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Ukaleq Slettemark, soleil de minuit

Ukaleq Astri Slettemark. Ce n’est pas une marque d’agro-alimentaire danoise. Ce n’est pas le nom d’un tour-opérateur organisant des excursions en chiens de traîneau dans le Grand Nord canadien. N’y voyez pas non plus une onomatopée eskimo pour signifier l’éternuement. Non, c’est bien le nom d’une biathlète. Un nom auquel il va falloir commencer à s’habituer. Porté par une jeune femme de 19 ans, pleine de talent, qui porte sur ses épaules les espoirs et les attentes d’un pays rarement sur le devant de la scène : le Groenland. Une sportive qui espère aussi laisser son empreinte dans l’histoire de son sport. Tout en popularisant ce drapeau qu’on vous met à l’épreuve de visualiser mentalement sans vous aider de Google. Une biathlète finalement qui se développe, progresse vite et mérite bien qu’on s’y intéresse d’un peu plus près. Présentation.

Le joyau du Groenland

L’une des premières choses qui interpelle lorsque l’on s’intéresse à Ukaleq Slettemark, c’est en effet son origine. Une touche exotique dans le panorama habituel des nations régnantes. Si vous avez suivi le début de cette saison de coupe du monde de biathlon, vous avez pu apercevoir cette athlète invitée à faire ses débuts au plus haut échelon mondial lors des deux étapes à Hochflizen. Drôle de nom, d’où vient-elle ? Et ce drapeau, c’est quel pays ? Gibraltar ? Malte ? Bien essayé, mais non. Portez le regard beaucoup plus au Nord. Escaladez les pôles, tout en tenant le cap légèrement vers l’Ouest. Vers un territoire isolé, immense. Géographiquement américain, mais historiquement et culturellement européen. Danois et norvégien, pour être précis. Un bout de terre d’outre-mer appartenant au royaume du Danemark. J’ai nommé : Le Groenland !

Vue de Nuuk, capitale du Groenland et ville de naissance de Ukaleq Slettemark.

Cela mérite d’être souligné tant il ne vous aura pas échapper qu’il est loin d’être le pays le plus souvent cité dans les événements sportifs internationaux, quelle que soit la discipline. En biathlon par exemple, le dernier ressortissant groenlandais actif en coupe du monde remonte à 2009. Ça date. Pourtant, aujourd’hui, Ukaleq entreprend de reprendre le flambeau de ce pays oublié et nourrit secrètement – mais plus vraiment – l’espoir de le porter encore plus haut que ses prédécesseurs. En s’installant à terme, et de manière durable, en coupe du monde. En quittant aussi les rangs de simples figurants pour faire briller les couleurs groenlandaises sur la planète biathlon. Et qui sait, via l’écho olympique, sur le monde du sport. La route est longue, bien sûr. Mais la jeune biathlète ne manque pas d’idée. Et peut profiter, comme souvent dans ce sport, d’un environnement familial très orienté biathlon.

Une histoire de famille

On pourrait de prime abord s’interroger sur ce qui a pu amener Sletteman vers le biathlon. Discipline en effet loin d’être la plus répandue du côté de ces confins septentrionaux. Le Groenland ne dispose d’aucun pas de tir. Alors pourquoi ? Comme souvent, le motif est familial. Si on jette un rapide coup d’œil sur l’arbre généalogique de la pépite groenlandaise, on trouvera ainsi au premier point de jonction de la branche qui la concerne : Øystein Sletteman et Uiloq Sletteman, née Helgessen.

Oystein Slettemark lors du sprint masculin 10 km au parc olympique de Whistler – le Groenland gagnant progressivement son indépendance administrative, il concourait alors pour le Danemark. (Photo by EMPICS Sport – PA Images via Getty Images)

Le papa, Øystein, est d’origine norvégienne et s’adonne exclusivement au ski de fond dans un premier temps. Barré en équipe nationale par des talents tels que Bjørn Dæhlie (8 titres olympiques) ou Kristen Skjeldal, il a du mal à percer. Plus tard, en 1994 alors qu’il a 27 ans, il rejoint le Groenland avec sa petite amie Uiloq. Ils s’installent dans la capitale, Nuuk. C’est là qu’ils s’entraînent. L’un comme l’autre disposent d’un background de fondeur/fondeuse, et se concentrent sur le biathlon une fois au Groenland. Øystein se chargera d’y créer – et diriger – la fédération de biathlon. L’un comme l’autre, d’origine norvégienne, obtiennent la nationalité groenlandaise. L’un comme l’autre représentent leur nouveau pays sur des épreuves internationales en biathlon – coupe du monde ou championnats du monde. L’un comme l’autre, au-delà du biathlon, ont scellé leur union dans la conception de deux petits champions en herbe. Nés à Nuuk. Groenlandais. Ukaleq donc, née en 2001. Et son jeune frère de 16 ans, Sondre.

