Ce week-end, une nouvelle étape de la coupe du monde de ski nordique s’est tenue à Davos (Suisse). Particularité, elle s’est déroulée sans la présence de skieurs des trois pays scandinaves, qui ne participeront à aucune étape avant début janvier. Retour sur le début d’une saison qui s’annonce déjà étrange pour le ski nordique.
Un début de compétition sans surprises
La coupe du monde de ski nordique a repris le 27 novembre par le Nordic Opening à Ruka (Finlande). Les trois épreuves ont été largement dominées par les norvégiens (3 victoires pour la délégation masculine, 2 victoires pour les féminines). Les podiums étaient complétés par les russes d’un côté et les suédoises de l’autre. Ce sont d’ailleurs ces nations que l’on retrouve en tête du classement général avec 3 norvégiens et 4 russes dans le top 10 messieurs et 2 norvégiennes et 5 suédoises dans celui dames.

Du côté du classement général, la tenante du titre Therese Johaug était en forme. Elle a remporté 2 des 3 épreuves et a pris la tête de la compétition. Chez les hommes, le double détenteur du gros globe Johannes Klæbo s’est placé comme favori devant son rival le russe Alexander Bolshunov, vainqueur de l’édition 2019-2020. Après un premier week-end, rien ne semblait pouvoir mettre un terme à la domination norvégienne sur le ski nordique pour une année encore (2011-2020 : 10 victoires au classement des nations, 7 gros globes chez les hommes, 8 chez les femmes). Rien ? Vraiment ?
Le retrait scandinave
C’est une fois le premier week-end de compétition terminé que les leaders norvégiens, puis les fédérations norvégiennes, suédoises et finlandaises ont annoncé tour à tour leur décision de ne pas participer aux étapes de Davos (Suisse) et Dresde (Allemagne). Une décision prise en lien avec le contexte sanitaire actuel. Les fédérations jugent les déplacements en avion et sites peu suffisamment sécurisés, tout le monde n’ayant pas les mêmes exigences vis-à-vis du virus selon eux. A date, les norvégiens ont annoncés être absents jusqu’à après le Tour de ski. Mais le journal national Dagbladet sous-entend qu’ils pourraient être absents jusqu’aux championnats du monde. La fédération n’a pas demandé de dérogation pour ses athlètes. Ainsi, ils doivent se mettre 10 jours en quarantaine lorsqu’ils rentrent chez eux, ce qui les empêcheraient de s’entrainer en Norvège. Les fédérations suédoises et finlandaises ont pris une décision différente. Après de nombreuses concertations, leurs médecins ont approuvé le protocole sanitaire qui y sera mis en place et ils reviendront donc début janvier.

