Petit retour hebdomadaire sur les acteurs et les évènements qui ont fait de chacune des décennies de l’histoire de la NFL des périodes uniques de son évolution. Aujourd’hui, les années 1950, une phase qui voit éclore les premières dynasties et vedettes de l’ère moderne du football professionnel.
Le 24 décembre 1950, il y a près de 70 ans jour pour jour, les Cleveland Browns s’imposaient pour la première fois en finale NFL contre les Los Angeles Rams. Le match, opposant deux des meilleures franchises de tous les temps, symbolise parfaitement l’émergence d’équipes plus talentueuses les unes que les autres au beau milieu des années 1950, dans un paysage footballistique enfin stabilisé.
Les 1950 s en résumé :
Ce n’est pas une coïncidence si la première décennie hermétique à la moindre ligue rivale est également la première décennie véritablement stable de l’histoire de la NFL. En 1950, alors que l’organisation du commissaire Bert Bell intègre en son sein les Cleveland Browns, les San Francisco 49ers et les Baltimore Colts de la défunte AAFC, le monde du football est plus calme que jamais. Pour la première fois, pas de grande polémique en vue, pas de conflit armé ou de guerre d’influence, les propriétaires peuvent enfin se concentrer sur une seule chose : l’avenir de leurs franchises.
D’abord, ce sont les nouveaux membres qui se démarquent le plus. Les Browns, menés par l’excellent Quaterback Otto Graham et le coureur explosif Marion Moteley, écrasent la concurrence dès leur première année en NFL et vont même jusqu’à remporter le titre 1950, le cinquième consécutif depuis leur création en AAFC.
Puis, c’est au tour des 49ers de briller avec quatre saisons dans le positif entre 1951 et 1954. Seuls les Colts, déclarés en faillite après deux campagnes médiocres, peinent à s’imposer sur le devant de la scène. Finalement, il faudra une dissolution complète, une tentative ratée d’intégration à Dallas et l’arrivée du propriétaire sulfureux Carroll Rosenbloom pour voir les bleus et blancs renaitre de leurs cendres en 1953.
Du côté des anciennes franchises, les années 1950 sont également synonymes de progrès. Alors que les Bears, Packers et Redskins voient leurs effectifs être complètement réinventés, les petites équipes habituelles en profitent pour rattraper leur retard. Les Rams construisent le premier grand réseau de scouts et mettent ainsi en place l’une des formations les plus talentueuses de la décennie, les Eagles se maintiennent dans le milieu du tableau, et les Lions reviennent enfin sous le feu des projecteurs.
En effet, grâce au coaching de Buddy Parker et au talent de l’incroyable passeur Bobby Layne, Detroit parviendra à conduire une véritable dictature sur la division ouest avec trois sacres en six saisons seulement.

Ainsi, lorsque la ligue atteint le milieu de sa quatrième décennie, la liste des dix champions les plus récents est complètement inédite, symbole de l’homogénéité renforcée de l’organisation :
1947 — Chicago Cardinals
1948 — Philadelphia Eagles
1949 — Philadelphia Eagles
1950 — Cleveland Browns
1951 — Los Angeles Rams
1952 — Detroit Lions
1953 — Detroit Lions
1954 — Cleveland Browns
1955 — Cleveland Browns
Finies les petites équipes, finies les grosses franchises, la NFL est devenue une ligue équitable, stable, et où chacun a les mêmes chances de l’emporter.
Une fois cette étape majeure passée, Bert Bell et ses collègues n’ont besoin que deux derniers ingrédients avant de conquérir le cœur des Américains pour de bon : des acteurs hauts en couleur qui restent dans les mémoires, et un évènement majeur capable de rassembler tout un peuple autour d’un souvenir commun.
Pour les acteurs, les années 1950 introduiront au monde les premières véritables stars de l’histoire de la NFL, que ce soit sur le terrain ou sur les bancs de touche. Jim Brown, Bobby Layne, Johnny Unitas, Frank Gifford, Otto Graham, tous marqueront les esprits par leurs niveaux de jeu exceptionnels et leurs styles inimitables, tout comme Vince Lombardi, Paul Brown, Tom Landry ou encore Don Shula, qui commenceront leurs longues carrières de tacticiens au beau milieu de cet « âge d’or du football ». À la fin de la période, athlètes comme coachs seront reconnaissables dans tous les foyers, pour le plus grand bonheur de leurs employeurs.
Pour ce qui est du souvenir commun, ce dernier adviendra en toute fin de décennie, un soir de 28 décembre 1958. Opposant les New York Giants aux Baltimore Colts, la grande finale de la saison sera regardée en direct par plus de 45 millions de téléspectateurs, un record absolu pour l’époque, et sera le premier match pour le titre à atteindre les prolongations. Entre retournement de situations, performances de haut vol des deux équipes et conclusion à couper le souffle, elle verra l’équipe de Johnny Unitas être sacrée pour la première fois, offrant par la même occasion un match de référence pour l’organisation de football.
Grâce à la confrontation extraordinaire, le ballon ovale dépassera enfin le baseball comme discipline majeure des États-Unis et la NFL s’installera à la première place des associations sportives les plus importantes de la planète.
L’équipe de la décennie : Les Cleveland Browns
Oubliez les Packers de Lombardi, les Steelers de Chuck Noll ou même les Patriots de Bill Belichick, la franchise qui a le plus dominé dans l’histoire du football professionnel, c’est bien les Cleveland Browns.
C’est simple, entre la création de l’équipe en 1946 et la retraite d’Otto Graham une décennie plus tard, le club de l’Ohio a enchaîné dix apparitions en finale consécutives, un exploit égalé uniquement par les Boston Celtics de Bill Russell dans le panthéon du sport américain.
Alors certes, quatre de ces matchs pour le titre ont été disputés en AAFC, à l’écart des mastodontes de la NFL. Mais même après leur intégration dans la ligue originelle en 1950, les Browns ont continué leur dictature sans broncher et ont remporté trois titres en 1950, 1954 et 1955.
Menée par le génie tactique Paul Brown, la star Otto Graham au poste de Quaterback et le Runningback explosif Marion Moteley, la franchise de Cleveland aura été la première véritable dynastie de l’histoire de la NFL.

