Oberhof. Un village d’ex-Allemagne de l’Est de 1600 habitants perdu au cœur des montagnes de Thuringe. Et pourtant, une fois par an, ce lieu mondialement connu est rythmé par la coupe de monde de biathlon qui s’y déroule. Vent, pluie, brouillard, les éléments s’y déchainent en faisant une étape autant attendue par les spectateurs que redoutée par les athlètes.
Prenez une carte de l’Allemagne, pointez le centre, et regardez. A peu de choses près, vous vous trouverez à côté d’Oberhof. Chaque passionné de biathlon connaît cette petite ville d’ex Allemagne de l’est. En effet, cette étape est connue pour ses nombreux retournements de situation pour les suiveurs du canapé. L’ambiance de son côté est bien plus chaleureuse que la météo. Tous les ans, ils sont environ 100 000 à braver les éléments, le temps d’un week-end, pour observer le sport qu’ils aiment et festoyer. Et pour avoir la possibilité d’y participer le premier week-end de janvier, mieux vaut s’y prendre à l’avance. Le site affiche très rapidement complet.
Oberhof, centre névralgique du biathlon allemand
Avant d’être un site d’étape de coupe du monde, Oberhof reste une station et un centre d’entrainement pour de nombreux sportifs allemands. Benedikt Doll, Arnd Peiffer, Erik Lesser… Tous s’entrainent à Oberhof et certains sont nés sur place ou dans la région. C’est également d’ici qu’est issu le tout premier vainqueur de la coupe du monde de biathlon Frank Ullrich. A l’époque l’Allemagne de l’Est régnait sur la discipline. Par la suite, l’Allemagne était juste qu’à une récente baisse de régime une nation leader de la discipline.
Pourtant, les allemands ne profitent pas pleinement du public acquis à leur cause lors de cette étape. Les chiffres montrent que sur les 10 dernières années, ils gagnent plus à Anthloz ou Hochfilzen. Le point commun ? Ces 2 autres sites sont proches des frontières allemandes et également situés sur des sites germanophones. Ils y trouvent donc un public semi-acquis à leur cause, notamment à Anthloz qui n’est qu’à quelques heures de la capitale de la Bavière. Oberhof arrive malgré tout avant les étapes non germanophones et la seconde étape allemande Ruhpolding.
Aux côtés des biathlètes s’entrainent également des fondeurs, des bobsleigers, des sauteurs à ski et des spécialistes du combiné nordique. Oui, Oberhof vit de la neige et de la glace. C’est d’ailleurs ici que de nombreux champions allemands sont fabriqués. Et si le site fait plus vieux que d’autres comme le résume Caroline Colombo pour L’Est Républicain début 2020 « Oberhof, ce n’est pas exactement le terme, mais c’est plus vieillot. », il dispose d’un outil de toute dernière génération depuis 2009 : un tunnel réfrigéré. A l’intérieur du bâtiment à une température constante de -4°C, on trouve une piste de 1700m de long. Celle-ci comporte même des montées et descentes. Des skieurs de toute l’Europe l’utilisent pour s’entrainer sur neige à n’importe quelle période de l’année. L’équipe de France de biathlon comme de ski nordique s’y rend d’ailleurs régulièrement en stage.
Oberhof, autant aimé que craint
Dans ce site considéré par beaucoup comme la Mecque du biathlon (les débats sont très disputés avec Ruhpolding, situé en Bavière), les retournements de situation sont aussi nombreux que les bourrasques de vent sur le pas de tir. Vent, pluie, neige (parfois), brouillard, le climat est un acteur qu’il faut autant prendre en compte que les états de forme des athlètes pour les résultats du week-end. Ce climat exécrable est d’ailleurs source de blagues chez les biathlètes si l’on en croit cette réponse de Martin Fourcade à la présentation de l’étape l’année dernière.
Mais ses installations plutôt vétustes et son climat ne suffisent pas à gâcher la fête.
