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Bundesliga : Quand le foot allemand prend un accent british

Par le passé, quatre garçons anglais dans le vent ont écrit une page importante de leur carrière en s’exportant en Allemagne. C’est en effet du côté d’Hambourg, entre aout 1960 et décembre 1962, que les Beatles ont perfectionné leur stagecraft et leurs hits mondiaux dans les rues et les scènes de la cité hanséatique, là où quelques années plus tard, un certain Kevin Keegan se hissera à leur hauteur en remportant deux Ballons d’Or sous les couleurs du HSV. Ces dernières semaines, d’autres anglais font également sensation outre-Rhin. S’ils n’ont pas encore la réputation de leurs ainés, Sancho, Musiala et Bellingham sont aussi dans le vent, celui d’une génération de talents britanniques qui préfère la Bundesliga à la Premier League locale. Décryptage d’un phénomène singulier

« Peuples isolés, solitaires », les Britanniques et plus particulièrement les Anglais ont cette réputation peu flatteuse d’entretenir des liens distants avec le vieux continent. Une tendance confirmée lorsque l’on jette un œil au sport n°1, le football. Ainsi, à l’Euro 2016, l’Equipe nationale d’Angleterre ne comportait aucun joueur évoluant en dehors du championnat local, la Premier League. Une situation similaire s’est d’ailleurs observée pour les voisins nord-irlandais et gallois, également qualifiés pour la phase finale du tournoi. Gareth Bale, joueur du Real Madrid à l’époque, étant le seul contre-exemple de joueur britannique à évoluer en dehors du Royaume-Uni.

Source : Unibet.fr

Ils sont en effet peu nombreux à s’exporter, et les rares à tenter l’aventure partent vers des pays aux liens culturels ou géographiques forts avec les îles britanniques : États-Unis (MLS), Australie (A-League), Inde (Indian Super League), Suède, Islande, Irlande. S’il existe tout de même quelques exceptions récentes : David Beckham, Steve McManaman, Mickael Owen, rien ne permet de qualifier ces épisodes de phénomène durable et marquant. La raison étant essentiellement culturelle, les britanniques ayant la réputation d’être très mauvais dans l’apprentissage des langues, ce qui n’avantage pas l’idée d’un départ. D’autant que la Premier League est considérée comme l’une des trois plus fortes ligues du monde. De plus, les clubs anglais, soutenus par les énormes revenus générés par les droits TV, sont capables de payer des salaires inégalables pour la plupart de la concurrence. L’argent a souvent le dernier mot et c’est une motivation de plus pour les anglais à rester chez soi.

Pourtant, depuis cette date, un processus d’exportation des jeunes talents britanniques s’est enclenché, ceux-ci étant lasses de ne pouvoir s’exprimer au plus haut niveau au sein de leur clubs formateurs. C’est une conséquence directe de la toute puissance financière de la Premier League, qui malgré des investissements conséquents en matière de politique de formation, reste un enfer pour les pépites locales. Elles se retrouvent barrées par des joueurs achetés à prix d’or et par la pression liée aux résultats, poussant les entraineurs à devenir frileux pour ce qui est d’accorder du temps de jeu à des jeunes talentueux, mais inexpérimentés.

« Les clubs anglais ne faisait qu’acheter des joueurs sans se soucier de leur académie. Ainsi, ils se retrouvent avec trente ou quarante joueurs en U23 et en réserve qui n’ont jamais leur chance. »

Max Eberl, directeur sportif du Borussia M’Gladbach

Dès lors, près de 70 % des joueurs de PL sont nés à l’étranger, selon une étude de l’UEFA. Facteur aggravant, plus le club est compétitif, plus les opportunités et les temps de jeu sont réduits. Une étude du CIES Football Observatory a montré qu’en 2016/17, les clubs d’Arsenal, de Manchester City et de Chelsea, n’ont par exemple accordé que 23 %, 17 % et 16 % des minutes aux joueurs locaux. Paradoxalement, au même moment, le niveau d’excellence des joueurs locaux de moins de 21 ans est en constante progression. Pour preuve, les équipes nationales anglaises ont remporté plusieurs titres majeurs ces dernières années : championnat du monde U17 (avec Jadon Sancho notamment), championnat du monde U20 ou encore championnat d’Europe U19.

La Bundesliga, terrain d’expérimentation

Mais ces succès ne leur confèrent pas plus de temps de jeu. À l’Euro 2017 des moins de 21 ans, l’ensemble des joueurs de l’équipe d’Angleterre totalisaient un peu plus de 200 apparitions en Premier League. À titre de comparaison, l’Allemagne, qui a remporté le tournoi malgré de nombreux joueurs majeurs convoqués avec l’équipe A à la Coupe des Confédérations de la FIFA, avait un décompte total de plus de 1000 matchs de Bundesliga. Il faut dire que les temps de jeu accordé aux moins de 21 ans représentent 15,4 % du total des minutes en Bundesliga, contre 5,3 % seulement en Premier League, en 2018 selon le CIES.