« C’était hyper cool de courir avec mon petit frère. C’était la première fois que le Groenland engageait un relais en compétition internationale ! »

Ukaleq Astri Slettemark – Nordic Mag

Ainsi Ukaleq et Sondre ont-ils eu l’honneur d’incarner l’hiver dernier le premier relais jamais inscrit en compétition internationale par le Groenland. C’était à Pokljuka, en Slovénie. Sur le relais mixte simple en coupe IBU junior. Un relais groenlandais. Réunissant une biathlète et son petit frère. Belle histoire et double fierté. Pour Nordic Mag, Ukaleq raconte : « C’était hyper cool de courir avec mon petit frère. C’était la première fois que le Groenland engageait un relais en compétition internationale ! ». Avant d’ajouter, en grande sœur bienveillante : « Je suis si fière de Sondre parce que c’était sa première saison de compétitions internationales. J’espère que nous pourrons courir d’autres relais ensemble à l’avenir ».

Une histoire de famille en en cours d’écriture donc. À l’instar de celles des Boe, Fourcade, Chevalier ou encore des sœurs Öberg auxquelles on consacrait un article récemment sur le site du Café Crème Sport. Mais qui se démarque des autres avec en plus cet accent exotique. Ce pavillon groenlandais qui bat au vent des pas de tir. Pourtant, toute l’histoire ne s’écrit pas à Nuuk. Pour compenser les limites intrinsèques des structures fédérales chez elle, Slettemark a très jeune trouvé du côté de la Norvège la bonne organisation pour poursuivre ses rêves de carrière. Un pied en Norvège donc. Nation d’origine des Slettemark. Et Mecque du biathlon et du nordique. Cela ne peut être que bénéfique.

Développement à la norvégienne

Comme évoqué plus haut, les parents Slettemark sont tous deux d’origine norvégienne. Ils ont affûté leurs spatules sur la partie occidentale de la péninsule scandinave avant de poursuivre leurs rêves sportifs sur les neiges polaires du Groenland. Pour autant, la famille garde de fait un lien naturel avec la Norvège. Øystein, le papa, entretient d’ailleurs une relation privilégiée avec l’immense Ole Einar Bjørndalen. Qui sert par ailleurs de référence et d’idole à sa fille aînée, Ukaleq – Dortohea Wierer et Lisa Vitozzi étant ses modèles féminins.

Sjusjoen, NORVÈGE – 01er Décembre : Ukaleq Astri Sklettemark du Groenland en action durant le 10 km poursuite féminin en coupe IBU à Sjusjoen le 1er décembre 2019 (Photo by TF-Images/Getty Images)

Pas étonnant dès lors, de voir que la carrière de la jeune groenlandaise s’écrit en partie du côté de la Terre Promise du biathlon. Elle vit en Norvège et y a intégré dès le très jeune âge une section sports études. C’est d’ailleurs la Norvège qui lui a fait découvrir le biathlon, ses parents ne l’ayant pas initié au tir. Peut-être pour développer d’abord ses qualités de fondeuse, avant d’y incorporer le maniement de la carabine. Quoi qu’il en soit, elle profite de ce fait d’infrastructures et de compétences éminemment précieuses dans la construction d’une biathlète.

« J’ai découvert ce sport il y a huit ans quand je vivais en Norvège. Une fois par semaine, je m’entraînais à tirer à la carabine. Mes parents ont également fait du biathlon, mais ils ne m’ont jamais vraiment appris le tir, à la différence du ski de fond. »

Ukaleq Astri Slettemark au sujet de la genèse de sa passion – Nordic Mag

Elle peut progresser. Tranquillement mais sûrement. Elle grandit sereinement en vivant au plus près de ce qui se fait de mieux dans le biathlon. Aujourd’hui, son frère Sondre et elle-même étant les seuls athlètes de l’équipe nationale du Groenland, elle s’entraine ainsi avec l’équipe norvégienne de développement des moins de 23 ans. Ecosystème parfait pour s’étalonner face à ce que le futur aura de meilleur. Elle peut monter en puissance, laissant ses ambitions et ses rêves suivre la même trajectoire ascendante.

« C’est un réel avantage d’avoir ma mère à mes côtés […] Nous sommes très proches […]. Je peux lui faire confiance »

Slettermark évoquant l’importance de sa mère dans sa vie de biathlète – Focusbiathlon

Du coach aux techniciens, elle bénéficie en coupe IBU, de tous les savoir-faire norvégiens. Halvor Jørstad, entraîneur de l’équipe norge, s’occupe ainsi d’Ukaleq. Sa maman, ancienne biathlète elle-même, n’est jamais trop loin non plus. Notamment pour travailler la partie mentale. « C’est un réel avantage d’avoir ma mère à mes côtés parce que nous sommes très proches. Je peux lui faire confiance, elle aussi. Nous avons une relation très franche, très directe, et je n’ai jamais peur de lui dire quoi que ce soit » explique la jeune biathlète. Puis d’ajouter dans un sourire : « bien sûr parfois on se tape un peu sur les nerfs, mais c’est normal finalement ».