Le joueur offensif de la décennie : Johnny Unitas
Quatre-vingts centimes. Voilà la somme qu’il aura fallu à la franchise des Colts pour changer sa destinée à tout jamais.
En 1956, alors que Baltimore se retrouve sans Quaterback remplaçant, le manager Don Kellett décide de suivre l’indication d’une lettre anonyme portée à son bureau. À la fin de sa journée, il utilise alors les pièces jaunes trouvées au fond de sa poche pour appeler le jeune passeur de l’équipe semi-professionnelle des Bloomfield Rams depuis une cabine téléphonique, l’invitant ainsi à passer un essai au camp d’entrainement.
La suite est connue. Dès ses premiers pas dans le Maryland, Johnny Unitas prendra le rôle de titulaire de l’équipe et deviendra le meilleur joueur de la ligue pendant plus de quinze ans.
Avec ses passes précises, sa capacité à évoluer dans la poche, sa mécanique de lancés et son leadership inégalable, Unitas sera le modèle ultime de tous les passeurs des futures générations. Plus que n’importe qui dans l’histoire, il est le Quaterback originel.
Le joueur défensif de la décennie : Chuck Bednarick
Alors que la séparation entre l’attaque et la défense était en place depuis près d’une décennie, le Linebacker-Centre des Eagles Chuck Bednarick était encore l’un des seuls joueurs à évoluer sur les terrains pendant soixante minutes complètes.
S’il a été nommé à plusieurs reprises au Pro Bowl pour ses talents de bloqueur, c’est surtout pour son agressivité sans pareil couplée à son intelligence de jeu hors norme qu’il est reconnu.
Véritable chef d’orchestre de la défense de Philly pendant plus de quinze ans, Bednarick marquera de son empreinte le monde du football en 1960 en plaquant violemment la star des Giants Frank Gifford. L’action, parfaitement légale, rendra le Runningback inconscient le temps de quelques heures et l’empêchera de retrouver les terrains pendant près de deux années complètes.
Le coach de la décennie : Paul Brown
Si la franchise de Cleveland a pu être aussi dominante dans les années 1950, c’est principalement grâce à l’excellent coaching du génial Paul Brown. Entre ses idées brillantes, sa méthode disciplinaire presque militaire et sa philosophie offensive révolutionnaire, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de lui l’un des plus grands entraineurs de l’histoire de la ligue.
Pour évaluer son influence dans le jeu moderne, pas besoin de grands discours, ses inventions parlent d’elles même :
- Le play-calling fait par le coach et non pas par le Quaterback
- Le Draw-Play
- Le Facemask
- Le casque relié à la ligne de touche par radio
- Le système du 40 yards Dash
- La poche en protection de passes
- La plupart des tracés de passes
- Les practice squads
- Le coaching staff composé d’une dizaine d’entraineurs.
Une liste, évidemment, non exhaustive.