Cette décision a laissé public, concurrents, comme les autres fédérations, dans l’incompréhension la plus totale. Est-ce vraiment lié à un principe de précaution ou les raisons sont-elles autres ? Certains laissaient entendre que c’était une façon de penser plutôt scandinave de ne pas vouloir prendre de risques. Pourtant certains fondeurs norvégiens, moins médiatisés, ont fait part de leur mécontentement. En effet, une part non négligeable de leurs salaires est liée à leurs primes de course.
Les prémices de cette situation étaient pourtant présentes depuis plusieurs mois. Dès cet été, Klæbo avait préféré faire de nombreuses heures de route en voiture pour se rendre sur un lieu de compétition plutôt que de prendre l’avion. Certains norvégiens craignent des effets secondaires sur leur organisme, notamment au niveau respiratoire. Ils ne veulent ainsi prendre aucun risque d’abimer de façon irréversible leur capacité respiratoire s’ils attrapaient le covid. Et pour cela, ils sacrifient le classement général. Car toutes les fédérations et athlètes semblent d’accord sur un point : l’objectif de l’année sont les championnats du monde à Oberstdorf.
Si le choix des fédérations norvégiennes, suédoises et finlandaises a fait l’objet de nombreux débats, la fédération internationale de ski (FIS) est également sous le feu de la critique. Tout d’abord parce qu’elle a eu de nombreux mois pour préparer la reprise de la compétition et éviter cette situation. Or, elle se retrouve dans le chaos le plus total parce qu’elle n’a pas voulu adapter son calendrier.
« Il manque de leadership qui devrait définir un cadre pour le ski nordique à la FIS. Cet été, ils ont manqué l’ajustement du calendrier et l’instauration de règles uniformes. C’est vraiment triste ce qu’il se passe. […] Les courses de janvier et février avant les championnats du monde sont très discutables. Le calendrier de la coupe du monde y est presque ingérable. »
Christian Flury, directeur de la fédération suisse, dans Blick.
On voit immédiatement ici une comparaison avec les choix de l’IBU (fédération internationale de biathlon) qui a pris des décisions contraires à la FIS. Elle a limité les déplacements et mis en place une vraie bulle sanitaire. Pour cela, elle a doublé des étapes et en a supprimé d’autres. Cette décision rend plus dépendant des décisions politiques des pays accueillants. En effet, une fermeture des frontières peut alors avoir des conséquences sur 2 étapes et non une. Mais il a pour conséquence de limiter fortement les déplacements à travers le monde. En parallèle, une bulle généralisée permet de limiter au maximum les contaminations pendant la saison. Par exemple, les biathlètes sont restés ensemble pendant les quatre week-end de compétition avant la trêve de Noël, avec presque aucun contact extérieur. Les déplacements sont gérés en caravane : entre Konsciolathi et Ostersund, ils ont eu des avions dépêchés pour eux. Des choix payants qui semblent contenter le plus grand nombre et limiter au maximum la diffusion du Covid-19 au sein de leur sport. Des choix qui n’ont pas été appliqués chez les fondeurs et qui sont la principale cible de la fédération norvégienne.
« Le risque d’infection lié à aux déplacements vers et pendant le Tour de Ski n’a pas beaucoup changé par rapport aux évaluations précédentes. Les déplacements entre les pays d’Europe pendant une pandémie comportent toujours un risque d’infection inacceptable. »
Oeystein Andersen, médecin de l’équipe norvégienne, dans le communiqué de presse de sa fédération.
Car si l’on prend le calendrier initial, la coupe du monde de ski nordique se déroule sur 13 sites quand le biathlon n’en compte que 7. Le Tour de ski, qui se déroule sur 10 jours début janvier, compte 8 courses, réparties sur 3 sites et 2 pays (Suisse et Italie). Un calendrier très éclaté dans un contexte où les déplacements cherchent à être limités par le plus grand nombre. Il a d’ailleurs déjà été plusieurs fois retoqué. L’étape de Lillehammer (Norvège) prévue initialement début décembre a été annulée sur décision du gouvernement norvégien et est en attente d’être repositionnée. La tenue de celle-ci comme de celle d’Oslo, prévue en mars, dépendront du gouvernement norvégien. Un site de remplacement est recherché pour l’étape chinoise. Il y a une quarantaine obligatoire pour les tous les entrants sur le territoire chinois ce qui n’est pas compatible avec les compétitions. Et l’étape d’Ulricehamn est déplacée du 16-17 janvier au 7-8 février pour enchainer les 2 étapes suédoises (initialement entrecoupée d’une étape en Finlande).
Un autre calendrier a-t-il seulement été évoqué pour pallier à ces soucis ? Oui, d’après les dires de C. Flury. La colère envers les fédérations scandinaves est d’autant plus grande qu’elles se seraient opposées aux propositions de modifications l’été dernier. La raison : les droits tv, dont chaque fédération est bénéficiaire pour ses étapes. Ainsi, personne ne veut perdre ses week-ends de compétition. Une situation différente du biathlon, où l’IBU gère la totalité des droits tv et est ainsi libre de modifier le calendrier à sa guise. Autre point critiqué, les compétitions mêlant diverses disciplines empêchant de mettre en place une bulle. En effet, le test positif d’un skieur russe devant participer à l’épreuve de combiné nordique sur le même site à Ruka a effrayé certains fondeurs. Il avait pu rentrer sur le site tout en étant positif. Trois tests avaient été effectués mais seul le dernier retourné était positif. Si le calendrier instauré est suivi, les skieurs de plusieurs disciplines différentes seront amenés à se croiser à nouveau. Cela amènera à chaque fois de nouveaux risques de contamination.
Et ensuite ?
Ce début de compétition met le doigt sur le souci principal du ski nordique. Par leur choix, les fédérations des plus grosses nations de la discipline montrent un réel problème : elles peuvent prendre la FIS et le ski nordique en général en otage. Il est indispensable pour la FIS de s’assurer de la présence des têtes de proue de sa discipline. Que valent les épreuves nordiques lorsque tous les favoris sont absents ? Quelle place pour le spectacle entre rivaux quand il n’en reste plus qu’un ? Quel intérêt pour les spectateurs ou les diffuseurs ? Ces absences, si elles venaient à être répétées, peuvent avoir des impacts importants économiquement et sur la visibilité de leur discipline. Le ski nordique reste un sport peu médiatisé et pour lequel les contrats de sponsoring ne pleuvent pas. Il est alors plus difficile de vendre sa diffusion sans les meilleurs skieurs mondiaux.

Mais malgré la situation, la compétition continue. A Davos, F. Pellegrino (Italie) a gagné le sprint devant A. Bolshunov (Russie) et A. Young (Grande-Bretagne). Les russes ont quant à eux fait une razzia sur l’individuel en s’adjugeant les 3 premières places. A. Bolshunov s’est imposé devant A. Melnichenko et A. Maltsev et augmente ainsi son avance au général. La belle histoire du week-end est celle de Rosie Brennan (USA) qui s’est offert ses premières victoires en carrière devant A. Lampic (Slovénie) et N. Nepryaeva (Russie) sur le sprint, et Y. Stupak (Biélorussie) et H. Swirbul (USA) sur l’individuel. Elle s’est emparée au passage du dossard jaune.
En attendant que la situation s’arrange et de retrouver les favoris de la discipline courant janvier, ce sera l’occasion pour bien des skieurs de profiter de la situation pour se mettre en avant. Dans une discipline dominée depuis de nombreuses années par les norvégiens, celui qui voit le verre à moitié vide dira qu’ils tuent une compétition et une discipline par leur décision de ne pas participer à la coupe du monde. Mais celui voyant le verre à moitié plein dira que cela pourra permettre à d’autres de profiter de l’occasion pour se mettre en lumière et créer de belles histoires. Pour l’instant, la situation profite aux russes chez les hommes et aux américaines chez les dames, mais en participant au Tour de ski, les suédoises auront certainement des coups à jouer. Cette saison risque d’être palpitante jusqu’à la fin tant les impasses peuvent chambouler les classements.