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Serie A et arbitrage : une passion italienne

C’est qu’en Italie plus qu’ailleurs, les hommes en noir (ou plutôt, en jaune, violet et bleu fluo) sont une véritable obsession pour le reste du monde du foot, l’opinion publique et la presse. Alibi tout trouvé pour justifier les faillites collectives, individuelles et pas toujours footballistiques, les arbitres italiens sont constamment sous le feu des projecteurs subissant une pression maximale. Il est vrai qu’il y a eu des faits polémiques à la une des journaux cette saison. En réalité, l’Italie est l’un de ces endroits où les décisions des arbitres sont examinées et débattues pendant des jours et des semaines. S’il est vrai que la VAR a été utile, son utilisation n’a pas totalement éliminé les décisions « litigieuses » ou la controverse. Chaque week-end, entraîneurs, dirigeants et joueurs se plaignent, de la façon dont une décision arbitrale leur a coûté des points, auprès de la presse et des médias télévisuels. Analyse d’une relation.. pas si romantique.

Une pression médiatique sans équivalent

En Italie, la « moviola » (littéralement le « ralenti » en français) est une institution depuis son instauration à la suite d’un derby entre l’Inter et l’AC Milan en 1967. Elle a pour but d’analyser minutieusement les décisions arbitrales de toutes les rencontres. Si cette pratique semble généralisée à l’ensemble des pays de nos jours, elle un reste un élément fondamental de la presse et de la télévision italienne, prenant généralement le pas sur des débats d’analyse de fond plus pertinent. La subjectivité est de mise et les conclusions font rarement l’unanimité que l’on soit lecteur du Corriere dello Sport romain, de la Gazzetta dello Sport milanaise ou du Tuttosport turinois.

Arrivée en Italie en 2017, la VAR fait régulièrement la une des journaux transalpins. Une pression médiatique qui rend le climat très pesant pour les sifflets d’Italie (source : Cahiers du foot)

Ces derniers font leurs choux gras en notant les arbitres de la même façon qu’ils notent les joueurs, laissant penser à la rédaction de bulletins scolaires. C’est généralement la première chose à laquelle le lecteur pense. À la télé, il n’est pas rare de voir les “highlights” des rencontres se terminer par trois choses : le meilleur joueur, le moins bon et la note de l’arbitre. Preuve d’une mentalité malsaine : les désignations arbitrales. Alors qu’elles passent inaperçues dans la plupart des pays, elles sont annoncées en breaking news à la télé italienne. Rapidement, journaux et sites internet s’empressent d’analyser les antécédents des hommes en noir contre chaque club (bilan, penaltys, expulsions).

Des arbitres italiens omniprésents à l’international

À l’heure actuelle, l’arbitrage italien est pourtant reconnu comme l’un des meilleurs au monde. Son représentant historique et le plus emblématique, Pierluigi Collina, a même été élu meilleur arbitre de l’histoire du football, en décembre dernier par le magazine France Football. Au total, les arbitres transalpins, dont les Rizzoli, Orsato, Rosetti, Rocchi, Gonella, ont pris part à trois finales de la Coupe du monde (1978, 2002, 2014), trois de l’Euro, huit de la Ligue des champions, dont la dernière entre le PSG et le Bayern, et cinq de la Ligue Europa (ou anciennement Coupe de l’UEFA). Impressionnant, surtout si l’on considère que la « Nazionale » et les clubs italiens ont aussi trusté bon nombre de finales – et donc empêché la présence d’arbitres de la botte.

Daniele Orsato, arbitre de la dernière finale de la Ligue des Champions entre le Bayern et le PSG (Source : UEFA.Com)

Une école très appréciée par l’UEFA et la FIFA puisque deux d’entre-eux, Pierluigi Collina (FIFA) et Roberto Rosetti (UEFA), occupent le poste de responsable des arbitres de chaque institution. Une mainmise qui peut interpeller, mais qui s’explique par le fait que l’Italie est à la fois pionnière et référence en la matière. Une sensation malheureusement pas partagé par les Italiens mais bien réelle.