Toujours est-il que la groenlandaise semble avoir créé autour d’elle un système très cohérent, mêlant compétences, sérieux et bienveillance. Un lien familial conservé. Un pied chez les rois du biathlon. Un entourage et un environnement rompus à la performance. Un focus permanent, aussi. Une vie entière articulée autour de ce sport qu’elle aime, et qu’elle porte dans ses gênes. Tout ce qu’une biathlète peut espérer finalement. Sans oublier le talent qui lui offre désormais de pouvoir nourrir les rêves les plus fous.

Talent et ambition

« Mon objectif principal est de devenir l’une des meilleures. Je ne sais pas si cela me prendra cinq, dix ou quinze ans… Je vais essayer d’être meilleure à chaque course, et de prendre les étapes les unes après les autres »

La jeune Ukaleq Slettemark confessant ses ambitions – Focusbiathlon

Car si son nom conserve encore un léger goût de confidentialité, ne vous y trompez pas : Ukaleq Astri Slettemark est bel et bien sortie de l’anonymat. Le 27 janvier 2019 précisément, sur les 10 km de l’individuel des championnats du monde jeune en Slovaquie, à Osrblie. Elle remporte à cette occasion la première médaille mondiale dans l’histoire du Groenland. De quoi faire retentir l’hymne national groenlandais pendant que des larmes d’émotion ruissellent sur ses joues de championne du monde. Victorieuse après un 20/20 au tir – son premier en compétition – et le quatrième temps sur les skis, elle détaille ses sentiments : « C’était un moment incroyable ! Aujourd’hui, j’essaye de ne plus y penser mais c’était fou pour le Groenland. Grâce à ce titre, le Groenland croit vraiment en moi. ». Avant d’enchaîner quant à un possible nouveau statut : « Je suppose que je suis un peu une star au pays [rires]. Je ne suis pas trop fan d’être sous les projecteurs mais j’espère que mes résultats pourront motiver les Groenlandais à skier ou à pratiquer le sport de leur choix, tout en restant actifs et en bonne santé ».

Surtout, elle peut trouver dans cet accomplissement le courage de continuer à y croire. Pour se battre, encore et encore. Chaque jour à l’entraînement. Étendre millimètre par millimètre, la surface de ses ambitions. Conquérir à la force des bâtons un champ des possibles toujours plus vaste. C’est la confirmation qu’elle peut être dans le vrai, tant dans les objectifs fixés que dans les moyens mis en place pour les atteindre. Et de puiser dans tout ça le regain de motivation nécessaire pour franchir les obstacles qui la séparent encore de son rêve. « Mon objectif principal est de devenir l’une des meilleures. Je ne sais pas si cela me prendra cinq, dix ou quinze ans… Je vais essayer d’être meilleure à chaque course, et de prendre les étapes les unes après les autres » déclare-t-elle pour focusbiathlon, oscillant entre ambition et prudence. L’ambition des sommets. Mais la lucidité, et le calme, propres à l’alpiniste chevronné. Une recette qui a déjà fait ses preuves et dont on pourrait à nouveau, prochainement, obtenir un gage d’efficacité…

En attendant, on l’avait vue dès 2018 se classer 4ème de la poursuite aux championnats du monde jeunes d’Otepäa, en Estonie. Elle y devançait d’une place Elvira Öberg, de deux ans son aînée, et par ailleurs triple médaille d’or sur le sprint, l’individuel et le relais. Elle a ensuite conquis ce titre mondial en 2019. Avant de ramener le Groenland en coupe du monde IBU et d’effectuer ses premiers pas – pas de deux, pas de un et pas de montée – chez les grandes, à Hochfilzen. Son statut de championne du monde lui a ainsi permis, le 11 décembre dernier, de bénéficier d’une wild card pour les deux épreuves de sprint en Autriche. Deux fautes chaque fois, pour une 96ème et une 83ème place. Plutôt anecdotique en soi. Mais ce pourrait être là les deux premières pierres posées pavant son ascension vers les sommets mondiaux. Le Groenland poussera fort, en tout cas, derrière son athlète numéro un toutes disciplines confondues. Celle qui pourra par ses performances les « placer sur la map ». En réalisant non seulement ses rêves individuels mais aussi ceux, collectifs, d’une nation toute entière. Cédant à la tentation d’un célèbre paganellisme, on voudrait conclure sur le message suivant : « Ukaleq, en tout cas on te le souhaite ! » Et au Groenland avec toi.

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