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Siegfried Mazet, l’homme qui murmure à l’oreille des champions

Dans le sport de haut niveau, les athlètes sont souvent mis en avant lors des belles performances. C’est somme toute logique, mais derrière un grand champion, il y a souvent un grand entraîneur. Mettre en confiance, pousser, rassurer, gérer, tel est le quotidien d’un coach de sportif de haut niveau. Ses hommes de l’ombre ont une part importante dans les succès de leurs protégés. Le CCS vous parle du français Siegfried Mazet, qui, après avoir été le coach de Martin Fourcade, est maintenant à la tête de l’équipe de Norvège de biathlon.

Coach du tir, le maillon indispensable

Le biathlon est un sport qui allie le ski et le tir. Si la première partie est primordiale pour figurer dans le top 10 mondial (il existe quelques exceptions), le tir est la partie qui fait la différence pour entrer dans le top 5 et gagner des courses. Un tir rapide et efficace permet d’éviter l’anneau de pénalité et évite d’avoir à courir après les autres pour rattraper le temps perdu.

Dans cette optique-là, le coach de tir est primordial dans une équipe. A la télévision, nous ne voyons qu’un coach derrière une jumelle mais c’est bien plus que ça. Certains, comme Franck Badiou par exemple, aident à la construction de la carabine. Puis il faut travailler l’adaptabilité de ses athlètes pendant les entraînements en leur apportant toutes les clés nécessaires pour faire face à toutes les conditions (météo, adversaire..). Le jour J, il aide ses biathlètes à optimiser les réglages de visée en fonction du vent présent. Au cours de la course, il va surveiller chaque tir et donner des indications sur le placement des balles dans la cible afin que l’athlète rectifie sa carabine si besoin. Enfin, une dernière mission appartient au coach de tir, le débrief, à chaud ou non, de la performance avec chaque athlète afin de le conforter ou le corriger pour la course d’après.

13.02.2019, Soldier Hollow, United States of America (USA): Siegfried Mazet (FRA) coach team Norway – IBU world cup biathlon, training, Soldier Hollow (USA). http://www.nordicfocus.com. © Manzoni/NordicFocus. Every downloaded picture is fee-liable.

Voici comment Siegfried Mazet perçoit son métier d’entraîneur du tir :

« Confiance » : Évidemment il faut suffisamment de confiance en soi pour être capable de reproduire ce que l’on fait à l’entraînement, le jour de la compétition.
« Maîtrise » : J’entends par là la maîtrise sur les éléments extérieurs (même si on ne les maîtrise jamais vraiment à vrai dire), le fait qu’il faut savoir s’adapter sans cesse. Bien sûr on ne peut pas tout maîtriser, mais le but est de réussir à maîtriser de la meilleure manière possible ce que l’on peut et pense pouvoir maîtriser, qui à priori n’est en soi justement pas maîtrisable. C’est par exemple savoir s’adapter aux conditions climatiques, au vent, aux concurrents etc.
« Playful » : Être joueur. Avant tout cela reste un jeu au fond des choses. Et si on le prend trop au sérieux, alors on risque de tomber de trop haut. Il faut garder le tir comme un bon jeu et trouver ainsi de l’inspiration dans la façon de jouer.

Siegfried Mazet, Altitude Biathlon

La reconstruction de l’équipe de France

Siegfried devient coach du tir français en 2008. Il hérite d’une équipe en construction. Raphaël Poirée a pris sa retraite il y a peu et la relève n’est semble t’il pas encore là. Les Français sont dans le creux de la vague avec seulement 2 victoires et 5 podiums en 2 saisons.