Entre innovation et révolution : la recherche de l’excellence

Pour y parvenir, l’arbitrage italien a dû se remettre en question. Après une Coupe du monde 1990, organisée en Italie, où l’antijeu et les brutalités avaient culminé, les évolutions des règles ont réussi à restaurer la fluidité et le rythme du jeu contre les temps morts et les possibilités de casser le jeu :

  • Avertissements systématiques pour les gestes d’antijeu
  • « Interdiction » pour le gardien de prendre un ballon passé par un coéquipier
  • Règle des six secondes pour dégager
  • Obligation pour les joueurs ayant appelé les soigneurs de quitter le terrain
  • Décompte encadré du temps additionnel en fonction du nombre de remplacements
  • Spécialisation des juges de touche.
  • Introduction du HJ passif

Bilan : Renforcement des lois du jeu, de l’intérêt sportif et du spectacle, le mondial suivant aux Etats-Unis étant l’un des plus prolifiques en buts. Ce chambardement est le travail de Paolo Casarin, arbitre de Serie A de 1971 à 1988 et international durant 9 ans, chargé par Havelange (président de la FIFA de l’époque) et Blatter de réformer un arbitrage à l’image plombée par les nombreuses erreurs entrevues au mondial 90. Au delà des modifications dans les lois du jeu, Casarin en profite pour « professionnaliser » les arbitres italiens, en particulier la nouvelle génération qui compte entre autres Collina et Rosetti

« Le jeu devenait plus rapide. On a ouvert un centre (d’entrainement) dans chaque région, avec un coach dédié. L’Italie était perçue comme le pays qui façonnait le nouvel arbitre. Lennart Johansson, président de l’UEFA, m’avait confié qu’il était surpris d’apprendre que je payais mes arbitres pour courir…»

Paolo Casarin, arbitre international italien de 1979 à 1988

Dernièrement, le championnat italien a été précurseur dans l’utilisation de l’assistance vidéo, avec une saison de tests menés en Serie A, la première division transalpine, avant l’adoption officielle du dispositif par la FIFA et l’IFAB (international board, qui statut sur les modifications à effectuer aux lois du jeu). La VAR est entrée en vigueur en Serie A lors de la saison 2017-18. Elle a été globalement bien acceptée par les acteurs du jeu, un sondage de la Gazzetta dello Sport datant de 2019 révèle que 79% des fans de football italiens approuvent le système vidéo, jugeant qu’il garantit une certaine « équité ».

Une image ternie à contrario des faits ?

Pourtant l’image de l’arbitrage italien ne semble pas au beau fixe. Les scandales de la dernière décennie justifient la suspicion des supporters et de la presse. Pourtant, le fameux Calciopoli – affaire d’écoutes téléphoniques entre plusieurs dirigeants italiens, dont luciano Moggi (ex-directeur sportif de la Juventus) et Pierluigi Pairetto, chargé des désignations arbitrales par la fédération – est surtout une affaire de panier de crabes. La justice n’a pas permis de qualifier les championnats de 1999 à 2005 d’irréguliers, ni de révéler un seul match prétendument truqué. Ce qui sauve la position des 15 arbitres en premier lieux inculpés puis disculpés un à un mais parfois trop tard pour reprendre leur carrière.

Selon Sportface.it sur la période : 19/09/20 au 09/01/21, les équipes bénéficiant de manière positive des décisions de la VAR sont Benevento, la Sampdoria et Spezia. Loin du mythe de favoritisme envers les tops clubs.

Quant au Calcioscommesse, il s’agit de petits arrangements entre joueurs. Contrairement aux idées reçues, les hommes en noir s’en sortent indemnes et ne trainent pas dans les affaires de corruption. Reste la fameuse “sudditanza psicologica“, que l’on peut traduire par “soumission psychologique”, envers les Top clubs, notamment la Juventus, l’AC Milan et l’Inter, qui voudrait que ceux-ci soient avantagés en cas de situation litigieuse. L’arrivée de la VAR était plus que souhaitée pour rétablir “l’équilibre”. Toutefois, depuis son instauration en 2017/2018, rien ne permet de prouver un quelconque favoritisme théorique, comme le rapporte les chiffres du site Sportface.it, qui rassemble l’ensemble des décisions favorables et défavorables de chaque équipe de 1ère division.

