Un retour de service côté revers qui surprend le canadien Vasek Pospil en le poussant à la faute : c’est ainsi que le prodige Jannik Sinner écrivit l’histoire. Le 14 Novembre à Sofia, il devient le premier joueur né dans les années 2000 à remporter un titre ATP. Rien que ça. Véritable virtuose du tennis moderne, l’éclosion de Sinner est à mettre en écho avec un constat plus large côté italien : une génération est en train de s’imposer. En effet, depuis quelques années, le tennis italien masculin traverse une période délicate, entre inconstances au haut-niveau, manque d’ambitions et de moyens. Mais l’horizon semble désormais s’éclaircir et les espoirs sont maintenant portés par le duo Berrettini/Sinner, sans oublier les performances de joueurs comme Lorenzo Sonego qui commencent à prendre la pleine mesure de leur potentiel sur le circuit. A côté des florissants contingents canadiens et russes, les tennismans azurris sont-ils enfin prêts à mener la danse ?
Un blason à redorer
Remonter sur le devant de la scène. Tel est l’objectif de la fédération italienne, qui a pour ambition de montrer un meilleur visage sur la scène internationale, en tournois ATP comme en Coupe Davis. Pour cette dernière, la disette est longue. Très longue. Une seule victoire pour l’équipe italienne dans la quête au saladier d’argent, en 1976. Trop long pour une nation historique du tennis. Après les icônes mythiques des années 60/70 comme Nicola Pietrangeli et Adriano Panatta, tout deux vainqueurs de Roland-Garros, aucun italien ne s’est imposé en Grand Chelem. Plus généralement, les espoirs transalpins sur le circuit reposent uniquement ses dernières années sur le fantasque Fabio Fognini, vainqueur du tournoi de Monte-Carlo en 2019. Mais depuis 2 ans et la demi-finale improbable de Marco Cecchinato Porte d’Auteuil, qui a peut-être agi comme un déclic, la nouvelle génération prend ses aises et affiche des performances plus régulières, à l’image du talentueux Matteo Berrettini. De son côté, la fédération développe de nouveaux moyens pour aider ses plus jeunes athlètes. L’exemple le plus récent ? La mise en place d’un centre technique en Toscane chargé de détecter et de former les talents de demain.
Avec aujourd’hui pas moins de huit joueurs dans le top 100, l’Italie peut enfin viser plus haut, autour d’un trio mêlant talent et expérience.
Matteo Berrettini, le leader technique
A l’heure où l’on se parle, Berrettini est le joueur sur lequel repose les performances de l’équipe italienne en coupe Davis et en ATP Cup, compétition créée l’an dernier et qui fut une réussite. Le staff ainsi que la fédération lui ont donné les clés du camion, à lui de le diriger. Et ce n’est pas un hasard. Finissant cette année 2020 au dixième rang mondial, il est le représentant italien le mieux classé et se fait une place de plus en plus grande sur le circuit ATP. Sa saison 2019 fut exceptionnelle : il se qualifie pour les Masters en fin d’année, surfant sur deux victoires en tournoi 250, une demi-finale à l’US Open et prouvant qu’il peut rivaliser avec les meilleurs, en atteste ses victoires contre Alexander Zverev et Dominik Thiem, entre autres. Sa saison 2020 a été plus compliquée, entre manque de rythme suite à l’arrêt de la saison et soucis physiques, notamment une blessure à la cheville qu’il a longtemps traînée.
« Peut-être que j’ai eu un peu de mal à me fixer sur mon classement. Tout ce que j’ai fait en 2019 était inattendu, mérité, mais inattendu, et je suis quelqu’un qui a besoin de matchs, de tournois, pour accélérer le rythme »
Mattéo Berrettini lors d’une interview pour la Gazetta dello Sport.
Néanmoins, le romain de 25 ans reste un joueur très solide en fond de court avec une large variété de coups, une bonne consistance au filet ainsi qu’un toucher efficace, notamment sur amorties. Polyvalent, il a montré qu’il pouvait être à l’aise sur toutes les surfaces comme en atteste ses trois titres sur le circuit, remportés sur terre et sur gazon. S’il récupère bien mentalement et physiquement, nul doute qu’il sera un des hommes à suivre en 2021.