Mais l’équipe de France va retrouver des couleurs à partir de 2009 avec 5 victoires. La progression va être constante. Bien aidé par les 49 victoires individuelles de Martin Fourcade (sur 57 pour l’équipe au total) sur la période 2009-2016, Siegfried va être le mentor d’une équipe qui regarde les Norvégiens dans les yeux malgré un monde d’écart au niveau des moyens.

source : nordicfocus

Sous l’aire Mazet, Martin passe de 84,7 % à 88,2 % de précision au tir (avec un pic à 90,2 % en 2012/2013). De manière générale, c’est le groupe France qui va progresser au tir sous la direction de coach. Le pourcentage au tir sous l’aire Mazet a été la meilleure depuis 2000. 82,22 % pour l’ensemble de l’équipe contre 81 % avant et 79,05 % après son départ. C’est donc l’ensemble de l’équipe qui a progressé sous son impulsion et dès la première année (85,6 %, moyenne jamais égalée jusqu’à maintenant).

Preuve que son travail est reconnu, l’équipe de Norvège vient le chercher une première fois en fin de saison 2015. Le coach ne se sent pas prêt. Mais en 2016, il ne laisse pas passer le train une seconde fois. Il laisse l’équipe de France et va donc entraîner la meilleure équipe du monde. Refuser les moyens et l’exposition de la Norvège est impossible. Si Martin a un temps eu un sentiment de trahison, son frère Simon résume bien la situation après avoir vu les réseaux sociaux être très négatifs sur ce départ :

Si le coach est parti, il a malgré tout permis à l’équipe de France de progresser. Zig a une part importante dans les succès de Martin et l’exposition médiatique grandissante du biathlon en France. S’il y a un vrai engouement des Français pour ce sport télégénique au point qu’une chaîne gratuite se décide à retransmettre les courses, rien de comparable à la Norvège.

« En fait, on compare trop souvent un pays de 5 millions d’habitants avec un pays de 66 millions. Donc est-ce réellement comparable déjà compte tenu de cet aspect là ? On compare un pays [la Norvège] où le ski de fond est le sport numéro 1, que ce soit en pratique loisir ou en mode compétition, alors qu’en France ce n’est pas du tout le cas. Donc forcément qu’il y a déjà davantage de moyens en Norvège, qui plus est sont pour beaucoup apportés par des sponsors privés, et c’est là toute la différence entre les deux fédérations de ces deux pays. »

Siegfried Mazet, Altitude Biathlon

Le changement de dimension

Pourquoi changer d’équipe lorsqu’on entraîne l’un des meilleurs biathlète de l’histoire ? Le coach l’explique.

« Cette opportunité est même tombée à point nommé car pour être honnête je sentais que depuis 2 saisons mon discours commençait à s’user. J’ai travaillé plusieurs saisons aux côtés de Stéphane Bouthiaux, et j’ai aussi ressenti le besoin d’autonomie, d’aller voir ailleurs et de prendre un risque, de sortir de mon confort. J’ai été servi et j’ai beaucoup appris. »

Siegfried Mazet, Altitude Biathlon)

Le début de l’aventure norvégienne est un peu comparable est celle qu’il a connu avec la France. L’équipe n’est plus aussi dominatrice. Elle se remet du départ de Bjoerndalen et Emil Svendsen, les principaux pourvoyeurs de victoires depuis des années. Mais contrairement à 2008, la pépite est déjà présente : Johannes Thingnes Boe. Il a déjà engrangé 13 succès avant l’arrivée de Zig. Il se présente comme un sérieux concurrent à Martin Fourcade. 

source : nordicfocus

Mais la fédération l’a bien compris, son tir est perfectible et il faut aller chercher l’expertise ailleurs. En effet, si la Norvège est une terre de ski et que la dimension physique n’est plus un secret, le tir est le point faible comme le confirme le coach français.