La passion prend le pas sur la raison

Dans le football italien, seule la victoire compte, l’arbitre est partial à défaut d’avoir prouvé le contraire, les médias, les supporters, les pouvoirs industriels et politiques occupent une place écrasante, créant sans cesse la polémique. Cette dernière s’accompagne souvent d’une attitude soupçonneuse, nourrie par de nombreux exemples, dont les plus marquants sont sans doute ceux de Byron Moreno et de Pierluigi Collina. Le premier est devenu un ennemi public après le huitième de finale du Mondial 2002 entre la Corée du Sud et l’Italie, tandis que le second a dû, à la suite de soupçons soulevés par ses contrats avec Opel – alors sponsor de l’AC Milan –, mettre fin sa carrière de manière “prématurée” à l’aube de son ultime saison en 2005.

Pierluigi Collina à l’affiche d’une campagne publicitaire pour son sponsor Opel. C’est à cause de ce partenariat que l’arbitre à dû mettre fin à sa carrière en 2005, de manière prématurée. Son impartialité étant remise en cause (source : General Motors)

La culture du football italien a été construite par les fans, sur ce fond de désinformation et par l’intermédiaire des émissions sportives télévisées disséquant les faits après les matchs. Cela fait partie de la culture sportive du pays, mais ne favorise pas le dialogue entre les acteurs. Récemment, le vice-président de la Juventus, Pavel Nedved, et le directeur sportif, Fabio Paratici, ont été suspendus en décembre dernier par le juge sportif italien pour insultes envers l’arbitre durant le derby contre le Torino (victoire 2-1). Nedved a été suspendu jusqu’au 21 décembre et a écopé d’une amende de 10.000 euros. Paratici a lui été suspendu jusqu’au 14 décembre.

Un tumulte pas si anodin

Un élément vient jeter une zone d’ombre : l’affaire Claudio Gavillucci. L’arbitre a arrêter, pendant 3 minutes, le match Sampdoria-Napoli au Marassi, le 13 mai 2018, à cause de chants insultants de la part des tifosis de la Sampdoria. Ce qui pose problème, c’est que l’Associationzione Italiana Arbitri a rétrogradé Gavillucci à la fin de la saison, laissant supposé que l’arrêt du match en est la raison. L’arbitre a fait appel et a remporté son procès, forçant sa réintégration au pôle des sifflets de Serie A. Surtout, bon nombre des révélations qui ont été mises au jour au cours du procès sont dérangeantes pour l’AIA : le non-respect du règlement, une évaluation peu claire de son travail, la non application des normes sur le nombre d’arbitres rétrogradés, l’absence de communication, des critères d’évaluation peu explicites et des notes qui en découlent. Maintenant, d’autres officiels rétrogradés par l’AIA, y compris l’arbitre assistant de la finale de la Ligue des Champions, Lorenzo Manganelli, sont également de prendre leur cas devant les tribunaux concernant les décisions techniques.

Enfin, avec la retraite à venir de Daniele Orsato (45 ans cette saison), l’Italie se retrouverait sans arbitre dans la catégorie Elite de l’UEFA (quand Orsato a été promu, il était l’un des quatre Italiens au plus haut échelon de l’arbitrage européen) – ce qui noircirait quelque peu le tableau pour cette nation, pourtant si présente à l’échelle européenne et internationale. D’autant que les trois représentants italiens de la catégorie inférieures, ne semblent pas être favoris pour intégrer la catégorie reine.

Si la situation semble complexe entre les arbitres transalpins et les acteurs qu’ils côtoient à longueur de semaine durant la saison, elle résulte principalement d’un ancrage culturel ne favorisant pas le débat. Alors que la VAR était perçue comme LA solution pour rétablir un dialogue qui semble verrouillé, elle n’a finalement que rajouté un cadenas sur ce constat. Ne pouvant pas s’exprimer dans les médias, les arbitres italiens pourrait voir leurs prérogatives restreintes par l’arrivée du “Challenge”. Une innovation au système d’arbitrage vidéo, permettant au coach d’intervenir pour forcer l’homme en noir à revisionner une situation de leur choix. Là encore, le miracle est attendu.. Sans pour autant cerner le véritable problème.

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