Equipe d’Angleterre, vainqueur de la dernière Coupe du monde U20 (crédit : Getty image)

Cet écart s’explique par la volonté déployée par les acteurs du football allemand, au début des années 2000, de relancer l’équipe nationale. Entraîneurs mieux formés, enregistrements détaillés, évaluations plus poussées, développement en ligues U19 et U17 des meilleurs équipes juniors du pays, meilleur recrutement des talents à travers l’étranger (France, Danemark, Belgique, Pays-Bas) : tout a été fait pour que le repérage et la formation franchissent un cap. Actuellement les fruits de ce travail est récolté, et la tendance est de promouvoir des entraîneurs provenant du circuit de la formation. Ils sont donc habitués à travailler avec de jeunes joueurs et à leur faire confiance : Thomas Tuchel (en poste à l’étranger), Julian Nagelsmann (RB Leipzig), Florian Kohfeldt (Werder Brême) ou Christian Streich (Fribourg) ont tous eu des expériences dans le domaine de la formation avant d’atterrir sur les bancs de l’équipe première. Conséquence, la Bundesliga est le championnat à compter la moyenne d’âge la plus basse d’Europe et tout en affichant des records de précocité : Moukoko (16 ans), Wirtz (17 ans), Havertz (17 ans), Werner (17 ans)

Fort de leur expertise et de leur expérience, les nombreux scouts allemands présents pour superviser les compétitions juniors furent impressionnés par les performances des jeunes anglais ces dernières années, et c’est ainsi que le déclic eut lieu. Conscient des enjeux à tirer, ils ont ciblé les championnats britanniques pour dénicher les joueurs à gros potentiels, capables de maintenir la compétitivité de la Bundesliga et d’apporter des profils différents à ceux qui peuplent les académies allemandes, trop axés sur des joueurs techniques et créatifs au milieu de terrain. Quelques mois plus tard, un certain Jadon Sancho franchit le cap et s’engage avec le Borussia Dortmund. Après 3 saisons en Bundesliga, l’ailier s’est imposé comme une promesse mondiale, avec des débuts à 17 ans, avec deux saisons à plus de 15 buts et 15 passes, devenant au passage international britannique. Chercher des jeunes en Angleterre paraissait totalement impossible à l’époque. Désormais, cela devient de plus en plus courant.

Nombre de joueurs britanniques évoluant dans les championnats allemands (source : Transfermarkt.de)

Depuis l’arrivée de Jadon Sancho, le nombre d’anglais évoluant en Bundesliga s’est multiplié, passant donc d’un à dix en 2019/20, touchant même les divisions inférieurs et juniors. Le phénomène mondial du BVB semble être le représentant de ce nouveau phénomène appelé « Sancho Effect » outre-Manche et c’est régulièrement après l’avoir consulté que les jeunes anglais rejoignent l’Allemagne. Récemment, il a tenté de convaincre son compatriote Callum Hudson-Odoi (Chelsea) de rejoindre la Bundesliga, lui qui était courtisé par le Bayern Munich, sans succès jusqu’à présent. Cependant, le cas Sancho est loin d’être isolé puisque comme lui, plusieurs jeunes britanniques se sont révélés à l’image de Reiss Nelson (Hoffenheim), Ademola Lookman (Leipzig), Jude Bellingham, acheté pour 27 millions d’euros cet été (Borussia Dortmund) ou Jamal Musiala (Bayern Munich). Sur la vingtaine de talent apparus en Bundesliga, la moitié ont joué plus d’une dizaine de matchs au cours de leur passage. Toutefois, la plupart des jeunes anglais signe sous la forme d’un prêt, révélant sans doute la crainte du joueur de quitter définitivement leur zone de confort.

Un contexte culturel serein

Outre la plus value sportive et la volonté de promouvoir la jeunesse, la Bundesliga a tiré son épingle du jeu par l’aspect culturel. La Liga et la Bundesliga étaient en 2016, classée comme la première et deuxième meilleure ligue d’Europe au classement UEFA, devant la Premier League. Le 25 mai 2013, le Bayern Munich et Borussia Dortmund s’affrontaient d’ailleurs en finale de la Ligue des Champions à Wembley. C’est peut-être le zénith du football de club allemand. C’est certainement le zénith du football de club allemand en Angleterre. La Bundesliga n’a jamais été aussi attrayante à partir delà. Mais ce n’était pas tant le niveau du football qui intriguait les Anglais, c’était la façon dont il était regardé en Allemagne.

« Les clubs anglais sont souvent plus disposés à prêter leurs joueurs à des clubs de Championship plutôt que dans d’autres pays. Mais la tendance est en train de changer au regard du succès rencontré par les joueurs anglais en Bundesliga. C’est une situation gagnant-gagnant. »

Aidy Ward, journaliste anglais

L’année suivante, Carsten Cramer, responsable marketing du Borussia Dortmund, a déclaré qu’environ 1 000 supporters britanniques venaient à chaque match à domicile. Ils voyageaient pour l’atmosphère, des billets bon marché et la liberté de boire de la bière pendant le match, quelque chose qui est illégal en Angleterre. Quelques années plus tard, cette fascination pour le football allemand se poursuit.