« Comme toujours ici, les conditions météo sont horribles et le cocktail pluie, vent et brouillard fait une fois de plus planer la menace d’une annulation, même s’il n’est pas possible d’annuler une épreuve avec la pression des chaines de télévision alliée à celle des trente mille Allemands déchaînés qui ont bravé les éléments pour venir chanter « Oh wie ist das schön* » en faisant descendre leurs wursts avec des chopes de bières. »
Martin Fourcade, Mon Rêve d’or et de neige (*Oh comme c’est beau)
Néanmoins, si les spectateurs y viennent pour admirer leur sport ou profiter de l’ambiance, le site est particulièrement redouté. En effet, le vent est l’un des ennemis des biathlètes. Et le vent est très souvent de la partie. Pour donner un ordre d’idées, voici les statistiques de tir des 5 derniers vainqueurs (masculins) du gros globe en fonction des sites de compétition.
En mettant de côté Pyeonchang et le contexte particulier relatif aux Jeux Olympiques, Oberhof voit les statistiques de tir chuter drastiquement par rapport aux autres étapes. Le pourcentage de réussite y est entre 3 et 8% inférieur à la moyenne de chaque biathlète. Et on parle ici des meilleurs mondiaux.
Seul Tarjei Bø semble avoir la capacité d’esquiver les rafales et n’a pas ses pires résultats sur le site allemand. Il reste néanmoins victime de son climat particulier, comme tout le monde. Sur ses 10 pires tirs, 3 se sont déroulés sur l’étape allemande. Le bilan n’est pas plus glorieux pour les 4 autres. Martin Fourcade y a réalisé ses 2 pires tirs (30 et 40% de réussite). Emil Svendsen et Ole Einar Bjørndalen n’y ont réussi qu’un unique 10/10 en carrière. Johannes Bø est quant à lui toujours à la poursuite de son tir parfait dans le temple mondial du biathlon. Et ce n’est pas la campagne 2021 qui contredira cela. Si le vent semble moins de la partie, Johannes Bø a particulièrement subi sa poursuite avec 7 fautes.
Public, spectacle, difficulté : tous les éléments, y compris naturels, se réunissent pour en faire une étape clé du circuit mondial. Car gagner à Oberhof reste une consécration. Encore plus que les victoires mettent souvent un certain temps avant d’arriver. Martin Fourcade et Johannes Bø en ont fait les frais. Le 1er y a remporté sa 1ère victoire uniquement en 2014, soit 4 ans après la 1ère et alors qu’il régnait sur le biathlon mondial depuis 2 ans. Quant au 2nd, il a dû attendre 2019 pour s’y imposer alors qu’il était dans le top 3 mondial depuis 2014.
« Il y a un an je remportais enfin ma première victoire à Oberhof […]. Cela n’avait pas empêché Vincent Defrasne de […] me rabâcher […] que je serai un homme le jour où, comme lui, je gagnerai le sprint d’Oberhof… »
Martin Fourcade, Mon Rêve d’or et de neige
Et tout est fait pour rendre cette étape encore plus spectaculaire. En vue d’accueillir le public dans des meilleures conditions pour les Championnats du monde 2023, les capacités d’accueil ont été augmentées. Mais la partie tribunes n’est pas la seule partie rénovée. En parallèle, la zone de départ et l’anneau de pénalité ont été déplacés et le parcours redessiné. La bosse y a été rallongée. Cela devrait avoir un impact sur la difficulté de la course, même si les biathlètes ne semblent pas en avoir particulièrement souffert pour l’instant.
Oberhof et les effets du changement climatique
Si Oberhof est connu pour son climat compliqué, elle va devoir faire face au défi du changement climatique. Situé uniquement à 815 m d’altitude, le site subit fortement le changement climatique. La Thuringe a d’ailleurs demandé une étude pour savoir à quoi s’attendre en 2025.
« Vous aurez 20 jours de neige en moins. Cela ne semble pas très spectaculaire au début, car on peut alors dire : Dans ce cas, nous en aurons encore 80 – ce n’est pas un problème ! Mais ils ne sont pas en un seul morceau. Cela signifie que les périodes de temps froid et chaud s’alterneront de plus en plus fréquemment. Permettez-moi de le dire de façon terre-à-terre : une semaine de pluie, une semaine de neige. »
Thomas Schulz, maire d’Oberhof à propos des résultats de l’étude
Ces alternances pluie, neige posent déjà soucis depuis plusieurs années. Pourtant l’IBU continue de faire confiance au site qui accueillera les championnats du monde en 2023. Du côté des athlètes, c’était pourtant la soupe à la grimace quand ils ont appris qu’ils devraient skier 2 weeks-end sur le site en 2021. Principal objet de la critique : le manque de neige. Tarjei Boe n’avait pas sa langue dans sa poche au moment de commenter la nouvelle sur les réseaux sociaux : « deux [étapes] à Oberhof où il ne neige jamais ? ».
