 matchs dans les buts de l’ASSE, Stéphane Ruffier est l’un des joueurs emblématiques des années 2010 dans le Forez. Pour preuve, il a été élu “Joueur de la décennie” par les fans du club dix fois champion de France. Il est l’un des meilleurs gardiens de Ligue 1 sur cette période. Adulé par ses supporters, Stéphane Ruffier n’en était pas moins redouté par ses adversaires. Massif, imposant, dominateur, le portier stéphanois était maître de sa surface, n’hésitant pas à voler aux devants de ses opposants pour maintenir sa cage inviolée. Mais Ruffier n’est pas un orateur. Il n’aime pas communiquer. C’est justement ce point-là qui a officialisé la rupture entre son clan et le nouvel entraîneur des Verts : Claude Puel.

Lorsque Puel reprend les rênes de l’ASSE, le club va mal. Le technicien castrais parvient à obtenir des résultats probants lors de son arrivée, dont une victoire 1-0 dans le Derby. Mais la dynamique ne tarde pas à s’essouffler, et les tensions surgissent. La mission qui est confiée à Puel est simple : maintenir le club en Ligue 1, faire le ménage parmi les plus gros salaires du club et construire un groupe capable de progresser à moyen et long terme. En tant que manager général du club, Puel a une influence sur la direction sportive générale. Dans la chasse aux sorcières entamée, Stéphane Ruffier est une des premières cibles. Jugé trop peu décisif au cours de ses derniers mois, Ruffier est écarté et les rumeurs courent : retard aux entraînements, altercations avec son coach, refus d’aider Jessy Moulin le nouveau portier titulaire… Rien ne va plus.

Claude Puel ne fait pas dans les sentiments, il impose sa patte (Photo : Anthony Dibon/Icon Sport)

Les interrogations sont diverses, mais la première est simple : peut-on reprocher à un gardien de refuser le rôle de doublure ? On peut d’un côté estimer que la concurrence fait partie intégrante du sport, qu’elle est même bénéfique aux joueurs. Ainsi poussé par un coéquipier, on se surpasse, on progresse, on s’affirme. Mais doit-on juger un gardien de but à l’égal d’un joueur de champ ? A cette seconde question, la réponse est plus nuancée. Un gardien de but est exposé, il a besoin de sentir une pleine confiance pour pouvoir performer à la hauteur de ce qu’il vaut. De ce point de vue là, écarter l’historique gardien titulaire pour le mettre sur le banc peut être mal compris. Être numéro 2, c’est un métier différent, un état d’esprit radicalement contraire. Et Stéphane Ruffier n’en veut pas.

La guerre est déclarée

Cette histoire aurait pu seulement émouvoir les suiveurs de Sainté, les fans inconditionnels de Stéphane Ruffier. Toutefois, cela va bien plus loin. Scandalisé par les méthodes de Claude Puel, le « clan Ruffier » et en premier lieu son agent Patrick Glanz ne tarde pas à réagir, et met de l’huile sur un feu déjà bien vif.

« Claude Puel crache au visage d’une légende de Saint-Etienne »

Patrick Glanz à L’Equipe

La guerre des mots commence, et à ce petit jeu là, l’entourage de Stéphane Ruffier ne fait pas dans la demi-mesure. A force d’une communication cinglante, virulente et personnelle, l’agent de Stéphane Ruffier isole son protégé. Le gardien de but se retrouve opposé non seulement à son entraîneur mais à tout le reste du club. Les supporters n’ont pas oublié les belles années de Ruffier, mais ils ont été témoins de ses méformes, des ses humeurs et surtout de l’état d’esprit nouveau qu’a insufflé Puel. Les voix « anti-Ruffier » prennent de l’importance. Alors que Puel exige des excuses, Ruffier se terre dans le silence et les dirigeants de l’ASSE entrent dans un jeu dangereux, celui de l’humiliation. Les moyens employés pour lui faire prendre la porte sont contestables. A plusieurs reprises, le gardien de but est mis à pied: retard à l’entraînement, non-port du masque dans les tribunes… Alors que le clan Ruffier plaide pour une réintégration au groupe pro, le club s’y oppose. Tout cela pour quoi ? Pour dégraisser. Stéphane Ruffier est l’un des plus gros salaires du club, et en ces temps particulièrement durs financièrement pour l’ASSE – comme pour d’autres clubs français – il faut évacuer au plus vite les gros chèques. Pour ne pas payer de compensation financière, le club cherche la « faute grave ». Et à force de chercher, il semblerait qu’ils l’aient trouvé.