Arjen Robben marque le but vainqueur de la finale de Ligue des Champions 2013 contre le Borussia Dortmund à Wembley (Crédit : Daily Mirror)

La Bundesliga garde une grande réputation en Angleterre. De bons stades avec de bons joueurs disciplinés et un football pratiqué de très haut niveau. De fait, le championnat est idéalisé comme une sorte de capsule temporelle dans laquelle a été conservé ce que la Premier League a perdu : places debout, billets d’entrée abordables, atmosphère festive, bière dans les tribunes, essor des jeunes talents. Et de plus en plus de talents anglais. Si Sancho est aujourd’hui une star, les Anglais ne perdent pas de vue que son retour en Angleterre n’est qu’une question de temps. Les exemples de Timo Werner et Kai Havertz, partis cet été du côté de Chelsea, démontrent que la Bundesliga ne pourra pas éternellement retenir ces pépites. Elle apparait dès lors comme le terreau fertile de la Premier League.

Un processus remis en cause ?

Du point de vue de la Bundesliga, la politique de recrutement des joueurs des académies de Premier League a été couronnée de succès et potentiellement très rentable. Cependant cette politique commence à être sous le feu des critiques du point de vue anglais. Le contexte du Brexit et de la crise qui découle de l’épidémie de COVID-19 y est pour beaucoup. Neuf mois après les derniers matches avec une affluence totale en mars, l’impact de la crise pandémique dans le football anglais commence à se ressentir. L’activité de transfert en Premier League est passé en 18/19 a de 1,5 milliard de livres sterling à 1,1 milliard de livres sterling cet été, soit une réduction de 400 millions de livres en un an. Du jamais vue et un retour en arrière de quatre ans.

Rashford et Sancho sous le maillot de l’équipe d’Angleterre et bientôt coéquipiers en club ? (Crédit : Dean Mouhtaropoulos/Getty Images)

Les clubs de Premier League sont beaucoup plus dépendants des recettes de la billetterie avec 36 % du chiffre d’affaires (2019/20). Dans la Ligue anglaise de football (EFL), qui compte 72 clubs, représentant les niveaux 2 à 4, les recettes représentent même 45 % des revenus et, sous la pression de jouer à huis clos, deux clubs de quatrième niveau (League Two) Macclesfield et Bury sont entrés en dépôt de bilan au cours des six derniers mois. Financièrement mal en point, le football anglais s’est insurgé cet été par la proposition de Manchester United de recruter Jadon Sancho contre la somme de 120 millions d’euros, jugée aberrante alors que l’EFL recherche 250 millions d’euros pour sauver un maximum de club de la faillite. Par ce biais c’est également le système de formation qui s’est retrouvé sous le feu des critiques. Ferran Soriano, ancien PDG de Manchester City, a remis en cause la validité de la politique de vente de joueurs des académies anglaises aux clubs de Bundesliga. Si elle reste bénéfique pour lui, il souligne plutôt les faiblesses structurelles dans le système anglais,

« Il y a des problèmes, en Angleterre où les équipes B ne sont pas autorisées, nous avons un écart de développement de garçons qui ont 17 ou 18 ans, ils ne trouvent pas le bon endroit pour se développer et par exemple ils nous sont pris par les équipes allemandes qui essaient de nous les revendre pour un prix qui est 10 fois ce qu’ils ont payé. C’est de la folie et quelque chose que nous devons résoudre et maintenant peut-être que la crise nous donnera l’occasion et nous poussera à nous réunir et à résoudre ces problèmes. »

La question de savoir s’il faut autoriser les équipes B des clubs de Premier League dans des divisions professionnelles comme c’est le cas non seulement en Allemagne, mais aussi en Espagne où les joueurs des équipes réserves peuvent obtenir du temps de jeu à un niveau élite. Tout en restant dans la mise en place du club, est un problème structurel plus large et qui est peu susceptible d’être résolu dans un proche avenir. La mise en place du Brexit, et de ses règlements très strictes sur le marché des transferts, dès janvier 2021 pourrait également être un frein au processus de départ des talents britanniques. Limités à pouvoir recruter 6 joueurs étrangers de 18 à 21 ans par année et sous des conditions très particulières, les clubs de Premier League devront accorder plus de confiance à leurs jeunes pouces pour rester compétitifs.

Quoi qu’il en soit, la Bundesliga peut encore profiter de ses talents britanniques. Si elle s’est montrée pionnière dans le recrutement des talents outre-Manche, elle ne possède toutefois plus le monopole du marché. En effet, la Serie A (5 joueurs), la Liga (5 joueurs) et la Ligue 1 (4 joueurs) tendent à concurrencer les clubs allemands dans cette chasse à la pépite. Et si l’Allemagne garde une longueur d’avance, les problématiques liées à la crise pourrait freiner son développement. D’autant qu’une autre se profile, à l’instar du cas Jamal Musiala, né en Allemagne mais formé en Angleterre et international espoir anglais, le cas des pépites aux doubles nationalités anglaise et allemande pourraient être un enjeu au delà du simple aspect financier dans les années à venir.

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