Le manque de neige reste un phénomène existant dans d’autres stations. Mais ici l’organisation est sous le feu de la critique. Elle n’en produirait et stockerait pas suffisamment. Suite au fiasco de l’année 2020, le site aurait passé sa capacité de stockage de 20 000 à 30 000 tonnes de neige de culture. De quoi, peut-être, éviter les cailloux sur la piste et son doux surnom de « cimetière de skis » par les Norvégiens.
Cette année encore, le manque de neige est criant. En conséquence des températures élevées et de la pluie s’abattant sur le site, il a été décidé de changer le programme de la course. Le sprint masculin initialement prévu le jeudi a été déplacé à vendredi. Cela permettra une meilleure préparation de la piste à l’aide de leur neige de culture une fois l’épisode climatique compliqué passé. Cette neige, créée à l’aide de la méthode de snowfarming devrait permettre d’augmenter la quantité de neige et d’avoir des pistes convenablement enneigées. A voir si cela sera suffisant pour qu’ils échappent aux critiques.
Oberhof, là où les champions règnent en maître ?
« Beaucoup de biathlètes se sont plaints qu’on double à Oberhof mais je pense que cette étape mythique à sa place sur le circuit. Les conditions sont exécrables la plupart du temps. […] C’est justement de là que sortent vainqueurs les grands athlètes. »
Emilien Jacquelin, pour Nordic Magazine
Cette citation est régulièrement entendue. Oberhof est un peu un mythe pour les biathlètes, une consécration dans une carrière. Mais les meilleurs gagnent-ils vraiment plus à Oberhof qu’ailleurs ? Pour vérifier cette citation, nous avons mis en relation les podiums et victoires d’étapes et les classements globaux des 10 dernières années. (NDLR : calculs effectués sur la compétition masculine exclusivement).
Sur les 10 dernières années, il est difficile d’arriver à cette conclusion. Car si les meilleurs gagnent plus à Oberhof que sur d’autres étapes, ce n’est pas l’étape du circuit où ils gagnent le plus. Il n’y a que lorsque l’on prend les podiums en relation avec les athlètes issus du top 15 qu’Oberhof se classe en tête. Sinon, les vainqueurs semblent plus gagner à Östersund et Ruhpolding. Et l’étape faisant le plus de podiums issus du top 3 et 5 est Oslo. Oberhof reste malgré tout dans le gratin des étapes où les meilleurs s’expriment. Mais elle n’est pas celle où les meilleurs gagnent comme plusieurs biathlètes ont pu le dire.
Oberhof a cette idée associée car les conditions y rendent les victoires plus difficiles à obtenir qu’ailleurs. Une bourrasque et celle-ci s’envole. Le tir y est indispensable pour gagner. Oberhof est victime de son mythe, de sa popularité, de sa météo capricieuse. Elle est une étape où l’on espère triompher car si c’est le cas, cela signifie que l’on a bravé les éléments et la victoire n’en est que plus belle. De plus, avec une victoire plus compliquée à obtenir, elle la rend certainement plus intense que sur d’autres sites où les leaders montent plus facilement sur le podium.
Avoir deux étapes au centre de l’Allemagne pour la saison 2020-2021 aurait pu avoir un effet sur la qualité des skis en absence de neige, mais elle n’était pas censée en avoir sur le classement général. Les meilleurs gagnent, les moins bons perdent, des inconnus font l’exploit, comme partout ailleurs.
Oberhof reste un des sites les plus mythiques du biathlon mondial. Ces conditions exécrables le transforment en une épreuve à braver pour s’élever. Mais il fait actuellement face à des défis bien plus importants que les sites situés en altitude ou dans les pays scandinaves ayant moins de soucis de neige. Ce défi est un reflet de ce qu’il se produira dans bien d’autres stations de ski dans les années à venir. Mais nul doute qu’il cherchera à les relever. Car malgré les critiques régulièrement faites, Oberhof reste un passage incontournable de la coupe du monde de biathlon. Et cela, athlètes comme public ne peuvent le contredire. Il ne reste qu’à leur souhaiter de trouver des solutions viables et de la neige en quantité. Car que serait une coupe du monde sans son brouillard, sa pluie et sa tempête ?