Triste sortie pour l’un des plus grands joueurs de l’ASSE du 21è siècle (Image : Le10Sport)

Cet épisode met en exergue une tendance du football moderne : les oppositions parfois brutales entre un joueur et son employeur. Si tout le monde a en tête la risible obstination d’Hatem Ben Arfa au Paris Saint-Germain, il faut bien constater que les choses se passent parfois d’une toute autre manière. Le club de la capitale a connu le feuilleton Adrien Rabiot, qui lui aussi désirait honorer son contrat jusqu’à son terme malgré sa mise à l’écart. Du point de vue du joueur, comment peut-on se voir reprocher de tenir les engagements de son contrat? C’est en effet l’une des dérives de ce sport. En faisant la part belle aux contrats les plus juteux, les clubs s’engagent parfois en oubliant les hypothétiques ruptures au sein d’un vestiaire. Peut-on garder un joueur contre son gré? Peut-on pousser dehors un joueur qui veut rester? Mesut Ozil ne dispute plus le moindre match avec les Gunners de Mikel Arteta, toutefois il reste l’un des plus gros salaires d’Arsenal. Que peut-on lui reprocher contractuellement? Les considérations humaines sont de moins en moins étudiées et prises en compte. Même au sein d’un club à la fameuse réputation familiale, les relations se distendent parfois, et s’enveniment. L’ASSE veut récupérer de l’argent, Stéphane Ruffier veut respecter son contrat.

Stéphane Ruffier refuse d’être numéro 2. Soit. Un épisode semblable l’avait déjà concerné en Equipe de France. On lui prêtait un refus catégorique d’être appelé en Bleu pour faire le nombre sans jouer un match. Sur ce sujet-là, on ne l’a jamais entendu non plus. On dit parfois que le silence constitue le pire des aveux. Malgré tous les bruits qui courent sur lui et son caractère bien trempé, il n’a jamais (ou trop peu) pris la parole pour affirmer ses positions et mettre au clair des situations obscures. On pourrait dire la même chose de Neymar, dans une autre mesure, qui laisse courir les bruits le concernant sans s’exprimer. Quand certains s’enferment dans une communication exacerbée pour faire parler leurs intérêts et leur volonté, d’autres comme Stéphane Ruffier s’isolent au détriment de leur image auprès des fans abandonnés aux supputations médiatiques.

Quel avenir pour la Ruff’ ?

Plus que probablement licencié par l’ASSE, que va faire Stéphane Ruffier ? Lui qui refusait tout transfert vers un autre club pour pouvoir rester dans la région stéphanoise et ainsi maintenir un cadre familial stable n’a plus le choix : s’il veut continuer à jouer au football, il va devoir partir. Mais qui aujourd’hui va pouvoir (vouloir) engager l’ex-stéphanois ? Stéphane Ruffier est un grand gardien. C’est une certitude. Mais ses plus belles années son derrière lui, et son divorce plus que mouvementé avec les Verts ne plaide pas en sa faveur. S’il refuse le rôle de numéro 2 et ne revoit pas ses exigences salariales à la baisse (180 000 € par mois), il semble difficile de le voir évoluer en Ligue 1 à l’avenir.

On l’a tour à tour envoyé à Bordeaux et à Lille cet été, mais Benoît Costil et Mike Maignan occupent tout deux une place primordiale dans leurs clubs. Son nom est revenu avec insistance du côté de Dijon après le départ d’Alfred Gomis, mais Saturnin Allagbé est arrivé en provenance de Niort. Reste le Nîmes Olympique qui pourrait avoir besoin d’un renfort dans les cages, Baptiste Reynet n’étant pas impérial. Tentera-t-il une expérience à l’étranger ? Loin des médias français qui ne l’ont jamais réellement compris, il pourrait retrouver goût au football et s’épanouir comme numéro 1. Lui qui avait été tenté par l’aventure que lui proposait Rudi Garcia à la Roma il y a quelques années, va peut-être enfin se risquer à une histoire hors de France.

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