« Les Norvégiens sont venus me chercher car ils avaient besoin de quelqu’un pour améliorer leur entraînement au tir. Ce qu’il faut savoir c’est que, historiquement, les Norvégiens ont toujours plus ou moins dominer le biathlon, notamment grâce à la partie ski de fond et non avec le tir. C’est seulement sur ces dix dernières années car le biathlon a évolué car de bons skieurs sont devenus de bons tireurs. Cependant, ils sont restés sur les mêmes schémas d’entraînement qu’en ski de fond, ils n’avaient pas de philosophie au tir. »

Siegfried Mazet, Altitude Biathlon

Si, au passage, ce recrutement peut perturber l’homme qui domine le biathlon mondial, c’est un plus non négligeable. C’est sans compter sur le champion français qui, pour montrer aux Norvégiens qu’il n’a plus besoin de son coach pour briller, a réalisé sa meilleure saison avec 14 victoires individuelles. La Norvège ne décroche que 3 victoires lors de cette première année de Siegfried.

Mais les bases des futurs succès sont posées. Il a été recruté pour faire progresser le tir, c’est ce qu’il fait. Si la moyenne du groupe est en légère baisse, celle de Johannes passe de 85 % à 89,4 % (moyenne à 88,35 % depuis l’arrivée de Mazet contre 84,85 % avec un pic à 92,1 % l’année dernière). Dès la deuxième saison, Johannes est lancé : 9 victoires dont une aux JO de Pyeongchang. S’ensuit une saison record, pendant que Martin est en méforme, qui efface notre tricolore des tablettes : 16 victoires et le grand chelem. Il enchaîne avec 10 victoires l’année dernière et gagne le gros globe pour 2 points malgré plusieurs impasses au cours de la saison. Siegfried est passé d’une légende à une future légende.

source : nordicfocus

Néanmoins, derrière ses bonnes performances, Johannes souffre toujours d’une certaine inconstance au tir. Preuve en est, la moitié de ses victoires (26 sur 52 victoires individuelles) ont été acquises sur les sprints, qui sont des épreuves qui ne comportent que 2 tirs. A titre de comparaison, Martin n’a gagné que 28 % de ses victoires sur ce type de courses. Le coach de l’équipe de Norvège est conscient que ce tir perfectible (surtout depuis le raccourcissement de la carabine de Johannes).

« En biathlon, la remise en question arrive très vite. On est vite rappelé à l’ordre si on baisse la garde… À un moment donné, on le sait, ça va bien moins se passer pour nous. Le biathlon est fait de hauts, comme en ce moment où on est très haut, et de bas. Il va falloir anticiper ces moments-là. C’est le rôle du staff de recadrer les troupes. Si on prend la poursuite d’Oberhof où Tarjei en loupe trois au dernier tir, Dale deux et Sturla une mais montent finalement sur la boîte, c’est un podium qui n’était pas chanceux mais presque. Normalement, avec de tels tirs, on sort des trois. Comme ça a déjoué derrière alors qu’il n’y avait pas vent, ils y sont restés. Mon travail, à ce moment-là, a été de les mettre en garde parce que la manière n’y était pas. C’est important de jouer ce rôle pour ne pas se prendre un retour de bâton parce qu’on se serait vu trop beau. »

Siegfried Mazet, nordicmag

Siegfried Mazet a été l’entraîneur qui a fait progresser l’équipe de France. Il est maintenant celui qui fait progresser Johannes Boe et toute l’équipe de Norvège. Est-il au bon endroit au bon moment ? Difficile à croire tant son apport est souligné. La domination de cette équipe est étouffante mais méritée. En étant chauvin, on voudrait voir une équipe de France plus proche, mais les moyens ne sont pas les mêmes. L’adversaire numéro de Johannes n’est autre que son coéquipier Laegreid qui tire bien mieux que lui (presque 8 % de précision en plus). Le nouveau défi de Mazet va donc être de faire cohabiter ses deux Norvégiens. Johannes a de la marge sur les skis, mais il devrait s’inspirer de son jeune coéquipier sur le pas de tir. Car il l’a montré hier, quand il est précis, il est imbattable. Siegfried doit l’aider à trouver une plus grande régularité s’il veut briller aux prochains mondiaux de Pokljuka en février. 

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