La tactique de la décennie : La position de Middle Linebacker
Au milieu des années 1950, alors que le jeu à la passe se démocratise de plus en plus, les défenses de la NFL ont du mal à s’adapter à l’aération du jeu. Depuis près de vingt ans et l’invention de la « Ombrella Defense » de Steve Owen qui consistait à placer deux Safety dans l’arrière-champ, les attaques ciblaient principalement le milieu du terrain, cœur de la défense couvert par deux Linebackers seulement.
En effet, jusque-là, la ligne défensive était pensée pour être symétrique avec la ligne offensive, soit cinq joueurs contre cinq. La tactique était efficace pour limiter les courses intérieures, mais elle laissait alors la responsabilité du centre du terrain et des courses extérieurs aux deux seuls joueurs du deuxième rideau.
Pour pallier ce problème, le coordinateur défensif des Giants Tom Landry est le premier à faire reculer le joueur central de la ligne défensive à la même profondeur que ses coéquipiers arrière. Le poste du Middle Linebacker est né, la formation défensive en 4-3 également.

De par sa centralité, le nouveau poste permet une véritable révolution tactique en NFL. Non seulement il contrôle mieux les tracés intermédiaires des receveurs, mais il donne aussi plus de liberté aux deux autres Linebackers qui peuvent alors couvrir les extérieurs, ou s’adonner à la nouvelle mode défensive, elle aussi créée par Landry : le blitz.
Le match de la décennie : Le « Greatest Game ever played »
Le 28 décembre 1958, alors que le coup de sifflet final retentit au Polo Grounds de New York, le commissaire de la NFL Bert Bell est en larmes. Devant ses yeux, l’organisation qu’il dirigeait depuis treize années venait enfin de trouver son moment de référence : une confrontation extraordinaire entre les Giants et les Colts, lors du grand match pour le titre.
Grosses performances défensives, remontée exceptionnelle, émergence de jeunes stars, polémique sur les décisions arbitrales, prolongations, tout est réuni pour faire de la rencontre le plus bel évènement de l’histoire de la ligue.
Suivi en direct par plus de 45 millions de téléspectateurs, le match se conclura sur un touchdown libérateur de Don Ameche pour les Colts après plusieurs minutes d’overtime et sera discuté dans tous les foyers américains pendant de nombreuses semaines. Grâce à lui, plus de doute, le football devient le passe-temps préféré des Américains.
Le défi de la décennie : La violence du jeu
Imaginez un monde dans lequel les plaquages tardifs sont appréciés, un monde où Greg Williams et son Bountygate seraient des modèles, un monde qui banaliserait les coups dans la tête, et qui verrait des joueurs sortir avec des commotions chaque semaine sans exception.
Ce monde a existé….. dans les années 1950.
À l’époque, pas encore de facemask, pas de protection accrue des joueurs en attaque, pas de traitement de faveur pour les Quaterbacks. À l’époque, les dents cassées avaient plus de valeurs que les titres de joueurs de la semaine et les défenseurs les plus respectés étaient les plus vicieux. À l’époque, seule la loi de l’intimidation comptait.

Évidemment, pour certains, cette philosophie de jeu qui pue la virilité et la domination physique est une chose amusante. Mais pour Bert Bell et les propriétaires de l’époque, l’humeur n’était pas vraiment aux plaisanteries. Avec des articles de presse de plus en plus virulents et des joueurs vedettes qui mettaient leur vie en péril à chaque pas sur le rectangle vert, il fallait faire quelque chose, et vite.
Le changement de règle de la décennie : Le porteur de balle ne peut plus se relever
Ce n’est qu’au milieu de la décennie qu’une série de règles est adoptée pour préserver les footballeurs à minima. Le casque avec facemask devient obligatoire, les fautes sont plus souvent sifflées, la violence inutile est interdite et, surtout, l’action est considérée comme terminée lorsqu’un porteur de balle touche le sol.
En effet, jusque-là, les attaquants devaient être immobilisés au sol pour voir l’arbitre siffler la fin du Down en cours. S’ils tombaient simplement au sol après un contact sans être tenus par la défense, ils avaient le droit de continuer leur avancée en se relevant.
La règle favorisait alors l’attaque, évidemment, mais elle était également à l’origine des plus grosses blessures de la ligue alors que plusieurs défenseurs se jetaient sur le porteur de balle au sol à chaque action pour le mettre hors d’état de nuire.
En 1955, le concept du « down by contact » est donc finalement accepté par tous les acteurs du football professionnel.
L’action de la décennie : Le Alley-Oop
Connue sur tous les terrains de basketball aujourd’hui, l’expression « Alley-Oop » trouve son origine dans les années 1950 dans le stade des 49ers.
R.C. Owens, un rookie de la franchise, était en effet connu pour sa capacité hors du commun à s’élever plus haut que tout le monde et pour ses réceptions incroyables dans les airs. À la fin de l’année 1957, lors du premier match de playoffs de l’histoire de San Francisco, le Quaterback Y. A. Tittle envoie une longue balle en direction de du jeune homme — Alley — qui réussit à s’en saisir au milieu de deux défenseurs — oop —.
L’action de 34 yards, impressionnante pour l’époque, deviendra la marque de fabrique des 49ers et sera reprise par tous les fans pendant de nombreuses années.