Jannik Sinner : le futur grand
Le phénomène du moment. Comment ne pas voir en lui le potentiel d’un futur numéro 1 mondial ? Serveur costaud, propre dans l’échange et doté d’un coup droit terriblement puissant et précis, l’Italien a confirmé cette saison tout les espoirs placés en lui l’an dernier suite à sa victoire dans le tournoi NextGen qui réunissait les huit meilleurs joueurs de moins de 21 ans. La saison 2020 fut pour lui la saison de l’émancipation plus que de l’éclosion, démontrant au monde entier qu’il est plus qu’un simple espoir du top 60/80 : il fait bel et bien parti de ses joueurs à part, de par leur talent et leur technique tennistique pure mais aussi de par sa maturité et sa capacité à appréhender chaque rencontre. Car Sinner ne nourrit aucun complexe à seulement 19 ans. Un premier titre ATP on l’a dit, mais surtout une saison prodigieuse pour un gamin aussi précoce : une demi-finale à Cologne où il fut défait par le maître des lieux Alexander Zverev, mais surtout un parcours plein d’autorité à Roland-Garros (tombeur notamment de ce même Zverev) et battu en quarts de finale par un Rafael Nadal en mission. Si l’on est tous en droit de s’enflammer au sujet de ce joueur, il possède bien évidemment une immense marge de progression et plusieurs axes à améliorer, notamment sa tendance à vouloir conclure le point trop vite.
Mais si le natif de San Candido continue à garder cette exigence envers lui-même et cette approche mentale du haut-niveau, nul doute qu’il atteindra des sommets, même si désormais les caméras seront braquées sur lui. Comme il l’a dit après sa victoire à Sofia, le plus dur commence.
Fabio Fognini, le chef de file
Qui d’autre que le 17 ème mondial pour accompagner la nouvelle génération transalpine et leur transmettre son vécu ? A 33 ans, Fognini a le recul nécessaire et l’expérience pour encadrer cette équipe italienne en Coupe Davis, qu’il emmena en demi-finale en 2014. Il a obtenu son meilleur classement au cours de la saison dernière au 10 ème rang, et donne l’impression de se bonifier avec le temps. Car malgré ses grosses failles mentales et un comportement souvent provocateur, le controversé azzuri reste un excellent joueur de terre battue aux coups puissants grâce à sa prise de balle précoce et un revers agressif. Endurant, mobile et accrocheur, Fognini est l’archétype du tennisman transalpin, et a pour mission de transmettre cette énergie aux jeunes pousses azzuris. Pour autant, le joueur ne veut pas se contenter d’un rôle d’ancien et possède toujours des objectifs élevés sur le circuit, preuve qu’il lui reste encore quelques belles années. Son changement de staff à l’intersaison est l’illustration de cette volonté. Son nouveau coach, l’argentin Alberto Mancini, a affirmé sa volonté de travailler sur le service encore perfectible de son nouveau poulain, et se montre convaincu que Fognini peut encore être un « joueur de premier plan ». Entre son ambition personnelle et son rôle de mentor avec l’équipe italienne, l’italien risque d’avoir une saison 2021 passionnante.
Quand un Lorenzo en appelle un autre…
Derrière ce trio de stars censé porté haut les couleurs transalpines, d’autres joueurs semblent aussi progresser à vitesse grand V pour bousculer les cadors du tennis mondial. Lorenzo Sonego en fait parti. Dans la lignée de son année 2019 où il fut titré à Antalya en Turquie, il a réalisé une saison 2020 de haut-vol confirmant tout son potentiel. Un huitième de finale à Roland et un brillant parcours à Vienne pour se hisser jusqu’en finale, en battant notamment Daniel Evans et le numéro un mondial Novak Djokovic, excusez du peu. A 25 ans, le numéro 33 mondial, vrai tacticien, semble avoir franchi un véritable cap dans sa façon de jouer. En tout cas, on a déjà hâte de voir le turinois prendre son envol en 2021.
De son côté, Lorenzo Musetti est vu comme l’autre grand espoir italien, à seulement 18 ans. Vainqueur de l’Open d’Australie Junior en 2019, il s’est qualifié cette année pour ses premiers tournois ATP et enregistré ses premières victoires, éliminant au passage Stanislas Wawrinka et Kei Nishikori à Rome. Musetti affiche déjà une belle variété de coups, couplée à un revers à une main exquis. S’il continue de déployer son tennis de la sorte, le petit prodige risque lui aussi d’atterrir dans le top 100 sous peu, et marcher dans les traces de l’autre pépite nationale, de 1 an son ainé…
Après des années de doutes et de performances irrégulières où seules les Schiavone, Pennetta ou encore Errani ont porté haut les couleurs italiennes, le tennis italien veut désormais voir ses messieurs au sommet. En se dotant de plusieurs centres nationaux pour former les stars de demain avec de nombreux coachs à disposition, ou encore en étant le deuxième pays à organiser le plus de Challengers, la federazione fait tout pour permettre l’émergence de futurs talents, à l’image de Jannik Sinner. Dans le sillage de Matteo Berrettini, une génération est bel et bien prête à prendre le pouvoir et à replacer l’Italie comme une place forte du tennis mondial, vers des standards supérieurs à sa neuvième place actuelle. Les azzuris seront à coup sûr à surveiller de très près durant la nouvelle saison, pour enfin montrer que le tennis italien à plus d’un tour dans sa botte et peut être compétitif sur du long-terme.